Après Glavany et Macron... « Dépassionner les relations entre l'Algérie et la France »

Écrite quelques jours avant que les déclarations d'Emmanuel Macron à Alger sur « la colonisation, crime contre l'humanité » ne soulèvent de fortes polémiques en France, cette contribution du Professeur Abderrahmane Mebtouol, expert international, nous livre un éclairage toujours actuel sur les présupposés d'un «  co-partenariat gagnant-gagnant  » entre les deux pays, ainsi que sur les dispositions par lesquelles l'Algérie pourra surmonter ses difficultés actuelles.

Le Pr Abderrahmane Mebtoul, Expert International

Le député Jean Glavany a été le rapporteur d'une mission parlementaire d'information sur le Maghreb, présenté en janvier à l'Assemblée nationale française. Ce rapport a fait couler beaucoup d'entre entre les deux rives de la Méditerranée... Cependant, je pense fermement que certaines tensions ne sont que passagères, d'autant que d'importantes personnalités de l'Hexagone que j'ai contactées, reconnaissent que l'intensification de la coopération est inévitable dans l'intérêt bien compris de chacun des deux pays, doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale conditionnée par un véritable co-développement. Il ne s'agit nullement d'occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre l'Algérie et la France. Il s'agit, en ce monde impitoyable où toute nation qui n'avance pas recule, de préparer ensemble l'avenir par le respect mutuel. Pour sa part, j'ai souligné que l'Algérie entend ne pas être considérée sous la vision d'un simple marché. Et c'est dans ce cadre que doit rentrer un co-partenariat entre l'Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

Pour une approche réaliste du co-partenariat

Selon les statistiques douanières (voir annexe) durant la période des onze mois de l'année 2016, l'Italie a été le principal client, avec une part de 17,24 % des ventes Algériennes à l'étranger, suivie par l'Espagne (12,67 %) et la France (11,53 %). La Chine a représenté le principal fournisseur de l'Algérie durant les onze mois de l'année 2016 avec 18 % de nos importations, suivie par la France, avec 10,22 % et l'Italie, à 9,96 %.

Les échanges entre l'Algérie et la France peuvent être intensifiés dans tous les domaines : agriculture, industrie, services, tourisme, éducation sans oublier la coopération dans le domaine militaire, où l'Algérie peut être un acteur actif, comme le montrent ses efforts en vue de la stabilisation de la région.

Aussi, l'intensification de la coopération ne sera possible - tout en n'oubliant pas le devoir de mémoire - que si l'Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat, un partenariat gagnant-gagnant loin du mercantilisme et de l'esprit de domination. Les deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir. La symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d'enrichissement mutuel. Les derniers événements devraient encore mieux nous faire réfléchir, évitant cette confrontation des religions car autant l'islam, le christianisme que le judaïsme ont contribué fortement à l'épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d'extrémisme. La mondialisation est un bienfait pour l'humanité, à condition d'intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale.

La diaspora, un élément essentiel du rapprochement

Au moment de la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, le rapprochement entre des pays du Maghreb est nécessaire pour une intensification de la coopération avec la France et l'Algérie via l'Europe, à la mesure du poids de l'histoire qui nous lie. L'intégration du grand Maghreb devrait servir de pont entre l'Europe et l'Afrique, les avantages comparatifs à moyen et long termes étant pour les deux pays en Afrique, continent d'avenir et à fortes potentialités, sous réserve de sous-intégrations régionales, de la valorisation de l'économie de la connaissance et d'une meilleure gouvernance.

Par ailleurs, n'oublions pas le nombre de résidents d'origine algérienne en France, qui dépasseraient les 4 millions, dont 2 millions de binationaux. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l'Algérie et la France, du fait qu'elle recèle d'importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières.

La promotion des relations entre l'Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d'intervention l'initiative de l'ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.

Comme le note justement Jean-Louis Guigou, Président de l'Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris), il faut faire comprendre que, dans l'intérêt tant des Français que des Algériens, et plus globalement des Maghrébins et des Européens ainsi que de toutes les populations sud-méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l'Algérie, et à l'est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique.

L'Algérie peut surmonter les difficultés actuelles

Dans la pratique des affaires n'existe pas de sentiment, les entrepreneurs étant mus par la seule logique du profit et chaque pays dont l'Algérie doit défendre ses intérêts propres. Mais la mise en œuvre d'affaires saines, comme l'image d'un pays, ne repose plus comme par le passé sur des relations personnalisées entre chefs d'États ou ministres, mais doit être la résultante de réseaux décentralisés, favorisés notamment par l'implication de la société civile, d'ONG et d'entreprises dynamiques innovatrices.

C'est que l'on assiste au niveau mondial à l'évolution d'une accumulation passée se fondant sur une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d'accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d'araignée à travers le monde, avec des chaînes mondiales segmentées de production où l'investissement, en avantages comparatifs, se réalisant au sein de sous-segments de ces chaînes.

Mais il faut éviter toute vision de sinistrose, vis-à-vis de l'Algérie. La situation est différente de celle de 1986 : dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars et des réserves de change de 114 milliards de dollars au 1er janvier 2017 offrent un répit de trois années. L'Algérie peut surmonter les difficultés actuelles sous réserve d'une gouvernance rénovée. Pourtant, la réussite du partenariat industriel national et international n'est pas réalisable sans une gouvernance centrale et locale rénovée, une vision cohérente se fondant sur des réformes structurelles tant politiques, sociales, économiques dont le marché financier, le marché du foncier, celui du travail et surtout la réforme du système socio-éducatif pilier de tout processus de développement, à l'aube de la quatrième révolution technologique.

« Faire place à la démarche opérationnelle économique  »

Il faut éviter de voir l'ennemi extérieur partout, car les réformes dépendent avant tout des Algériens si l'on veut bénéficier des avantages comparatifs mondiaux. Les tactiques doivent s'insérer au sein de la fonction/objectif stratégique qui est de maximiser le bien-être social de tous les Algériens. L'objectif pour l'Algérie est d'engager des réformes structurelles qui, je ne le répéterai jamais assez, dépendant des Algériennes et des Algériens, supposant un large front social interne de mobilisation, tolérant les différentes sensibilités, face aux nombreux nouveaux défis qui attendent notre pays afin de hisser l'Algérie comme pays émergent, à moyen et long terme.

Pour cela, la dominance de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique, avec des impacts économiques et sociaux positifs à terme. Aussi, face aux nouvelles mutations mondiales, l'Algérie confrontée à la transition vers une économie productive intimement liée à la transition énergétique, a besoin surtout d'une accumulation technologique et managériale.

En résumé, selon les derniers rapports internationaux, l'Algérie est un acteur incontournable pour la stabilité de la région, et que toute déstabilisation aurait des répercussions géostratégiques négatives sur l'ensemble de la région méditerranéenne et africaine, comme je l'ai souligné avec force dans mon interview donnée le 28 décembre 2016 aux États-Unis, à l'American Herald Tribune. Et bien entendu sous réserve que l'Algérie approfondisse l'État de droit la démocratisation de la société et qu'elle réoriente sa politique économique afin de réaliser un développement durable. Les tensions actuelles entre l'Algérie et la France ne sont que passagères, selon les informations que j'ai recueillies auprès d'importantes personnalités de l'Hexagone. Il s'agit d'entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel. C'est dans ce cadre que doit rentrer un partenariat gagnant/gagnant entre l'Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

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> Rappelons qu'à l'occasion de la dernière visite du premier ministre français le professeur Abderrahmane Mebtoul avait donné une interview à nos confrères le Point Afrique (24/03/2016) et l'Express (07/04/2016, Paris) sur les perspectives de la coopération Algérie-France, mettant en relief les faiblesses mais également potentialités de l'Algérie.

Ce thème a été développé également par le professeur Abderrahmane Mebtoul, le 7 avril 2016 à Marseille à La Villa Méditerranée, où il a animé une conférence - dont La Tribune était partenaire - sur le thème « Le partenariat gagnant/gagnant et le dialogue des cultures dans le cadre de la coopération Algérie/France, facteur de stabilité de la région africaine et euro-méditerranéenne » en présence de plusieurs centaines de personnalités politiques et économiques, d'experts internationaux, du Consul général et du personnel diplomatique du consulat général d'Algérie à Marseille.

Par le Pr Abderrahmane Mebtoul (Expert International) - Source de l'article La Tribune

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