Méditerranée, ton Union déjà plombée

A sept semaines de son inauguration, prévue le 13 juillet prochain à Paris, l'Union pour la Méditerranée semble déjà plombée. Voulu par le candidat Nicolas Sarkozy, cet ambitieux projet de coopération entre pays du Mare nostrum ne mobilise guère. A tel point que l'Elysée a même du mal à dresser la liste des présents.
Algérie, Libye et Syrie boudent. Turquie et Chypre traînent les pieds. Liban, Jordanie, Tunisie, Maroc se détermineront en fonction de la situation en Palestine. Pour ne pas s'afficher aux côtés du Premier ministre israélien si la bande de Gaza est à feu et à sang. Quant à ce dernier, interrogé actuellement par la justice, il n'est même pas sûr d'être encore en fonction en juillet.

Les Européens, eux, y voient depuis le début un projet mal ficelé. Lancé par l'Elysée, celui-ci faisait fi des structures de coopération existantes. Tel le "5 + 5", un format dont Nicolas Sarkozy avait pourtant pu juger de l'efficacité lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, puisqu'il y rencontrait utilement ses homologues du Maghreb. Le projet français marginalisait surtout l'Union européenne, déclenchant la colère d'Angela Merkel qui refusait de financer les ambitions de l'Elysée.

Bruxelles a, depuis, sérieusement repris la main. Ses ambitions limitées, l'Union pour la Méditerranée sera finalement accolée à l'actuel Processus de Barcelone. Sans vrai budget. Mieux, au terme de contorsions diplomatiques qui constituent un défi à la géographie, un pays comme la Lettonie en fera partie, alors que la France rejoindra, elle, le Conseil des pays riverains de la Baltique. Enfin, la présidence pourrait même échapper à Nicolas Sarkozy pour être confiée au futur président de l'Europe.

Du coup, pour réussir son lancement, l'Union de la Méditerranée devrait éviter les sujets difficiles, comme la Palestine ou les droits de l'homme, pour se limiter, notamment, à l'environnement. Ce qui, en soi, ne constitue pas le moindre des défis pour une usine à gaz.
Gilles DELAFON - le Journal du Dimanche - 25 mai 2008

Union pour la Méditerranée : Plaidoyer pour la concrétisation de la constitution

Plusieurs chercheurs et diplomates espagnoles et de pays du pourtour méditerranéen ont plaidé, vendredi à Madrid, en faveur de la mise en œuvre du projet de création d'une Union pour la Méditerranée.
Réuni dans le cadre d'un séminaire international sur "l'Union pour la Méditerranée et le renforcement du noyau euro-méditerranéen", initié par la Fondation "Alternativas" (Alternatives), les participants ont également estimé que le moment est venu pour l'Europe d'accorder davantage d'intérêt à la rive sud de la Méditerranée.
Ainsi pour Nicolas Sartorius, vice-président de la Fondation "Alternativas", la participation au développement des pays du sud de la Méditerranée doit se traduire par des partenariats avantageux pour les deux parties, plutôt que par des actions d'assistanat.Il a estimé que l'organisation de telles rencontres rassemblant un parterre d'intellectuels et de responsables gouvernementaux du pourtour méditerranéen est nécessaire pour accompagner et enrichir le processus en cours visant la constitution de l'Union pour la Méditerranée, une mer géopolitique par excellence.
Pour sa part, Fidel Sendagorta, ambassadeur espagnol chargé des affaires méditerranéennes, a noté que les idées véhiculées par le projet de l'Union pour la Méditerranée ne sont pas tout à fait inédites, ajoutant qu'il s'agit de s'inspirer des acquis du Processus de Barcelone lancé en 1995, de tenter de l'enrichir et surtout de le sortir de son "apathie".
Il existe aujourd'hui une réelle volonté politique d'aller de l'avant dans le partenariat euro-méditerranéen et de relever ensemble les défis communs de taille qui se posent aux pays de la région, a-t-il dit, appelant à une réflexion profonde sur les moyens à même de transcender les difficultés qui ont entravé jusqu'à présent le bon déroulement de ce processus.
Mme Aicha Belarbi, ex-secrétaire d'Etat à la coopération, a relevé que le projet de l'Union pour la Méditerranée se focalise sur la mise en place de plusieurs projets de développement, dont certains auront un caractère régional, soulignant que les pays du sud de la Méditerranée sont appelés, dans ce contexte, à se placer en tant que partenaires réels dans toute initiative commune.
Mme Belarbi a rappelé, lors de ce séminaire d'une journée, que le Maroc a toujours adopté cette attitude dans ses relations avec l'UE, en témoigne l'accord d'association mis en œuvre depuis l'année 2000, les résultats encourageants de la politique de voisinage et le statut avancé que le Royaume est en phase de négocier avec l'Europe.Créée en 1997, la Fondation "Alternativas" se veut un espace de débats, d'échange et de proposition d'idées à propos de thématiques d'actualité nationale en Espagne et à portée internationale.
Le Matin.ma - le 24 mai 2008

l'UPM: l'union politique est déjà impossible, l'économique est aussi compliquée !!

L'UPM (Union pour la méditerranée) n'est pas près de se concrétiser. Même si officiellement, des structures peuvent voir le jour, la rive sud de la méditerranée n'est pas encore prête pour dialoguer d'une seule voie.
D'abord les intérêts et les alliances politiques ne sont pas les mêmes pour tous les pays du Sud.
On distingue deux ensembles arabes très éloignés politiquement: -l'Algérie, Syrie, Libye- et -Maroc, Tunisie, Egypte, Jordanie- ces deux ensembles divergent sur leur approche de la relation avec les européens et les israéliens, sans y ajouter les conflits Maroc-Algérie et Syrie-Liban.
Pour finir, il faut ajouter, la décolonisation de la Palestine qui, à elle seule peut limiter les ambitions des initiateurs du projet.
Sur le Plan économique, On distingue facilement, les pays qui avancent très vite dans une intégration avec le Nord, à savoir tous les pays non-pétroliers. Deux exemples: le Maroc et la Tunisie, poussent à une intégration rapide de leur économie avec l'UE alors que la Libye cherche à avoir une relation ou son poids de fournisseur d'énergie pèse quant -malgré les exubérances de son "guide" - à devenir un pays rentier comme le Qatar,etc.. La libye peut se permettre ce raisonnement, ce que l'Algérie, autre pays pétrolier/gazier doit y réfléchir et deux fois avant de trouver la bonne direction. L'Algérie est dix fois plus peuplée que la Libye et le développement doit se faire différemment.

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Ci-dessous les réponse d'un économiste algérien(installé à Paris) trouvée sur un site d'un journal algérien.

Peut-on réunir Europe et Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée et instituer un partenariat sur un pied d’égalité entre les pays du pourtour méditerranéen ? Quels sont les soubassements économiques de ce projet ? Que prendra le nord, que gagnera le sud ?

Abdelkader Sid Ahmed, ancien représentant de l’Algérie à la commission économique de l’Opep et conseiller du président Boudiaf pour les réformes économiques nous répond.

Le Courrier d’ Algérie : que peut amener le projet d’Union pour la Méditerranée aux pays de la rive sud ?
Abdelkader Sid Ahmed : très franchement, pas grand-chose, la politique de voisinage et son approche bilatérale ayant gommé tous les aspects positifs de l’approche multilatérale de Barcelone.

Quelles seraient les raisons économiques qui expliqueraient cet engouement soudain du nord pour le sud ? Que cherche -t- on à gagner ?
L’Union méditerranéenne (UM) a été une initiative unilatérale française sans concertation, semble-t-il, tant du nord que du sud, pour des raisons propres au président Sarkozy. La rencontre de Hanovre avec Angela Merkel a abouti à la récupération du projet par la Commission européenne et l’ensemble de l’Europe et le passage de l’UMP à l’Union méditerranéenne (UM). Sauf initiative spectaculaire au sommet de Paris du 13 juillet, on devrait s’en tenir à la politique de voisinage et au bilatéralisme.

Qu’apporte ce projet aux pays ayant d’ores et déjà des accords d’association avec l’Union européenne ?
Pour l’Algérie, ce projet n’apporte rien, ce pays ayant refusé la politique de voisinage, le pays n’est pas concerné par les crédits prévus à cet effet (2007-2012), le gros étant réservé aux premiers venus, en particulier au Maroc, qui bénéficie du statut exceptionnel de «pays avancé».

Ce projet d’union pour la Méditerranée ne serait-il pas motivé également par un impératif de sécurité énergétique ?
L’Algérie dans les conditions actuelles (flambée du prix des hydrocarbures) mais aussi du lourd impact de la crise alimentaire sur un pays parmi les plus dépendants du monde au plan alimentaire, devrait négocier avec l’ensemble de l’Europe un partenariat stratégique (voir projet Russie- Union européenne), lui permettant de nouer avec les pays du nord les accords spécifiques assurant l’aprèspétrole sur la base d’un réel partenariat stratégique et le réinvestissement des surplus financiers pétroliers à travers des fonds souverains à créer dans les secteurs et sociétés de haute technologie, cruciaux pour le développement futur hors hydrocarbures.

Seules la Libye et l’Algérie sont aujourd’hui en mesure de négocier ce type d’accord nord-sud, bien plus fructueux que la politique de voisinage.

Il s’agit là d’une opportunité historique unique et de dernière chance avant l’épuisement inéluctable des hydrocarbures : énergies renouvelables, biotechnologies, recherche-développement et formation, renforcement de la production agricole et alimentaire, eau etc…, constituent notamment des priorités décisives pour des partenariats spécifiques dans le cadre de l’approche multilatérale de Barcelone.

Dans un contexte Euro-Med centré sur le bilatéralisme, l’intérêt national doit primer, l’Algérie dispose aujourd’hui d’atouts – cela ne durera pas – lui permettant d’arracher les concessions nécessaires à la mise en place d’un réel développement durable.
M. A.
Courrier International - 25 mai 2008
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(*) Professeur IEDES- Université Paris I Panthéon Sorbonne Ancien représentant de l’Algérie à la Commission économique de l’OPEP- Ex-conseiller du président Mohamed Boudiaf pour les réformes économiques

Cinq projets phares pour l'Union pour la Méditerranée

Autoroute du Maghreb, dépollution de la Méditerranée, développement de l'énergie solaire ou coopération en matière de protection civile contre les catastrophes: la Commission européenne propose cinq projets phares pour lancer l'Union pour la Méditerranée (UPM).
L'exécutif européen, qui a présenté des propositions censées être approuvées par le sommet fondateur de l'UPM, le 13 juillet prochain à Paris, n'est toutefois pas sur la même longueur d'ondes que la France, à l'origine de l'initiative, sur son pilotage.
Les principaux problèmes politiques qui divisaient profondément les Vingt-Sept ont été plus ou moins réglés au prix d'une révision à la baisse des ambitions françaises.
La France voulait initialement limiter le périmètre de l'UPM aux seuls 22 pays strictement riverains de la Méditerranée, plus le Portugal, la Jordanie et la Mauritanie, ce qui avait suscité la colère de l'Allemagne, qui évoquait une division de l'UE.

Le "processus de Barcelone" entamé en 1995 entre l'UE et les pays de la Méditerranée, qui a déjà permis de signer des accords de libre-échange avec des pays comme la Tunisie, aurait été affaibli par ce projet qui prévoyait aussi de siphonner les fonds communautaires - 4,6 milliards d'euros de 2000 à 2006.
L'appellation choisie - "Processus de Barcelone: Union pour la Méditerranée" - illustre à elle seule les contorsions qui ont été nécessaires pour parvenir à un compromis qui maintienne l'acquis tout en donnant une impulsion à un processus dormant.

Autoroute Nouakchott-Tripoli
L'accord s'est fait selon cinq axes: accent sur la parité Nord-Sud, valeur ajoutée par rapport à Barcelone, participation de tous, coopération régionale, concentration de l'initiative sur des projets concrets et appel à des fonds privés.
Les cinq projets présélectionnés mardi répondent à ce souci de réunir 39 pays où habitent 700 millions d'habitants.
La création d'une autoroute du Maghreb arabe (AMA) reliant la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye est déjà bien avancée sur une base nationale, mais il faudra connecter les réseaux et la Commission insiste sur le fait que, sans libéralisation des échanges, elle servira peu.
L'AMA est surtout susceptible d'attirer des capitaux privés grâce à des péages, d'où l'intérêt pour le projet.
Les autoroutes de la mer, des trajets balisés et reliés à des infrastructures portuaires modernes, est un véritable projet Nord-Sud, pour assurer la fluidité du commerce.

Le projet de dépollution de la Méditerranée à l'horizon 2020 fait quant à lui l'objet d'un plan depuis 2006, mais l'UPM constitue un stimulant pour accélérer la résolution d'un problème grave, la plupart des eaux usées finissant sans traitement dans la mer.

L'idée du plan solaire méditerranéen est de développer une énergie qui serait ensuite importée par l'Union européenne.
Enfin, la coopération dans le domaine de la protection civile est le seul projet qui n'est pas susceptible d'attirer des investissements privés, mais il permettra de mieux lutter contre des fléaux provoqués par le réchauffement climatique.
Les autres projets en cours, comme la création d'une zone de libre-échange euro-méditerranéenne d'ici à 2010 ou la promotion de l'éducation, sont bien entendu maintenus pour permettre au Sud de la Méditerranée de tirer profit du marché européen.

Bisbilles Institutionnelles
L'autre grande innovation de l'UPM est institutionnelle.
La Commission, qui a beaucoup à perdre dans l'exercice, dans la mesure où le pilotage du processus par des sommets tous les deux ans et un secrétariat impliquant le Nord et le Sud, risque de lui échapper, entend marquer son territoire.
Ainsi, les Vingt-Sept ont-ils décidé que l'UPM serait pilotée par deux co-présidents, un du Sud et un du Nord.
Pour le Sud de la Méditerranée, la Commission ne conteste par qu'il devra s'agir d'un chef d'Etat en exercice et la France promeut la candidature du président égyptien Hosni Moubarak.

Mais du côté européen, elle rappelle qu'à partir de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er janvier 2009, les relations extérieures de l'UE seront assumées par le président du Conseil européen et le président de la Commission.
Nicolas Sarkozy présidera donc le premier sommet mais il cèderait la place à ce duo alors qu'il voulait qu'un pays riverain du Nord de la Méditerranée soit co-président.

La localisation du secrétariat qui sera chargé de piloter l'UPM n'est pas précisée - la France pense à Tunis mais Malte et le Maroc sont également candidats - et la Commission veut lui adjoindre un "comité de direction" composé de représentants du Sud et du Nord qui serait, lui, basé à Bruxelles.

Des interrogations subsistent aussi sur la participation des pays du Sud de la Méditerranée au premier sommet.
Si l'Egypte, la Jordanie, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie, l'Algérie, l'Autorité palestinienne, le Liban, la Turquie, la Libye devraient en être, la participation d'Israël risque de réduire cette liste et la Syrie pourrait être absente.

Il s'agit là d'un avant-goût de ce qui risque de se passer lors des sommets de l'UPM qui se dérouleront tous les deux ans: pourront-ils adopter une déclaration politique commune, comme c'est prévu, si le conflit israélo-palestinien persiste?
La Tribune - 20 mai 2008

Méditerranée: Union revue et corrigée

Nicolas Sarkozy devra batailler dur pour démontrer que son Union pour la Méditerranée est plus qu'un mécanisme de coopération amélioré. Dévoilées mardi à Strasbourg, les propositions de la Commission européenne n'ont rien du grand tournant méridional souhaité à l'origine par la France.
Sur le fond, l'architecture de cette Union s'appuiera sur le processus de Barcelone lancé en 1995, et miné par le conflit du Proche-Orient. Les 27 pays de l'UE et les 13 pays riverains de la mer engagés dans ce programme seront rejoints par la Bosnie, la Croatie, le Monténégro et Monaco.

Un sommet euro-méditerranéen se réunira tous les deux ans. Il sera coprésidé par deux personnalités, l'une issue de l'UE et l'autre du sud. Un secrétariat, «qui ne sera pas basé à Bruxelles», selon la commissaire aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, aura la charge de l'animer et surtout de jouer des coudes pour trouver des financements et se tailler une marge de manœuvre: «L'une de ses tâches prioritaires sera de lancer un appel de fonds privés», a reconnu la commissaire.
Plusieurs obstacles Les projets de cette nouvelle Union seront régionaux, l'UE gardant les relations bilatérales - et les budgets qui vont avec - dans le cadre de sa «politique de voisinage».

Quatre axes pionniers, retenus par la Commission, seront soumis au sommet fondateur à Paris, le 13 juillet prochain: la dépollution de la Méditerranée; la construction d'autoroutes maritimes et continentales reliant les pays de la rive sud; un plan pour l'énergie solaire et le développement de capacités en matière de protection civile.

Le futur secrétariat sera aussi chargé de mettre sur pied «un mécanisme de réaction rapide» en cas de catastrophe. Des obstacles continuent toutefois de miner cette architecture institutionnelle. Le premier concerne la cohabitation des pays arabes avec Israël. «Sur quels critères les décisions seront-elles prises?, interroge un diplomate. A chaque fois que l'ombre de l'Etat hébreu apparaîtra, la paralysie sera inévitable.»

Le second porte sur les rivalités de personnes et de lieux. Nicolas Sarkozy s'est ainsi avancé en suggérant récemment d'installer le futur secrétariat à Tunis. Le président français, à qui la Commission propose de coprésider l'Union pour ses six premiers mois, devra par ailleurs composer avec son alter ego méditerranéen. Le nom d'Hosni Moubarak, qui circule, ne fait pas l'unanimité.

Troisième écueil enfin: la Turquie, dont Nicolas Sarkozy refuse l'intégration à l'UE. Ankara, invité à Paris le 13 juillet, n'a toujours pas répondu.
Le Temps - Richard Werly, Strasbourg - Mercredi 21 mai 2008

Projet de L’union pour la méditerranée : Entre rhétorique et hypocrisie

L’initiative sarkozyenne d’une union méditerranéenne (dite UM), devenue union pour la Méditerranée (UPM), fait en ce moment l’objet d’une campagne de lobbying par toute une équipe de spécialistes menée par l’ambassadeur français Le Roy chargé de la promotion du projet UPM.
A Bruxelles, récemment, on a pu noter la présence de Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, qui est un think tank couramment désigné comme étant le laboratoire d’idées de l’UMP.
En effet, le parti avait remis un chèque de 800 000 euros à la création de la fondation qui a ensuite été reconnue d’utilité publique par décret de Jean-Pierre Raffarin. Aujourd’hui subventionnée par de grandes entreprises, elle pose la question du financement indirect et du lobbying des partis politiques par des entreprises. La fondation se défend d’être indépendante...
Pourtant, malgré tous ces gros moyens, il n’y avait pas foule dans le petit auditoire de la faculté Saint-Louis où s’est tenu le colloque. L’ambassadeur Le Roy commence par faire taire les rumeurs, l’UPM ne veut pas tuer Barcelone, mais juste développer ce processus grippé. Pour nous faire comprendre que ce projet est collectif, que chacun peut contribuer à travailler à un meilleur destin de la mare nostrum, il lance publiquement un appel à l’aide à la coopération des universitaires.
Il nous assure même de l’enthousiasme des pays récipiendaires, pratiquement tous prêts à se mettre à plancher sur le projet. « Nous n’attendons plus que le oui du Liban et de la Syrie », explique-t-il sur le même ton que s’il s’agissait de l’organisation d’une grande fête entre amis. Le premier défaut serait qu’il n’y avait pas assez de marge de manœuvre octroyée au secteur privé, Barcelone n’aurait donné la part belle qu’aux ONG et aux politiques publiques, ce qui expliquerait le peu de projets concrets réalisés, mais cette fois-ci, annonce-t-il, il y aura plus de subventions pour plus de visibilité.
Il est vrai qu’en 13 ans d’existence de Barcelone, l’écart entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée demeure le plus fort dans le monde entre deux régions contiguës. Selon lui, les chefs d’Etat arabes ont boycotté la cérémonie de 2005 à cause des défauts de Barcelone…
Faut-il comprendre que les chefs d’Etat arabes sont fâchés contre l’Europe parce qu’elle n’investit pas chez eux ? Parce que les investissements directs à l’étranger ne dépassent pas les 1% de l’UE pour son Sud contre 17% des IDE des USA dans son Sud à elle ? Peut-on nous faire croire que les pays du Sud sont concurrents entre eux pour la réception des investissements directs à l’étranger venant des pays du Nord ?
Que l’Algérie serait jalouse du traitement « offert » par les Etats-Unis au Mexique ? Prenons les choses à l’endroit, les multinationales européennes ont faim et, à l’image de l’Alena, elles aussi aimeraient bénéficier d’une périphérie défrichée qui leur permettrait de bénéficier de privilèges qu’elles ne peuvent plus se permettre sur le territoire européen.

L’architecture de l’UPM
Mais peu importe, l’ambassadeur Le Roy nous assure que, telle que conçue, l’UPM va remédier à tout cela : les IDE augmenteront dans la région et les chefs d’Etat de la rive Sud seront contents et viendront à la prochaine cérémonie...
Pourtant, le bon sens veut que l’on ne structure pas et qu’on ne stabilise pas une région sur la base aléatoire des investissements directs à l’étranger qui se déplacent là où est le profit, puisque ce ne sont pas des êtres moraux... De même, que peut-on espérer de la libéralisation des secteurs agricoles des pays du Sud lorsque l’on sait que l’agriculture européenne fonctionne à gros coups de subventions par la PAC. Le deuxième défaut serait que le partenariat envisagé à Barcelone est structurellement déséquilibré : 27 membres de l’UE hyperorganisés contre des peuples qui ne peuvent compter que sur la Ligue arabe pour défendre et négocier leurs intérêts.
Aujourd’hui, la Ligue arabe est plus faible et plus divisée que jamais. C’est d’ailleurs sur la base de ce constat que semble avoir été imaginée l’architecture de l’UPM et ses mécanismes décisionnels. Il y aura une coprésidence, c’est-à-dire un président provenant de la rive Nord et un président issu de la rive Sud. Cela transformera, nous dit-on, le processus de Barcelone en UPM. Cette coprésidence préparera le sommet et les réunions ministérielles ; elle sera l’impulsion intergouvernementale de l’UPM.
Parallèlement à cette coprésidence sera institué un secrétariat qui serait la force motrice de l’UPM pour proposer des projets concrets.
Quant au financement des projets, M. Le Roy nous expliquait que Barcelone n’était pas assez subventionné, d’où son peu de visibilité. Or il rassure les personnes présentes dans la salle : il n’y aura pas de plan Marshall, les caisses de la commission sont vides, dit-il. En conséquence, cette fois-ci, une grande marge de manœuvre sera accordée au secteur privé. Il évoque la possibilité d’établir des partenariats public/privé ou de solliciter les fonds arabes du Golfe.
Certains projets pourraient avoir un financement communautaire, mais cela dépendra de la nature de l’œuvre. Il insiste surtout sur le rôle de la Banque européenne d’investissement et souhaite la création d’une banque méditerranéenne à l’image de la Banque régionale de développement de Tunis.
Concrètement, dit-il, « un groupe d’Etats se met en tête de dépolluer la Méditerranée, ils devront trouver leur financement. Ce sont les projets qui trouveront leur financement les premiers qui seront mis en œuvre en premier ». C’est donc ça la structure à géométrie variable.
On ne va donc pas s’embêter avec des considérations de solidarité : ceux qui présentent un projet rentable pourront trouver « le soutien » d’une banque ou d’une entreprise… C’est la définition trouvée par l’UPM de « l’intérêt commun ». A titre d’exemple, il propose une autoroute méditerranéenne, un espace scientifique méditerranéen, l’accès à l’eau et le rechargement des nappes phréatiques libyennes, la dépollution de la Méditerranée ou encore un plan solaire méditerranéen...
Que d’ambitions humanistes… Est-ce vraiment pour toutes ces causes que les pays du nord de l’UE se sont sentis lésés d’avoir été écartés par le projet de Sarkozy ? Ou est-ce le privilège d’accès offerts aux multinationales françaises Veolia, Total ou Elf qui fit gronder les Européens du Nord ? Quoi qu’il en soit, l’avantage de ces projets concrets est que la baignade en Méditerranée sera la plus sûre du monde et la plus surveillée aussi... M. Le Roy affirme que, « pour l’instant », la question de l’immigration n’est pas incluse dans le projet.
On peut plutôt penser qu’elle en a été sortie, pour contourner les objections posées par certaines déclarations, comme celle de l’ambassadeur du Maroc à Paris qui affirmait que « si l’agenda de l’UM, c’est freiner l’immigration et lutter contre le terrorisme et s’il s’agit essentiellement de préserver la sécurité de l’Europe, alors je ne pourrai pas vendre le projet à mon pays ».
Dans le même temps, tout en affirmant que cette question n’était pas pour l’instant incluse dans le projet, au même titre que la question sécuritaire, l’intervenant suivant, Jean-Louis de Brouwer, directeur d’Immigration, asile et frontières auprès de la direction générale « Justice Liberté et Sécurité » de la Commission européenne, nous rappelle qu’il y a une diaspora de 15 millions de personnes pour le Maghreb de l’Est, mais que, malheureusement, toutes les élites sont installées aux USA... « Il faudra régler la question de circulation des élites », dit-il. Est-ce une manière de parler indirectement de l’immigration choisie ? Tout est dans la suggestion avec M. de Brouwer, « c’est compliqué tout ça », explique-t-il.
« Parce que créer l’UPM, c’est parler de ce qu’il y a derrière... » Du bout du doigt, il pointe l’Afrique subsaharienne, puis avec son bras, il dessine de grands mouvements censés retracer les flux migratoires… ça monte, ça monte toujours, peut-on comprendre avec ses gestes. « Une frontière, ça rapproche et ça oppose », dit-il. Nous sommes toujours dans le non-dit, mais le message est passé : l’UE va se rapprocher de la Méditerranée, c’est donc à la Méditerranée de s’opposer à ses voisins subsahariens, c’est-à-dire les empêcher de monter, monter, monter...
Amina S. - El Watan - 29 avril 2008

Al Hayat : Union pour la Méditerranée / La réponse syrienne à l’invitation de Sarkozy se fait attendre

Selon le quotidien « Al Hayat », citant des sources diplomatiques arabes, la Syrie est réticente à l’idée de l’Union pour la Méditerranée (UPM), lancée par le président français Nicolas Sarkozy. Damas multiplie les contacts avec les autres pays arabes invités à rejoindre l’UPM pour obtenir des modifications de ses statuts tels qu’ils ont été entérinés par l’Union européenne.
La Syrie estime que la formule actuelle de l’UPM est une manœuvre destinée à permettre à Israël de normaliser gratuitement, sans rien céder dans le dossier de la paix. Aussi, les Syriens protestent contre la présence, au sein de l’UPM, de pays européens non riverains de la Méditerranée, alors que seuls les pays arabes riverains y sont acceptés. D’où, la réponse syrienne à l’invitation adressée par Sarkozy à Bachar Al-Assad, pour participer au sommet de Paris du 13 juillet, qui doit créer l’UPM, tarde à venir.
En outre, la Syrie cherche à modifier le titre de l’UPM et à placer cette Union comme une prolongation du processus de Barcelone, dont l’échec depuis son lancement en 1995 est attribué au blocage du processus de paix. Pour obtenir les concessions espérées, Damas négocie avec l’Union européenne et non pas avec Paris, dans une tentative de priver la France de la paternité de ce projet.
MediArabe.Info - 16 mai 2008

Union pour la méditerranée: les socialistes européens proposent une alternative

Le Parti socialiste européen (PSE) a présenté des propositions destinées à influencer les préparatifs de la Commission pour le sommet euro-méditerranéen prévu à Paris le 13 juillet, dans le cadre de la présidence française de l'UE.
Contexte:
Nicolas Sarkozy a été le premier à émettre l’idée d’une Union méditerranéenne pendant sa campagne électorale en 2007, en proposant que cinq pays d’Afrique du Nord (le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye) et cinq Etats membres (la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et Malte) s’unissent afin de faire progresser la coopération dans la région. (EurActiv.fr 18/07/08)
L’initiative a reçu le soutien de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce, mais a été lourdement critiquée par l’Allemagne, qui tient à s’assurer que la nouvelle union ne concurrence pas l’UE ou le partenariat euro-méditerranéen (dans le cadre du « processus de Barcelone »).
Néanmoins, en mars 2008, la chancelière allemande, Angela Merkel, a apporté son soutien au projet de M. Sarkozy, celui-ci lui assurant en échange que cette union concernait les 27 Etats membres. Le projet final, appelé « Union pour la Méditerranée », a été soutenu par les dirigeants de l’UE lors du Conseil européen de mars dernier – bien que la version ait été assouplie (EurActiv.fr 05/03/08).
Le « processus de Barcelone » a un champ d’application plus large mais n’est jusqu’à présent pas parvenu à répondre aux attentes en raison du manque de volonté dont font preuve les voisins du sud de l’UE pour collaborer les uns avec les autres.


Enjeux :

Les socialistes européens ont déclaré à EurActiv que la proposition dévoilée le 14 mai était une réponse à « l’Union pour la Méditerranée » voulue à l’origine par le président français.
La vice-présidente du groupe socialiste au Parlement européen, Pasqualina Napoletano, a qualifié les propositions de M. Sarkozy de « volontaristes », tout en estimant que celles-ci n’étaient « pas très claires ». Elle a également mis en garde contre l’hégémonie nationale et les tentatives visant à réinventer la Méditerranée, ajoutant que Nicolas Sarkozy n’avait probablement pas entendu parler du « processus de Barcelone » en présentant ses propositions.
Cependant, Mme Napoletano a adopté un ton plus positif concernant l'évolution actuelle des relations méditerranéennes.
Le document qu’elle a présenté souligne la nécessité de surmonter les « peurs hystériques » sur l’immigration, selon ses propres termes. Elle estime que l’Europe devrait plutôt se concentrer sur des stratégies à long terme pour ses projets, en stimulant l’emploi dans ses pays partenaires du sud et en réduisant le fossé social entre le Nord et le Sud.
Elle a également insisté sur la nécessité d’aider la société civile et les forces politiques démocratiques dans le sud de la Méditerranée. En outre, les socialistes ne souhaitent pas que la candidature turque à l’UE soit remplacée par un partenariat méditerranéen. Mme Napoletano a déclaré que le PSE avait en fait des liens politiques très étroits avec l’AKP au pouvoir, le parti du premier ministre turc Erdogan.
Le PSE souhaite que le Parlement européen soit consulté sur la création d’organes permanents pour la coopération euro-méditerranéenne. Il insiste également sur la nécessité de donner à cette coopération une véritable dimension parlementaire, en s’appuyant sur l’instance actuelle, l’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM).

Positions:
Dans un document non officiel, la Commission européenne propose une co-présidence (renouvelable tous les deux ans) et des sommets bi-annuels. Du côté de l’UE, la présidence coïnciderait avec le mandat du président permanent du Conseil, dans l’éventualité où le traité de Lisbonne est approuvé.
La Commission propose également de mettre en place un secrétariat permanent, laissant aux Etats membres le choix de décider si ce secrétariat s’occuperait uniquement de la gestion du projet ou également de la préparation des sommets et des rencontres ministérielles. Reste aussi à établir l’emplacement géographique du secrétariat (dans l’UE ou dans les pays partenaires). A ce sujet, la France aurait déjà suggéré Tunis (EurActiv.fr 01/04/2008).
Les partenaires méditerranéens éliraient leurs co-présidents par consensus. Cette procédure vise sans doute à empêcher certains chefs d’Etat dont l'élection a été controversée de s’emparer de cette fonction élevée.
L’eurodéputé (PSE) Carnero Gonzalez Carlos, également coordinateur à l’APEM, souhaite que le sommet du 13 juillet à Paris soit plus qu’un « feu d’artifice ». Il a ajouté qu'aujourd'hui, seul le Parlement européen était capable de prendre des positions critiques à l’égard du nouveau président français.
Euractiv - 16 mai 2008

Union pour la Méditerranée : Quel rôle pour l’Algérie ?

Une réunion ministérielle des pays arabes concernés par le "processus de Barcelone" est prévue au Caire, le 24 mai afin de se concerter sur l'initiative française de création de l'"Union pour la Méditerranée".
A noter que le président français, Nicolas Sarkozy, veut lancer le 13 juillet l'Union pour la Méditerranée, un projet de partenariat entre l'UE et ses voisins du sud de la Méditerranée. Outre les Palestiniens, neuf pays arabes sont concernés par le dialogue euro-méditerranéen de Barcelone, lancé en 1995 par l'Union européenne en direction des pays du Sud : l'Egypte, la Libye, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, la Mauritanie, la Syrie, la Jordanie et le Liban.
Si les pays voisins, notamment l'Egypte et la Tunisie, veulent jouer un rôle pilote dans le projet de l'Union pour la Méditerranée, l'Algérie reste distante sur ce projet, d'autant qu'elle n'a pas encore tranché sur ce dossier qui manque d'éclairage et de précisions sur sa mission et son fonctionnement.
Même si la France parle d'un rassemblement dans lequel les pays de la Méditerranée peuvent coopérer d'une manière plus efficace dans tous les domaines, notamment dans l'économie, la sécurité, la circulation des personnes en se base toujours sur le principe de réservation des intérêts communs des deux rives.
La France a montré son intérêt au soutien de l'Algérie à ce projet, un intérêt manifesté depuis le premier déplacement du président français en Algérie après son élection, lors duquel il a fait part au président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, de son projet de la mise en place de l'Union pour la Méditerranée.
Le président Sarkozy avait proposé à l'Algérie, lors d'une visite officielle en décembre, de construire "l'Union méditerranéenne" sur la base de "l'amitié franco-algérienne".
Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, est attendu demain en Algérie afin d'aborder avec les responsables algériens le dossier de l'Union pour la méditerranée. Selon un communiqué publié par le ministère français des Affaires étrangères, "le principal objectif de ce déplacement est d'aborder avec nos partenaires algériens le dossier de l'Union pour la Méditerranée, dont l'Algérie doit être un acteur majeur ".
M. Kouchner "sera porteur d'un message du président" Nicolas Sarkozy. Cette visite intervient après celle de la ministre de l'Intérieur, Mme Alliot Marie, qui a, en dehors de la coopération sécuritaire, porté un message du président français au président Bouteflika.
La responsable française a déclaré, dans une conférence de presse à l'issue de sa visite en Algérie, que rien n'a été réparti pour le lancement du projet de l'Union pour la Méditerranée, en assurant que chacun aura sa part. Elle a tenu à affirmer également que l'Algérie aura un rôle stratégique dans cette union en étant un grand pays dans la région.
En dehors du dossier de l'Union pour la Méditerranée, les relations bilatérales franco-algériennes seront également à l'ordre du jour de la visite de Kouchner, puisque la visite du responsable de la diplomatie française s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route initiée par le chef de l'Etat et le président français, six mois après la première visite d'Etat de Nicolas Sarkozy en Algérie.
Par ailleurs, cette visite sera l'occasion d'aborder l'ensemble des questions régionales et internationales.
Nacéra C. Le Maghreb - Quotidien de l'Economie - 16 mai 2008

Union pour la Méditerranée. Le Maroc se positionne

A moins d'un mois du Sommet de Paris, c'est à Fès qu'il sera question d'une grand-messe de l'Union pour la Méditerranée. Rabat prend les devants.
Le Maroc ne veut pas rester à l'écart de l'Union pour la Méditerranée, projet défendu bec et ongles par le président français et dont le début de concrétisation sera le mois de juillet prochain à Paris, lors du sommet qui réunira les chefs d'Etat des deux rives.C'est ainsi que se tiendra à Fès, du 3 au 5 juin prochain, un congrès international autour de l'Union pour la Méditerranée organisé à l'initiative de plusieurs partenaires marocains et étrangers dont la mairie de la capitale spirituelle, la Fondation Esprit de Fès, le Forum de Paris et le ministère des Affaires étrangères, entre autres.
Cerise sur le gâteau, ce congrès international est placé sous le haut patronage de Mohammed VI et le thème choisi renseigne à lui seul sur l'importance d'un tel conclave : «Quelles conditions pour quelles perspectives ?». De même que la très longue liste de personnalités invitées à s'exprimer lors de ce qui ressemble à un think-tank sur l'initiative de Nicolas Sarkozy.Parmi les dizaines d'invités, on retrouve une palette de responsables gouvernementaux marocains et français, ainsi que des personnalités du monde de la politique, des médias, de l'associatif et des milieux d'affaires...
Pour ne citer que quelques noms, aussi bien Alain Juppé, Amr Moussa, Roland Dumas que Alain Le Roy seront de la partie. Du côté marocain, Taïeb Fassi Fihri, Latifa Akherbach, Salah Eddine Mezouar, Mustapha Bakkoury, Driss Benhima et Hassan Abouyoub sont appelés à intervenir autour de plusieurs thématiques intéressant les deux rives.
Pourquoi Fès pour abriter une telle rencontre, soit la deuxième plus importante après celle de mars dans la capitale française ? «Il sera question, entre autres, de préparer le Sommet de Paris, et Fès a l'habitude d'organiser de telles grandes rencontres», répond Hamid Chabat, maire istiqlali de la capitale Spirituelle. «Il ne faut pas oublier que des décisions de première importance ont été prises à Fès et là, il sera question de réfléchir à l'avenir des deux rives de la Méditerranée», ajoute Hamid Chabat qui promet des «surprises de gros calibre» lors de ce congrès. «Nos enfants ont trop perdu avec l'ouverture de l'Union européenne sur les pays de l'Est et il ne faut pas rater les opportunités que pourraient apporter une telle Union», conclut le maire de Fès qui indique que cette ville demandera officiellement à abriter une université méditerranéenne ouverte aux étudiants des deux rives.
«La position du Maroc est claire et elle a été exprimée par le Souverain lors de la visite au Maroc de Sarkozy. Pour nous, il s'agit d'une union de projets pour le bien et la stabilité de tous les pays», indiquait, il y a quelques semaines, un haut diplomate marocain.
Ayant défendu ce dessein depuis qu'il était encore candidat à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a dû revoir tout son discours pour rassurer ses partenaires européens, notamment les Allemands et les Britanniques qui jugeaient, grosso modo, qu'une telle union remettrait en cause les intérêts des pays de l'Union européenne.
Du côté arabe, les seuls pays à avoir fait montre de résistances sont la Libye et la Syrie qui avaient émis des réserves quant à une Union de la Méditerranée qui ouvrirait la porte à une normalisation entre les pays arabes de la région et Israël. Cette fois, la course contre la montre est engagée pour de bon.
Le congrès de Fès donnera le ton avant le rendez-vous décisif de Paris.

Quand Sarko brouille les pistes
Nicolas Sarkozy promet monts et vallées là où il se déplace. II fait les yeux doux à Alger avant de s'épancher en louanges à l'endroit de Rabat et de conclure à Tunis en faisant miroiter aux autorités de ce pays l'éventualité pour l'Union pour la Méditerranée d'élire le siège de son secrétariat dans le pays de Ben Ali. Ce qui n'a d'ailleurs pas été sans attirer à Nicolas Sarkozy les foudres de son opposition et des milieux de défense des droits de l'Homme.
Dans ces récente déclarations, c'est Bernard Kouchner qui y va de sa petite note en expliquant que l'Union pour la Méditerranée aura une double présidence: un président de la rive Sud aux côtés d'un autre de la rive Nord, L'autre schéma retenu est que cette double présidence soit assurée de manière qu'il y ait alternance entre les pays des deux rives.
A en croire Bernard Kouchner, le patron du Quai d'Orsay, Hosni Moubarak serait pressenti pour être le premier со-président pour la rive Sud.
En attendant, le 13 juillet prochain, se tiendra le Sommet de Paris pour définir les contours de cette union et surtout clarifier les responsabilités et les engagements de chacun des partenaires. En gros, le scénario final sera «un peti plus que le processus de Barcelone, mais moins que l'Union européenne», selon la formule qui a fini par s'imposer dans les milieux diplomatiques français.
«J'étais au Maroc il n'y a pas longtemps et M. Moubarak était en France. Les choses bougent», déclarait récemment Bernard Kouchner.
Mohammed Boudarham Source: Le Soir Echos - 7 mai 2008

Les transports, du concret pour la Méditerranée !

Pour Jacques Barrot, le commissaire européen chargé des Transports et vice-président de la Commission européenne explique pourquoi le secteur des transports peut servir de modèle pour la consolidation du partenariat euroméditerranéen.
Dès le début du processus de Barcelone, le secteur des transports a été identifié comme l'une des priorités du partenariat euroméditerranéen.
À l'heure où l'Union européenne a pris la décision de donner une nouvelle impulsion au partenariat euroméditerranéen, j'ai la conviction que le secteur des transports, sur la base du travail déjà engagé, peut être un creuset très fertile pour la consolidation et l'émergence de projets très concrets.
Quatre dossiers majeurs viennent à l'esprit.

Il faut renforcer la sécurité maritime en Méditerranée. Près de 20 % des pétroliers et 30 % des navires marchands du monde circulent en Méditerranée ! Accroître la sécurité maritime, dont le niveau varie fortement selon les États, est primordial compte tenu de l'importance du trafic et de la fragilité particulière de cette mer presque fermée.

Il convient pour cela d'appliquer pleinement les exigences de sécurité et de sûreté maritime figurant dans les réglementations de l'Organisation maritime internationale et de l'Organisation internationale du travail. Un programme de formation et d'assistance technique pourrait être mis en place sous l'égide de l'Agence européenne de sécurité maritime (EMSA).

L'Union européenne doit également se doter de navires capables d'intervenir efficacement lors de marées noires, en retirant le pétrole de la mer avant qu'il n'atteigne le rivage. L'EMSA, dans le cadre de son plan d'action contre la pollution par les hydrocarbures, a été chargée de créer un réseau de « bateaux-pompes ». Mais l'Union, en cas de catastrophe maritime en Méditerranée, se heurterait au paradoxe de ne pas pouvoir aller pomper le pétrole qui serait répandu dans les eaux des pays tiers, alors même que les nappes dériveraient vers les côtes européennes. Pourquoi ne pas élargir le champ d'intervention de l'EMSA à l'ensemble des pays du pourtour de la Méditerranée ? Cette mesure traduirait concrètement la solidarité de l'Union européenne et une proposition en ce sens pourrait être présentée d'ici à 2009.

Le développement des autoroutes de la mer dans le bassin méditerranéen revêt une importance cruciale.
Les passages de massifs montagneux, très présents dans le Sud méditerranéen (Alpes, Pyrénées, Balkans), sont particulièrement sensibles. Les autoroutes de la mer permettraient de soulager les grands axes autoroutiers et de lutter contre les pollutions induites par les flux de camions, en embarquant à bord de navires des camions complets ou leurs remorques.

Ces projets ont besoin d'un support politique fort afin de mobiliser tous les acteurs de la chaîne de transport et de surmonter la complexité des questions de transbordement, pour assurer la qualité et la fréquence du service sur laquelle se fonde l'intérêt du concept.

Pour permettre le lancement effectif des liaisons d'ici à la fin 2009, il convient d'identifier et de sélectionner au plus vite les liaisons les plus pertinentes entre les différents ports du pourtour méditerranéen, mais aussi de l'Atlantique et de la mer Noire. Dans l'intervalle, pour faciliter l'élaboration des plans de financement, je souhaite proposer le relèvement des plafonds d'aides nationales, en les alignant sur ceux du programme européen d'interopérabilité Marco Polo.

Troisième champ d'action : la réalisation d'un espace aérien commun euroméditerranéen. Le trafic aérien entre les pays du pourtour méditerranéen et l'Union européenne s'élevait à 35 millions de passagers en 2006, avec un taux moyen de croissance de 2,8 %.

Il y a matière à développer ces échanges, comme en atteste l'accord aérien exemplaire établi entre l'Union Européenne et le Maroc, qui a d'ores et déjà permis à ce pays d'accroître ses vols réguliers vers l'Europe de plus de 30 % en 2007, et propose aux familles des deux rives de la Méditerranée des offres plus nombreuses à un meilleur prix.

L'Union européenne doit se fixer pour objectif la réalisation d'un espace aérien commun en Méditerranée, en présentant en 2009 un projet de mandat. Cet espace devrait reposer sur la conclusion d'accords aériens euroméditerranéens, qui permettront la convergence réglementaire, l'ouverture commerciale du marché mais aussi le plus haut degré de sécurité, de sûreté et de respect de l'environnement.

Étendons aux villes de la rive sud de la Méditerranée la mobilité urbaine durable. L'Afrique du Nord et le Moyen-Orient enregistrent un taux d'urbanisation qui dépassera 70 % dès 2015. C'est l'un des plus forts du monde.
La question urbaine se retrouve donc au cœur des grands enjeux de la région, qu'il s'agisse d'accès au logement, d'éducation, d'environnement, d'équipement en réseaux d'assainissement, d'accès à l'eau, et bien sûr de lutte contre la congestion et la pollution liées au transport individuel.

Des plans de transports métropolitains durables, visant le transport de passagers comme le fret, constitueraient une base solide pour une planification efficace de la mobilité urbaine dans les grandes cités du pourtour méditerranéen. Un projet pilote euromédi- ter­ranéen pourrait également être lancé sur le modèle du programme Civitas, qui regroupe 36 villes européennes autour de la mise en place de systèmes innovants pour un transport urbain propre et économe en énergie. Cette initiative pourrait être le laboratoire permettant de préparer, en vue des prochaines perspectives financières, un programme urbain et régional de convergence euroméditerranéenne, fort de notre expérience de soutien aux zones européennes en difficulté.

À bien des égards, la relation de l'Union européenne avec ses voisins du pourtour méditerranéen est un élément clé de la stabilité mondiale. Mais, d'une part, la coopération régionale entre pays du sud de la Méditerranée est très insuffisante. D'autre part, le partenariat euroméditerranéen doit retrouver un nouvel élan.

Je crois de toutes mes forces à l'Europe des projets concrets. L'histoire à montré, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier à la politique de solidarité régionale, qu'elle est source de progrès, de stabilité, d'échanges fructueux entre les États.

C'est dans cet esprit, fidèle à la vision de Jean Monnet, que j'ai récemment présenté un projet de mandat pour une communauté des transports entre l'Union européenne et les pays des Balkans occidentaux. C'est dans cet esprit que la Commission européenne pourrait étudier la faisabilité d'un projet similaire étendu à toute la Méditerranée. C'est dans cet esprit que les chantiers concrets que je viens d'énumérer doivent être lancés.
Le Figaro Débat - 13 mai 2008

Les patrons veulent traverser la mer

Gouvernements sceptiques, patrons enthousiastes. Les entrepreneurs sont très favorables au projet d'Union pour la Méditerranée (UPM), selon une étude Ipsos dévoilée hier par la CGPME. Plus de 900 chefs d'entreprises ont été interrogés en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Espagne, en Italie et en France. Plus de 75 % des patrons estiment que l'accomplissement de ce projet les inciterait à un partenariat privilégié avec d'autres entreprises de l'Union pour la Méditerranée.
Et près de 55 % envisageraient d'installer tout ou partie de leur activité dans un autre pays de l'UPM. Pour les entrepreneurs, la France apparaîtrait comme le pays le plus attractif (21 % de choix), devant l'Espagne (12 %) et l'Italie (11 %).

« Ce projet est aussi une opportunité de soutenir et sécuriser les échanges », note Gérard Mongereau, président de la CGPME 13. Les entrepreneurs réclament notamment une chambre de commerce dédiée à l'UPM, la création d'une banque d'investissement et l'harmonisation des normes comptables.
Lancée par Nicolas Sarkozy, l'UPM pourrait potentiellement englober une vingtaine de pays, et Marseille mène une campagne de lobbying pour en accueillir le siège. Confronté à la fronde des autres pays européens, qui y voient un projet parallèle à l'Union européenne, Nicolas Sarkozy a cependant dû tempérer ses ambitions. Un sommet des chefs d'Etats euroméditerranéens, prévu à Marseille mais qui aura finalement lieu à Paris, devrait préciser le contenu de l'UPM le 13 juillet.
Frédéric Legrand - Journal 20 minutes -16 mai 2008

L’Union pour la Méditerranée dans le miroir de la construction européenne

Le Forum de Paris a consacré ses travaux de mars 2008 au projet d'Union méditerranéenne autour de la question « pour quoi faire et comment ? ». A quelques semaines du lancement officiel du projet d’Union pour la Méditerranée (UPM), les interrogations ont implicitement porté sur la crédibilité du projet et ses conditions de réussite : n’est-elle qu’une ambition esthétique sans contenu, ou au contraire un réel projet d’avenir précurseur d’une renaissance méditerranéenne ?
Pendant trois jours, les débats se sont notamment concentrés sur deux principales questions : le projet d’Union pour la Méditerranée est-il utopiste ? Quelle stratégie devons-nous mettre en œuvre pour répondre aux enjeux communs des Etats de la Méditerranée ?

Puissance de l’utopie et impuissance de l’utopisme

Le projet d’Union pour la Méditerranée aujourd’hui en discussion est la résultante d’un échec (le processus de Barcelone), d’un besoin (la résolution des déséquilibres, des tensions et des inégalités du pourtour de la Méditerranée pour constituer une zone de croissance et de stabilité), et enfin d’une proposition (celle de Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2007 visant à « faire pour l'union de la Méditerranée ce qui a été fait pour l'union de l'Europe »).

Pourtant, parce que les conditions de l’échec du processus Euromed ne sont pas dépassées, que les besoins se sont accentués et que la proposition française est apparue trop ambitieuse, le projet d’Union pour la Méditerranée fait débat. Sa pertinence et sa viabilité sont mises en cause, certains le soupçonnant même d’être un vœu pieu incrusté dans la grandiloquence des discours. C’est pourquoi les travaux du Forum ont largement débattu du caractère raisonnable du projet au regard de la permanence des obstacles et du caractère apparaissant utopique de la proposition française.

Il n’est en ce sens pas anodin que le discours d’ouverture prononcé par Jacques Attali (« La Méditerranée, ou l’ultime utopie ») interroge le caractère utopique du projet. Cette interrogation a plus largement traversé l’ensemble des débats.

A cette occasion, J. Attali fait assaut de réalisme et dénonce successivement le lyrisme concevant la Méditerranée comme « berceau de la civilisation », mais aussi la dimension idéologique de la conception imposée par les peuples du Nord au Sud faisant de la Méditerranée un mythe.

Méthodiquement, il déconstruit la mythologie de la Méditerranéenne, de son unité et de sa puissance, mais aussi de son exceptionnalité dans son apport au monde et dans sa matrice pour la civilisation. Au contraire, il met en évidence que la Méditerranée est avant tout dans le présent une illusion car les divisions, les rivalités et la violence prévalent, comme un microcosme des déséquilibres du monde. Au regard du passé, une nostalgie : « la Méditerranée n'existe plus » ; si elle demeure une puissance démographique, elle subit un effondrement économique passant de 20% du PIB mondial au début du XIXe siècle contre 11% aujourd’hui. Et pour l’avenir, une bombe à retardement du fait du différentiel démographique et de l’accroissement des inégalités, pouvant générer un risque de balkanisation.

Dans les débats, Gilles Kepel (Sciences Po) lui fait écho : la Méditerranée est un non-concept qu’il faut dépasser. Il oppose le paradigme de Venise : ce qui compte, c’est sa capacité à générer un trait d’union.

Pour autant, J. Attali ne veut pas renoncer à l’utopie d’un projet méditerranéen qu’il considère comme « l’utopie ultime ». Mais il met en garde contre tout angélisme et appelle donc implicitement à faire la mesure de ce qui relève de l’utopisme et de l’utopie, ce qui n’est pas sans rappeler Paul Ricoeur : « L’utopie se fonde sur le mépris pour la logique de l’action (...) et l’incapacité foncière à désigner le premier pas qu’il faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du réel existant (...). La logique du tout ou rien remplace la logique de l’action » (Du texte à l’action, 1986).

Sur les modalités : il doit s’agir d’un projet d’ « alliance » où toutes les parties sont également parties prenantes à la décision est le seul processus digne de développement : « Tout ce qui est dans l’octroi ne fonctionne pas, tout ce qui est dans la coopération fonctionne ». Sur le fond, il doit s’agir d’un projet « de maintien, de développement de nos valeurs et d’abord de la valeur de la liberté individuelle ». Il doit s’enraciner dans des projets concrets : développer des projets ville à ville, entre les villes du nord de la Méditerranée et les villes du sud de la Méditerranée et donner priorité aux ports (Tanger/Tunis, un grand port de l’est Gaza/Liban/Israël) ; faire une mer propre. Il identifie une condition institutionnelle (une police pour faire respecter le droit) et financière (un impôt commun dont l’assiette serait le trafic maritime à l'intérieur de la Méditerranée).

La méthode communautaire comme modèle pour l’espace méditerranéen

C’est ainsi logiquement qu’un deuxième axe de réflexions a porté sur la stratégie à adopter pour permettre le succès de l’UPM.

Les thèses en jeu ne sont pas sans renvoyer aux débats sur la construction européenne dans les années 1950. Quand Jacques Attali parle de la Méditerranée comme « ultime utopie », il n’est pas sans rappeler l’essai de Dominique Wolton sur l’Europe après Maastricht, La dernière utopie. Naissance de l’Europe démocratique (1993) ou les analyses d’Ulrich Beck voyant dans l’Europe, la « dernière utopie politiquement active ».

Faisant le lien entre les deux constructions – européenne et méditerranéenne, Alain Lamassoure (député européen, PPE) a essayé de dégager des enseignements de la construction européenne pouvant utilement servir l’UPM. Première leçon : le projet de rassemblement a une vertu pacificatrice ; si la paix ne tient pas à la seule construction européenne, cette dernière permet la profondeur de la réconciliation entre les peuples. Son succès réside dans une règle non écrite des traités voulant privilégier l’avenir sans ne plus ressasser le passé, souvent conflictuel. Deuxième leçon : la préférence communautaire a permis à chaque Etat de s'ouvrir aux pays voisins avant de s'ouvrir au reste du monde. Pour lui, ce principe faussement banal constitue la clé d'un rassemblement. Troisième leçon : certaines procédures de décision fâchent, d’autres réconcilient : les procédures de vote à la majorité divisent car risquent de stigmatiser les divergences et d’affecter l’amour-propre national, alors que la procédure parlementaire transnationale permet de diluer les oppositions.

Face à l’ampleur du défi et la longue liste des obstacles structurels qui ont d’ailleurs conduit à l’échec relatif du processus Euromed, le débat oppose les tenants de l’intégration politique à ceux d’une intégration par des réalisations concrètes sur des projets communs essentiellement de nature économique ou sociale. Un consensus semble se dégager à travers les tables rondes pour privilégier une construction pragmatique. J. Attali appelle, « au-delà de ces rêves utopiques, (à) se donner quelques projets simples, quelques projets concrets qui puissent véritablement nourrir une construction commune ». Difficile de ne pas entendre l’écho de Robert Schuman déclarant en 1950 que « l’Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait ».

Ainsi, Olivier Pastré (IM Bank) défend la thèse selon laquelle l’échec du processus de Barcelone s’explique par sa dimension trop politique et trop large ; au contraire, il faut désormais changer de stratégie et choisir le développement préalable des échanges économiques.

François Heisbourg (IISS) analyse du point de vue stratégique la singularité de l’espace méditerranéen marqué par l’accumulation de tensions stratégiques anciennes Sud/Sud (Algérie/Maroc, Syrie/Liban, Israël/ Palestine) plus que par des clivages Nord/Sud. Dès lors, il estime que l’UPM doit ne pas privilégier les questions sécuritaires mais au contraire se focaliser sur les aspects humains, économiques et sociaux.

C’est aussi l’analyse de Gilles Kepel, qui estime que la politique ne doit pas être au poste de commande : il souligne que l’UPM émerge au moment de l’échec du projet américain de Broader Middle East, ce qui enseigne qu’on ne peut pas accoucher de changement économique et social par le politique. Au contraire, la bonne méthode est celle de la CECA/CEE.

Une série de recommandations concrètes

Le Forum de Paris a conclu ses travaux en formulant dans une déclaration finale des propositions concrètes visant à alimenter le débat en cours sur le format institutionnel, les objectifs et le contenu du projet d’UPM.
Sur la méthode
1/ organiser préalablement un sommet Sud-Sud pour que les responsables politiques coordonnent leurs attentes et leurs positions avant la conférence de Paris ;
2/ créer un comité des Sages pour réfléchir en toute indépendance sur le projet d’Union pour la Méditerranée, ses contours et ses contenus.

Sur le modèle institutionnel, des institutions légères et souples
1/ Création d’une OCDE méditerranéenne sur le modèle de l’organisation mondiale réservée aux pays industrialisés ;
2/ Institution d’une Conférence permanente pour la paix et la sécurité en Méditerranée, sur le modèle d’Helsinki ;
3/ Création d’un Fonds d’investissement pour le développement en Méditerranée, à capitaux paritaires ;
4/ Création d’organes thématiques : Observatoire des populations, des migrations et de la régulation des mouvements des personnes, Conseil permanent des régions méditerranéennes pour favoriser les coopérations transversales au niveau des régions et des villes.

Propositions en termes de contenu sur quelques secteurs prioritaires
1/ Mouvements migratoires : mise en œuvre d’un système de visas de longue durée pour trois catégories de personnes : travailleurs qualifiés, travailleurs saisonniers, retraités ;
2/ Enseignement supérieur : propose la création d’un programme Erasmus méditerranéen et à terme, la création d’une université méditerranéenne de plein exercice (avec possibilité d’essaimer plus tard dans plusieurs villes du Nord et du Sud) ;
3/ Formation professionnelle : programme de formation gérés par des Agences (Agence de formation professionnelle pour favoriser une immigration qualifiante appelée à servir au pays ; Agence de promotion de formations courtes dans les métiers de l’eau, de l’énergie, du bâtiment, des transports, de la communication et de l’agriculture).
Thomas Kurkdjian - La Nouvelle Europe - 4 mai 2008

Union pour la Méditerranée : Paris peine à convaincre tous les chefs d'Etat arabes

Le projet de Nicolas Sarkozy d'"Union pour la Méditerranée" (UPM), qui doit être lancé le 13 juillet lors d'un sommet à Paris, risque de se heurter aux mêmes difficultés que le "processus de Barcelone" lancé par les Européens en 1995 en direction des pays de la rive sud : les tensions au Proche-Orient et la défiance des dirigeants arabes à l'égard d'Israël.
Certains chefs d'Etat arabes ont fait part de leurs réticences à participer à un sommet auquel doit être convié le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, au moment où la situation continue de se dégrader à Gaza et où le processus de paix apparaît dans l'impasse.
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a fait savoir qu'il ne viendrait pas, expliquant qu'il lui serait impossible de s'asseoir à la même table qu'Ehoud Olmert. La participation du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n'est pas assurée : sans exclure de venir, il a indiqué que sa décision dépendrait de la situation au Proche-Orient.

La question de la présence du président de la Syrie, Bachar Al-Assad, reste ouverte. Viendra-t-il ? "Cela varie de jour en jour", commente un responsable français. Le 30 décembre 2007, M. Sarkozy avait annoncé la suspension des contacts politiques à haut niveau avec le régime syrien, pour protester contre les blocages politiques au Liban. Cette décision, souligne-t-on à Paris, n'empêchera pas une invitation d'être adressée, mais M. Sarkozy évitera d'avoir un entretien bilatéral avec son homologue syrien en marge du sommet.

Des diplomates français constatent que l'image "pro-israélienne" de M. Sarkozy et de son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, complique la donne. Le président français doit effectuer une visite en Israël fin juin, deux semaines avant le sommet de l'Union pour la Méditerranée. Elle sera attentivement suivie par les dirigeants arabes, ainsi qu'une autre échéance : le 16 juin, dans une démarche appuyée par la France, l'UE devrait offrir un partenariat renforcé à Israël.

Pour convaincre les hésitants de venir au sommet méditerranéen, M. Sarkozy a demandé au président égyptien Hosni Moubarak (qu'il a reçu le 22 avril à l'Elysée) de jouer les médiateurs, notamment auprès du colonel Kadhafi. "Le président Moubarak a dit qu'il ferait tout pour que la rive sud soit représentée au plus haut niveau", commente-t-on à l'Elysée.

Le président égyptien, auquel pourrait être offert la "coprésidence" de l'UPM, aux côtés de M. Sarkozy, a été particulièrement courtisé par Paris. De même que le président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali : les officiels français lui font miroiter la création, en Tunisie, d'un secrétariat de l'UPM (l'Allemagne est toutefois réticente). Le roi du Maroc, Mohammed VI, a cherché, de son côté, à obtenir des assurances avant de confirmer sa présence. Il voulait que rien ne puisse entraver l'obtention par son pays d'un "statut avancé" auprès de l'UE. La France a plaidé au sein de l'UE pour ce statut qui privilégie le Maroc.

"Le problème de la présence des chefs d'Etat arabes le 13 juillet dépend largement de celle d'Olmert", commente un connaisseur du dossier à Paris. "On n'est pas dans la même configuration qu'en 1995, quand le processus de Barcelone était né des espoirs liés aux accords d'Oslo. Si la situation empire à Gaza, les négociations seront difficiles pour le sommet."

Le 8 avril, lors d'une réunion à Bruxelles de hauts fonctionnaires du "processus de Barcelone", les pays arabes ont insisté pour que les questions politiques et le processus de paix ne soient pas délaissés au sein de l'UPM. Les représentants français, ce jour-là, auraient préféré discuter de projets concrets, comme la dépollution de l'eau ou la création d'un espace universitaire méditerranéen.
Natalie Nougayrède (avec Philippe Ricard à Bruxelles) - Article paru dans Le Monde du 03.05.08.

Les relations euro-méditerranéennes et la Turquie dans l’Union pour la Méditerranée

Proposé par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle, le projet de l’Union méditerranéenne devait rassembler les pays du pourtour méditerranéen. Outre-rhin, Angela Merkel a manifesté sa réticence dès l’annonce d’une union proposée aux seuls Etats riverains de la mer Méditerranée et qui ne serait pas construite au sein de l’UE. Dans un premier temps, le projet français n’a pas non plus enthousiasmé Bruxelles qui a pourtant conscience qu’un manque reste à combler dans la politique euro-méditerranéenne. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont finalement parvenus à trouver une proposition commune le 3 mars 2008 sur un projet non plus d’Union de la Méditerranée, mais d’Union pour la Méditerranée. Lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, les 27 Etats membres se sont mis d'accord sur la création d'une "Union pour la Méditerranée", qui sera lancée officiellement à Paris le 13 juillet 2008.

La Méditerranée est perçue comme un vaste territoire aux contours mal définis. Aussi, l'action politique en Méditerranée s'inscrit sur le terrain des réalités concrètes et matérielles, mais avec une portée symbolique considérable. Cet espace apparaît à la fois comme le territoire de toutes les confrontations et comme un ensemble uni et rêvé. Dans une mémoire commune fracturée par de nombreux conflits, elle est ressoudée par des rencontres au fil des siècles. L’Union pour la Méditerranée est-elle vraiment un appel à la rencontre de demain ? Quelle y sera la place de la Turquie ?

La Méditerranée dans l’imaginaire collectif

Au-delà des nombreux conflits persistants en Méditerranée et cela malgré des processus de paix et des tentatives de stabilisation, l’obstacle principal reste dans les têtes. Il provient de l'imaginaire de la peur, du "choc des civilisations" qui oppose l'Islam et l'Occident et qui ne permet pas à la Méditerranée de jouer un rôle de médiation entre l'Europe et le monde arabe. Choc des civilisations ou partenariat euro-méditerranéen : ce sont les Méditerranéens qui devront définir entre eux des relations de confiance que dépendra la mise en place d'un espace stratégique commun. L’histoire méditerranéenne est caractérisée par un changement de paradigme, une bipolarisation ayant pour origine la naissance du Christianisme et comme point d’arrivée le retrait du monde capitaliste occidental engendrant d’une part un monde sud-oriental greco-musulman et d’autre part un monde nord-occidental romain chrétien comme l'a exposé Braudel.

Les premières fractures sont ancrées dans les mémoires et elles renvoient notamment aux Croisades, aux expéditions coloniales en passant par les djihads et la perception de l’autre en tant que barbare. Cet espace qui jusqu’au XVIIe siècle jouait un rôle moteur dans les relations internationales, devint au siècle suivant un lieu d’affrontement des puissances coloniales puis de bouleversement après la découverte et l’exploitation des champs pétrolifères dans la péninsule arabique et les pays du Proche-Orient. L’accès à l’indépendance des colonies méditerranéennes et la montée du panarabisme eurent pour conséquence l’écartement des Européens au sein de cette zone, qui fut marquée jusqu’aux années 1990 par la Guerre froide. Ces fractures ont malheureusement laissé des traces profondes dans les imaginaires collectifs des peuples de l'Europe et de la Méditerranée. La Méditerranée apparaît, en effet, imprégnée par l'occidentalisme, l'eurocentrisme et l'islamisme.

Les défis multiples d’un ensemble complexe

Les fractures présentes et futures en Méditerranée sont à la fois économiques, démographiques, stratégiques et culturelles. Les écarts de niveau de vie entre l'Union européenne et les pays méditerranéens sont considérables. Dans l'Union pour la Méditerranée cohabiteront donc deux ensembles économiques aux réalités disproportionnées, séparées par un fossé de richesse qui continue de se creuser. Au niveau démographique, cet ensemble se caractérise par des déséquilibres démographiques grandissants. Au Nord, la croissance démographique est stable avec des populations vieillissantes, au Sud et à l'Est elle reste forte avec des populations jeunes. Dans les vingt prochaines années, un changement démographique considérable s'opérera entre le Nord et le Sud : les pays du Nord du bassin ne compteront plus que le tiers de l'ensemble des populations de la Méditerranée, alors que les pays du Sud et de l'Est rassembleront prés des deux tiers des populations du bassin méditerranéen. Ainsi, le facteur démographique est au cœur des relations euro-méditerranéennes.

D'un côté sont posés des problèmes de migration et de contrôle des flux de population et de l’autre d'importants problèmes d'éducation et de formation, sans compter les besoins d'emploi pour une population jeune. A travers un partenariat renforcé, l’Union pour la Méditerranée veut donc rapprocher les deux rives en développant une zone de libre-échange. Mais ce concept n’est pas facile à concrétiser dans une région qui a aussi comme toile de fond le conflit du Proche-Orient. Aussi, un des objectifs fortement sous-entendu de ce projet est l’enrayement de l’immigration clandestine en développant la prospérité à la base et en assurant un espace de paix et de sécurité. Les 27 en tireront également comme bénéfice de dynamiser une Europe vieillissante et en manque de main d’œuvre.

Le triangle Paris - Berlin - Ankara

A la suite d’un « arrangement » entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, la nouvelle union sera lancée le 13 juillet 2008 et tous les Etats membres y participeront.

Les motivations géopolitiques et politiques derrière ce projet semblent à première vue claires : l’intérêt politique réside dans la possibilité de proposer une alternative à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. D’un point de vue géopolitique, il vise à accentuer le poids de la France sur la scène internationale. Depuis la fin de la Guerre froide, l’élargissement de l’espace communautaire a eu lieu par l’intégration progressive des pays se trouvant dans la « zone d’influence » allemande. D'ailleurs, ces élargissements ne concernent pas seulement les anciens satellites communistes mais aussi l’Autriche, la Suède, et la Finlande. Dans ce sens, la création d’un « Club Med » politique, qui semble refléter une aspiration française pour les politiques de grandes envergures, laisse dubitatif : la France parviendra-t-elle à travers ce projet à institutionnaliser son rôle de leader dans un espace qui s’étend du Maghreb au Liban et en Syrie, où elle a aussi des liens historiques très étroits et une influence politique considérable?

Néanmoins, en politique, les apparences sont souvent trompeuses. En réalité, Nicolas Sarkozy fait campagne pour réformer l’article 88.7 de la Constitution française, par lequel Jacques Chirac sur une demande des parlementaires UMP, a assuré aux Français d’avoir le dernier mot sur la question de l'adhésion de la Turquie. Lors de son intervention télévisée, le 24 avril dernier, Nicolas Sarkozy a réaffirmé son opposition à l’entrée de la Turquie dans l’UE insistant sur le fait que pour lui elle ne faisait pas « géographiquement » partie de l’Europe et qu'il ferait à ce titre un référendum sur la seule question de son adhésion à l’Union européenne. Nicolas Sarkozy n’est pas assuré d'être à l'Elysée au moment où la Turquie aura fini de négocier les 35 chapitres d'adhésion. Pourtant Paris a déjà fait savoir aux Européens et aux Turcs qu'il ne s'opposera pas à la poursuite des pourparlers avec la Turquie, qui manquent cruellement de vigueur. En réponse à ce projet de réforme de la Constitution, Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, prévoit de déposer un amendement pour le maintien d’un référendum obligatoire sur les adhésions à l'Union européenne de pays qui ne seraient pas géographiquement en Europe, autrement dit de la Turquie…

Ankara reste perplexe

Les réticences et les craintes sont perceptibles aussi bien du côté de l’Union européenne que des pays méditerranéens hors UE, qui ne sont pas plus unanimes face au projet sarkozyen qu’en Europe. Les deux derniers à avoir adhéré au projet de l’Union pour la Méditerranée sont la Mauritanie et l’Albanie. Le Liban et la Syrie n’ont pas encore donné leur réponse et le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie, Israël, l’Autorité palestinienne y figurent à ce jour.

Le Ministre des Affaires étrangères turc, Ali Babacan, a précisé que la Turquie ne s’était pas encore prononcée sur la question de sa participation au projet. Ankara attend d’avoir l’assurance que l’Union pour la Méditerranée ne remplacerait, ni ne freinerait ses espoirs d’intégrer un jour l’Union européenne, craignant qu'elle ne soit aussi conçue comme un moyen de lui offrir une alternative à l'adhésion à l'UE. La Turquie ne ferme donc pas ses portes à cette proposition mais attend d’une part des garanties de la France sur l’adhésion, et d’autre part l’issue des débats en Europe. Ce qu’elle attend aussi c’est une nouvelle déclaration de président Nicolas Sarkozy soulignant ses véritables objectifs. Pour les politiques comme l’opinion publique turques, cette union prend des accents de complot avec des objectifs plus qu’obscurs. La presse turque évoque notamment les raisons « cachées » du Président français dans la mise en place de l'Union pour la Méditerranée.

Outre l’optique de mettre un obstacle à Ankara sur la route menant à Bruxelles, les journalistes soulignent son intention d'y donner un rôle clé à la Libye afin de convoiter ses richesses et son marché, et d’appréhender ses stratégies. Aussi, Paris, dans sa course face à Berlin, très influent dans les Balkans, chercherait à adopter et approfondir une nouvelle stratégie dans le bassin méditerranéen. Ainsi, à chaque fois que la France voudrait par exemple repeupler son territoire, elle ferait appel à la Méditerranée. L’une des principales raisons évoquées est la volonté de remplacer la coopération arabo-française existante par une politique méditerranéenne. Et bien entendu, en son sein, la France pourrait ne pas prendre ouvertement parti dans le conflit israélo-palestinien et n’obligerait donc pas Israël à restituer les terres colonisées à leurs véritables propriétaires. Le Premier ministre tchèque, Mirek Topalanek, a lui aussi exprimé ses doutes, pour lui les points clés, ainsi que les véritables enjeux du projet ne seraient à ce jour toujours pas clairs. Topalanek se demande aussi si Nicolas Sarkozy travaille réellement à améliorer la politique de coopération européenne ou s’il ne cherche pas plutôt à atteindre ses objectifs nationaux.

Dans la conjoncture actuelle, Nicolas Sarkozy a envoyé à Ankara son ministre responsable aux affaires européennes, Jean Pierre Jouyet, pour convaincre ses homologues Turcs des mérites du nouveau mécanisme de la coopération et les inciter à participer à la future coopération euro-méditerranéenne. La visite de Jouyet à Ankara est perçue par les diplomates turcs comme le signe d’un intérêt particuliers de Paris pour inclure la Turquie dans cette union. Ce n’est pas non plus la première fois que Nicolas Sarkozy tente de convaincre les Turcs : Alain Le Roy vint à Ankara quelques mois auparavant dans l’optique d’éradiquer les « malentendus » subsistants entre les deux pays. Néanmoins la suspicion des Turcs vis-à-vis de la France et de l’Union pour la Méditerranéen subsiste encore et toujours. L’idée d’un "Club Med" n’a pas seulement contrarié les pro-turcs au sein de l’UE comme la Grande-Bretagne et la Suède mais a également fâché l’Allemagne. Bien que le gouvernement turc n’ait pas encore pris de décision concernant sa participation, pour nombre de bureaucrates, le projet ne constituerait pas une menace pour l’adhésion à l’UE. Les débats actuels révèlent que l’établissement de nouvelles structures sera évité et l’utilisation des mécanismes existants d’Euromed représente donc une garantie importante pour Ankara. Et pour nombres de diplomates à Bruxelles, si le projet est lancé après approbation des 27 Etats membres, il n’y a pas non plus de raisons pour Ankara de s’en écarter : la Turquie est un partenaire clé dans l’EuroMed et le restera pour la future Union pour la Méditerranée.

La campagne de la Turquie pour l’UE a été considérablement endommagée par les doutes et appréhensions de la France et de l'Allemagne, puis les débats sur le conflit chypriote, sur la question de la liberté d’expression et les tensions dans la politique intérieure du pays n’incitent et ne motivent pas la population à soutenir le gouvernement dans la procédure d'adhésion à l'Union Européenne. Même si plusieurs États européens ont également soupçonné la France de vouloir promouvoir ses propres intérêts en Méditerranée tout en utilisant les fonds communautaires pour financer le projet, tout avantage géopolitique en faveur de la France est de fait neutralisé et la nouvelle union n’est rien d’autre qu’une version améliorée du processus de Barcelone. Peut-être que les motivations du Président sont autres : le projet de l'Union pour la Méditerranée est très similaire au plan du Grand Moyen-Orient dit the « Greater Middle East » lancé par les stratégistes américains néo-conservateurs du gouvernement Bush. Bien que l’adhésion à ces deux instances est différente, l’idéologie est la même : supranationale et anti-nationaliste. L’idée principale est de neutraliser le conflit israélo-palestinien en intégrant les pays du Moyen-Orient en une même unité politique, à l’image du couple franco-allemand et de la construction européenne.
Sevil Budak - Nouvelle Europe - 5 mai 2008

Le bassin migratoire méditerranéen : un espace unifié ?

"Mare nostrum" des Romains, qui en avaient fait le centre de leur vaste Empire, la Méditerranée fut un vecteur majeur et précoce de mouvement et de brassage de populations. Cette position de carrefour, mise en valeur par Isidore de Séville au VIIe siècle - c'est en effet lui qui la dénomme "mediterraneum mare", la mer au milieu des terres - met en contact des civilisations diverses et souvent en conflit (occident chrétien, orient orthodoxe, Arabes et Ottomans musulmans, foyer national juif), mais forge en parallèle, sur la base d'un milieu géographique commun (climat, paysages, activités liées à la mer), une identité méditerranéenne qui transcende les frontières nationales ou les clivages ethno-culturels.

Cet espace est donc animé par des mouvements migratoires anciens, intenses et variés, aussi bien dans leurs motivations (économiques, culturelles, politiques etc.) que dans leurs échelles (internationles, internes à la zone ou la débordant, intra-nationales, régionales, locales...). Comment ces migrations affectent-elles l'espace méditerranéen, a priori relativement homogène ? Contribuent-elles à façonner une identité méditerranéenne, ou la contrarient-elles, la modifient-elles ? Jadis centre du monde antique, l'espace méditerranéen est sans doute l'un des plus anciens espaces de brassage et d'unification. Mais au lieu de favoriser son homogénéisation, les migrations semblent au contraire révéler et accentuer des fractures et des disparités socio-économiques. Examinons ce problème plus en détail.

Un carrefour migratoire facteur de brassage des populations et d'unification de l'espace

La vielle histoire migratoire de la "mer au milieu des terres" a contribué à la formation d'une identité méditerranéenene. On peut songer aux cités grecques en Cyrénaique (actuelle Libye) aux conquêtes romaines au Levant comme à celles des Arabes bien au-delà de Gibraltar, ou bien encore aux Croisades. Mais il faut également évoquer les épisodes plus contemporains de colonisations et/ou protectorats britanniques (en Egypte) et français (Magrheb, Liban) qui se traduisent par l'existence de liens migratoires entre les anciennes métropoles et les ex-territoires colonisés.

Sans oublier la tradition d'échanges culturels et commerciaux qui se sont développés à la faveur de tous ces événements historiques : savants voyageurs du Moyen-Age (Saint-Augustin) à la Renaissance (Rabelais), échanges universitaires (le grand historien français Fernand Braudel à rédigé sa thèse sur la Mediterranée à l'époque de Philippe II en travaillant sur des archives en Dalmatie) et "brain-drain" (fuite ou drainage des cerveaux, c'est-à-dire des travailleurs qualifiés) contemporains (implantation d'une antenne de la Sorbonne puis du Louvre à Abou-Dabi), etc.

Il faut également mentionner les civilisations fondées sur les relations marchandes et le commerce maritime (Phéniciens, Venise, Florence, Gênes...). Les ports ont donc joué un rôle majeur dans la mise en contact des civilisations bordant de part et d'autre le bassin méditerranéen.

L'histoire migratoire a donc contribué pour une large part à forger une indentité culturelle méditerranéenne, fondée sur une culture de la mobilité (dont les diasporas juive et grecque sont des exemples saillants) et un certain cosmopolitisme incarné dans des villes comme Alexandrie, diffusé par l'exil des Arméniens ou les déploiement des communautés levantines (Libanais présents jusqu'en Afrique de l'Ouest où ils jouent un rôle commercial).

L'attractivité du littoral et de ses grandes villes constitue un autre facteur unifiant l'espace méditerranéen. Les façades maritimes et les littoraux y présentent de fortes densités humaines (en général supérieures à 200 habitants au km2), contrastant avec les arrière-pays ruraux souvent délaissés. Ces soldes migratoires positifs s'expliquent notamment par des facilités de transport (le long des côtes en cabotage par exemple), une certaine ouverture économique des ports (Marseille, Barcelone...) et un célèbre phénomène d'héliotropisme ("orientation vers le soleil") des populations actives (cadres), des retraités (qui viennent y couler de jours paisibles) et des touristes en quête de villégiature.

Il en résulte une croissance et un "bourgeonnement" de villes littorales très attractives. La conséquence principale de cette situation étant l'exode rural qui touche encore de nombreuses régions comme le Mezzogiorno italien ou la Kabbylie. D'autant plus que les migrants internationaux sont attirés par ces villes (Izmir, Alexandrie, Alger). Au sein même de ces villes, les ports jouent un rôle important dans le phénomène migratoire et ce à toutes les époques, y compris de nos jours, pour les migrations clandestines par exemple (containers, calles de bateaux), bien que d'autres modes de transports et infrastructures soient aujourd'hui privilégiés, comme l'avion ou les voies rapides (routières ou ferroviaires).

Tous ces éléments contribuent au cosmopolitisme méditerranéen à l'oeuvre dans certains espaces. On peut citer plusieurs "métissages" anciens ou récents : l'exmple de l'Espagne arabo-andalouse (cf. l'Alhambra de Grenade), de l'influence européenne en Afrique du Nord (urbanisme et architecture italiens à Tripoli, immeubles de style Hausmannien d'Alger) ou des quartiers multiculturels de Marseille-Belsunce (appelés parfois "la médina") en témoignent.

Ce cosmopolitisme dépasse de plus en plus le cadre méditérranéen au sens strict, "mondialisant" en quelque sorte la Méditerranée. Ce foyer d'émigration exporte ses modes de vie et son identité. Les Italiens ou les Grecs des Etats-Unis ou d'Australie en sont un exemple, tout comme les Maghrébins dans les monrachies pétrolières du Golfe persique. A l'inverse, cet espace accueille des populations extérieures : touristes et propriétaires hollandais et allemands des Baléares, main d'oeuvre asiatique au Maroc et en Algérie (dans le BTP en particulier), Palestiniens en Italie ou à Chypre, Africains du Sahel en Espagne et en France...

Ainsi, la position de carrefour de la Méditerrané a fait de son espace un vieux foyer de turbulences migratoires : les migrations de toutes natures et à toutes les échelles ont contribué à peupler assez densément, à urbaniser et à internationaliser les littoraux. Mais cette unité ne va pas de soi, elle n'est pas sans poser problème. Ce brassage migratoire peut au contraire faire apparaître ou accentuer des fractures socio-spatiales.

Fractures Nord-Sud, morcellement méditerranéen et ségrégation spatiale

Les migrations économiques alimentent un clivage Sud-Nord depuis le décollage industriel de l'Europe occidentale et la colonisation. Ce différentiel démographique et économique permet de distinguer trois espaces :
1. Une Europe occidentale méditerranéenne (péninsule ibérique, France, Italie, Grèce) désormais intégrée à l'Union européenne, ayant achévé sa transition démographique et bien développée, même si les différences au sein de cet ensemble sont grandes ;
2. Les Balkans et le Proche-Orient (sauf Israël, qui se rapproche du 1er groupe) en position intermédiaire ;
3. Une Afrique du Nord encore sous-intégrée et en difficulté économique.

Cette situation alimente des migrations économiques de main-d'oeuvre dans les deux sens : du nord vers le sud, surtout à l'époque coloniale mais aujourd'hui encore, sous la forme d'aides techniques au développement, de "coopération" etc. ; dans le sens inverse, essentiellement depuis les Trente Glorieuses : campagnes de recrutement pour la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, politique de regroupement familial.

Ces mouvements humains accentuent les contrastes : les espaces d'arrivée en ressortent dynamisés par un apport de main d'oeuvre bon marché, les espaces de départ subissent à l'inverse une désertification (rurale notamment), une fuite des élites et une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Pour autant, le phénomène de "remises économiques" (envoi d'argent à la famille par l'intermédiaire de compagnie de transfert et de mandats) permet parfois de relancer l'activité et d'élever le niveau dans les lieux de départ (construction d'une maison pour préparer sa retraite au pays, participation au frais de mariage).

Mais cela ne concerne pas l'ensemble d'une société ou d'un groupe, c'est l'apanage d'un petit nombre, et ces manifestations d'enrichissement incitent de nouvelles personnes à s'expatrier, motivées par les perspectives qu'offre le départ pour un éldorado souvent mythifié.

D'autre part, les disparités infra-nationales et entre pays se multiplient. La Méditerranée se morcelle (ou se "balkanise") puisque de vieux conflits alimentent encore des migrations contraintes. La diaspora juive antique et médiévale s'est prolongée jusque dans le sionisme et l'Aliyah (mouvement de retour en "terre promise"), des réfugiés politiques portugais et espagnols ont fui les dictatures de Salazar et Franco, sans oublier la disapora palestinienne qui pâti encore de la non-résolution du conflit avec Israël (camps de réfugiés en Syrie et Jordanie, mur de séparation, enclave de Gaza etc.). On peut également citer d'autres exemples émaillant l'histoire contemporaine : la guerre d'Algérie et la décolonisation (Harkis, Pieds-noirs, rapatriés) ou les conflits balkaniques (Albanais en Italie...).

On assiste alors à des phénomènes de repli identitaire nationaliste ou régionaliste qui entravent la circulation migratoire. Les législations restrictives ou sélectives en la matière se multiplient depuis la crise pétrolière de la décennie 1970 (l'activité du Ministère français de l'identité nationale en est aujourd'hui une illustration). La xénophobie se traduit aussi par la manifestation de régionalismes (Ligue du Nord en Italie, séparatisme corse) et le rêve naïf d'une identité méditerranéenne s'évanouit devant l'absence de solidarité migratoire.

A l'échelon régional et local, les migrations accentuent même les contrastes et les logiques ségrégatives. On retrouve ici les traditionnelles distinctions villes-campagnes et littoral-arrière pays, même si le tout semble s'atténuer peu à peu avec la péri-urbanisation (diffusion des modes de vie et équipements urbains autour du Caire par exemple).
Sans oublier les contrastes entre métropoles littorales attractives et villes petites ou moyennes, souvent cantonnées au rôle de relais migratoires (Syracuse) vers d'autres pôles urbains (Naples), ni la ségrégation intra-urbaine qui se traduit par une difficile intégration des néo-citdadins ou une ghéttoïsation ("cités d'urgence" françaises, camps de réfugiés etc.).

Loin de l'unité présentée en premier lieu, l'espace migratoire méditerranéen révèle en son sein de lourdes fractures, et invite à dresser une typologie des espaces migratroires, incarnant, selon leur attractivité ou leur caractère répulsif, une géographie des centres et des périphéries.

Entre répulsion, attraction et turbulences migratoires

Iles, détroits, ports et zones-frontières sont les pôles de cette turbulence migratoire. Ils apparaissent comme des points de passage, des zones-clés où se jouent l'acte migratoire lui-même, et sont parcourus par des flux permanents d'arrivées et de départs. Une économie liée à la migration s'y développe (passeurs, visas, devises, téléphones) et ces lieux se caractériseraient même par un paysage typique de l'expérience de la mobilité. Quelques exemples emblématiques viennent immédiatement à l'esprit : enclave de Ceuta, Gibraltar, le Bosphore, Malte ou les Canaries, Vintimille, Lampedusa...

Les périphéries répulsives sont de diverses natures : arrières pays ruraux (Péloponèse), villes de second rang (Bari) ou de transit (Tunis), quartiers déshérités (Sidi Moumn à Casablanca). Elles sont autant de pôles d'émigration ou de passage vers des destinations considérées comme plus idéales par les candidats à la migration.

Les grandes métropoles demeurent quant à elles des concentrés d'identité méditerranéenne. Elles sont attractives et jouent le rôle de centres : Barcelone, Marseille, Athènes, Naples ou Alexandrie s'inscrivent dans cet ensemble. Mais il faut nuancer le propos, car la Méditerranée a perdu son rôle central d'"économie-monde" (Immanuel Wallerstein et Fernand Braudel), au profit de zones plus dynamique comme la dorsale européenne, le Golfe persique, l'Amérique du Nord et de plus en plus, la mer de Chine.

Si les migrations ont pu participer à la formation d'une culture méditerranéenne tant qu'elles se jouaient en vase clos dans un bassin relativement homogène et central, elles ne font aujourd'hui qu'accentuer les déséquilibres internes et les dépendances externes d'espaces de plus en plus disparates. Peut-être est-ce là la nouvelle identité méditerranéenne, celle d'un espace mondialisé mais morcelé.
L'auteur, Adrien Fauve tient à rendre grâce à Valérie Batal, professeur agrégée de géographie en CPGE littéraire (lycée Lakanal de Sceaux). Nouvelle Europe - 5 mai 2008 -