Le royaume chérifien gagne peu a peu sa place sur la carte industrielle méditerranéenne en s’appuyant sur l’investissement étranger. Reste à approfondir le tissu économique. Tels sont les grands enjeux de l’économie du pays détaillés par L’Usine Nouvelle dans un supplément de 32 pages (photo) intitulé "Spécial Maroc : le défi aéronautique", publié ce 26 juin et consacré à l’industrie marocaine dont est extrait cet article.
Rien ne va de soi pour l'industrie marocaine. Après avoir lancé en 2009, son plan d'industrialisation du pays "Emergence" puis son accélération en avril, le Maroc enregistre certes des succès dans l'aéronautique et l'automobile mais beaucoup de points restent à surveiller. Les investissements directs étrangers sont irréguliers, les échanges dépendent d'une économie européenne morose et la croissance vogue au gré de la forme du secteur agricole.
Près de Tanger, sur la ligne 2 de l'usine Renault-Nissan
Dans une usine automobile, sur la chaîne de montage, l’opérateur se saisit prestement de la vitre fumée, l’inspecte d’un œil aiguisé, dépose d’un geste précis un ruban de colle sur son pourtour avant de l’insérer d’un coup ferme dans la carrosserie. Nous sommes près de Tanger, sur la ligne 2 de l’usine Renault-Nissan, ouverte en octobre pour la Sandero.
Dans ces collines des contreforts du Rif, là où ne poussaient que des herbes folles, le site inauguré en février 2012 est en route pour atteindre, fin 2015, sa capacité de 340 000 voitures par an. Renault Tanger, c’est le symbole d’un certain décollage du Maroc dans l’industrie. Le site devrait compter, à terme, pour 10 % des exportations du pays. Il est aussi l’une des briques du plan d’accélération industrielle présenté le 2 avril, à Casablanca, par Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie, devant Mohammed VI et le gotha des affaires, à savoir la constitution d’"écosystèmes industriels performants" autour de locomotives comme Renault. De fait, cet investissement a déjà attiré à sa suite une ribambelle d’équipementiers.
Dans l’aéronautique, l’ouverture prévue fin 2014 d’une usine de composants par Bombardier, à Casablanca, témoigne du décollage du royaume comme base de sous-traitance. Avant le canadien,Safran, Daher, Airbus et Mecachrome ont déjà implanté des sites au Maroc, dont l’activité dans l’aéronautique approche le milliard d’euros. L’agroalimentaire n’est pas en reste. L’an passé, Danone a pris le contrôle de Centrale Laitière, le leader des produits laitiers, et Sofiprotéol celui de Lesieur Cristal, le principal fabricant d’huile, en mai, avec la promesse de forts investissements pour développer ces filières.
Une plate-forme pour les industriels
Alors que le roi Mohammed VI va fêter, fin juillet, ses quinze ans de règne, pour les autorités marocaines c’est là le fruit de la stratégie lancée voilà dix ans et articulée depuis 2009 autour du Pacte national pour l’émergence industrielle. Objectif : faire de ce bout d’Afrique du Nord, distant de 14 km de l’Europe, une plate-forme pour les industriels grâce au développement des infrastructures (port Tanger Med et bientôt le TGV), à la mise en place de zones franches ou de généreuses subventions aux investissements (fonds Hassan II). Sans compter les méga-investissements dans l’énergie, l’envol du secteur des télécoms ou l’appui d’un secteur bancaire solide.
La cible ? Les marchés mondiaux de l’automobile, l’aéronautique, l’offshoring, l’agroalimentaire, le textile. Une révolution pour ce royaume de 33 millions d’habitants, tourné hier vers l’agriculture ou le tourisme et qui tirait les dividendes de ses réserves plantureuses de phosphates, exploitées par le groupe public géant OCP.
Une réalités industrielle complexe
À côté de la Tunisie troublée, dont l’économie est deux fois plus petite, ou de l’Algérie, deux fois plus grosse mais peu ouverte, le royaume chérifien est devenu un pays de cocagne pour les entreprises étrangères.
Au plus fort de la crise financière ou du Printemps arabe, sa croissance a flanché mais sans jamais passer sous les 2,7 % et le FMI attend 4,9 % de croissance l’an prochain. Mieux, en 2013, le Maroc a reçu un niveau historique d’investissements directs étrangers (IDE), à savoir 3,5 milliards de dollars avec comme partenaire principal la France, qui assure en moyenne 40 % des flux d’IDE.
Sur la grande dorsale économique, qui court de Tanger jusqu’au port industriel de Jorf Lasfar au sud de Casablanca, on peine à dénombrer les projets d’investissements.
En 2011, le Printemps arabe, illustré au Maroc par le Mouvement du 20 février, a soufflé un vent de panique sur le pouvoir et le " Makhzen", l’élite affairiste gravitant autour du palais royal. Suscitant l’interrogation aussi des investisseurs étrangers. Une réforme de la constitution est alors lancée en urgence par le roi.
La tenue de législatives fin 2011 voit l’arrivée au pouvoir, en janvier 2012, des islamistes modérés du Parti de la justice et du développement. Son leader Abdelilah Benkirane, 60 ans, devenu chef du gouvernement, a aussitôt rassuré : pas question de changer de stratégie. Au-delà du "référentiel islamique", ce qui prime pour ce barbu à l’air bonhomme, c’est la croissance et l’emploi dans un pays où le chômage en zone urbaine s’élève officiellement à 15 %.
Petit dragon de la Méditerranée
Car des faubourgs populaires de Casablanca aux régions déshéritées de l’Est ou du Sud, la réalité sociale du Maroc, à la traîne en matière d’éducation, n’est pas aussi simple que celle d’un "petit dragon de la Méditerranée". Celle de son industrie non plus. Un débat agite même en ce moment ses milieux économiques. Le royaume est-il trop ouvert ?
Et pour cause. En 2013, le déficit commercial a été abyssal : 17 milliards d’euros, soit 23 % du PIB. Bref, le Maroc importe deux fois plus qu’il n’exporte. "Notre pays a fait un choix clair, l’ouverture. Nous avons des accords de libre-échange avec 55 pays, ce qui représente 1 milliard de consommateurs. Pas question de remettre cela en cause", tranche Moulay Hafid Elalamy.
Ces piètres résultats illustrent la dualité de l’industrie. D’un côté, un pan nouveau et dynamique tiré par les investisseurs étrangers voulant rivaliser avec la Turquie, l’Europe de l’Est ou l’Asie. De l’autre, un tissu d’industriels marocains souvent en mal de compétitivité et de technologies.
Prises de bec avec le gouvernement
Ce qu’illustre le cas du sidérurgiste Maghreb Steel qui, après avoir trop investi, affronte de graves difficultés et n’est pas parvenu à vendre son acier plat à Renault. La CGEM, le patronat marocain, et sa présidente Meriem Bensalah-Chaqroun se sont même alarmés il y a peu de la "désindustrialisation" du pays.
Un sacré paradoxe qui a alimenté des prises de bec avec le gouvernement. D’autant qu’Abdelilah Benkirane pour calmer les attentes sociales a décidé, en mai, d’augmenter le salaire minimum (déjà le plus élevé d’Afrique) de 10 % en un an. Pas de quoi faire douter Moulay Hafid Elalamy. Son plan 2014 – 2020 se fixe deux objectifs : accroître la valeur ajoutée industrielle de 14 à 23 % du PIB et créer 500 000 emplois industriels pour moitié grâce aux IDE, six fois plus que sur la dernière décennie.
Pour cela, il faudra connecter tous les pans de l’industrie. Beau challenge.
Pierre-Olivier Rouaud, à Casablanca - Source de l'article Usine Nouvelle
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