5e colloque international – La Méditerranée : réalités, enjeux et perspectives : Repenser et refonder le dialogue euro-méditerranéen


La Méditerranée qui a longtemps été dans l’histoire une véritable zone de guerres et de conflits régionaux ou internationaux aspire à redevenir une terre de paix malgré les incertitudes d’ordre démographique ou géopolitique.

Les avis des nombreux intervenants contrastaient entre optimisme, pessimisme et réalisme. Chacun y allant de son propre discours et de sa propre vision historique ou géopolitique. Ces allocutions enrichissantes ont été entendues lors du déroulement d’un colloque régional intitulé : «La Méditerranée : réalités, enjeux et perspectives» qui a eu lieu récemment à Gammarth .
On y a évoqué la Méditerranée comme un espace d’échange et de partage face aux défis futurs. La Méditerranée représente un enjeu géopolitique et géo-économique important dans une zone qui délimite un ensemble de vingt-deux pays au carrefour de trois continents : Europe, Afrique et Asie. Elle constitue une interface stratégique figée entre l’Europe et l’Afrique. Au sud comme au nord, l’intégration méditerranéenne est un facteur de sortie de crise ainsi qu’une formulation d’un nouveau modèle de croissance.
A ce sujet, Michele Capasso, fondateur de l’Observatoire de la Méditerranée, a résumé les enjeux de l’événement : « L’objectif est de mettre en place la coopération euro-méditerranéenne du point de vue des perspectives futures. Il ne faut pas parler du passé mais du futur. Par exemple, l’année 2050 sera chargée de monde en termes de population planétaire. A ce stade-Là, on sera quatorze milliards d’individus. Les populations d’Afrique et d’Inde vont doubler tandis que les Européens diminueront de moitié. Il n’existe pas réellement de problème d’immigration vers l’Europe car ce continent a besoin de gens pour les travaux manuels vu qu’il n’y aura plus personne pour le faire. La solidarité, la coexistence et la participation active c’est le but final de tous les membres de la société civile qui agissent pour promouvoir les compétences et pour le bien commun. Ce dernier a également mis l’accent sur le rôle joué par la société civile pour maintenir la paix dans la région méditerranéenne loin des guerres qui ont ravagé la région par un passé lointain. « Le vrai pouvoir qui s’affirme, c’est le pouvoir du monde, des gens et celui des civilisations et non pas celui des gouvernants».
Il a évoqué, auparavant dans son allocution « 2020-2050 : la grande Méditerranée dans les mutations géostratégiques », la période difficile de l’histoire qu’on a traverse à cause de la médiocrité et le manque d’éthique au niveau mondial. Il stigmatise le comportement de nombreux dirigeants de la planète qui ne pensent pas au « bien commun » mais seulement aux intérêts particuliers et manifestent un « misérable amour du pouvoir ».
La Méditerranée, comme l’a affirmé Fernand Braudel, est «mille choses à la fois ». « Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais plusieurs civilisations ». C’est autour de cette zone spécifique dont le substantif Méditerranée apparaît seulement en 1757 sur une carte, que s’impose une mer regroupant une constellation de vingt-deux pays riverains formant une mosaïque de peuples avec leurs particularités : langues, dialectes, traditions, régimes politiques et évolutions propres. La rencontre de haut niveau est organisée à l’initiative du Forum de l’Académie Politique (FOAP) présidée par Hayet Doghri et la fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung.
La séance d’ouverture a été marquée par une conférence inaugurale intitulée «Historique du processus de coopération euro-méditerranéen» donnée par Habib Ben Yahia, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Secrétaire général de l’Union du Maghreb Arabe. En effet, les deux rives Nord et Sud de la Méditerranée sont hétérogènes et diamétralement opposées. La partie européenne est riche et développée tandis que la partie Sud est strictement l’inverse : pauvre et sous-développée. Aucun changement ne pointe à l’horizon en faveur d’un rapprochement ou d‘une convergence des niveaux de développement économique.

Fracture économique Nord-Sud

Les mutations actuelles, globales dans leurs dimensions géopolitiques, portent des changements et des impacts importants sur la Méditerranée, en tant qu’espace d’échanges et de partage.
Elle est le centre d’échange et de concertation des échanges humains, économiques, politiques, culturelles avec des impacts très importants sur les relations entre les deux impacts sur deux rives. Les changements dans la rive sud ont un impact sur la stabilité de la Méditerranée et un double impact sur deux continents : l’Europe et l’Afrique. Les mutations économiques, politiques et géostratégiques en terme de relations des pays européens avec les superpuissances extra européennes ou extra-Méditerranée (Chine, Etats-Unis d’Amérique, Russie) ont un enjeu crucial sur le devenir de la Méditerranée. C’est sous cet aspect que les débats vont se lancer afin de construire une entité où la complémentarité est la pièce motrice, la mobilité, la jeunesse, la culture et le savoir sont des éléments clés de cette alternative de stabilité et de prospérité.
Deux rives, un héritage en partage est le mot d’ordre pour construire cette alternative. C’est dans ce contexte que le colloque a été une occasion pour présenter un aperçu historique, économique et politique des constructions régionales d’entités ou d’unions autour de la Méditerranée, un aperçu qui impose une réflexion profonde sur l’importance d’une solidarité méditerranéenne en terme de l’équilibre des rapports, rapprochements culturels et politiques et renforcement des unions comme l’Union du Grand Maghreb, l’Union Africaine, l’Union pour la Méditerranée.
Sur le plan culturel et civilisationnel, le processus du dialogue des cultures et du métissage des populations, qui a longtemps caractérisé le monde méditerranéen malgré les affrontements, connaît, selon les experts, de réelles difficultés aujourd’hui.
D’autant plus que le processus d’homogénéisation et de standardisation des modes de vie accéléré par l’évolution de l’économie mondialisée et par la multiplication des nouveaux moyens de communication suscite, en réaction, des mouvements éruptifs de résistance, de repli sur soi et d’agressivité allant jusqu’au terrorisme. L’éclairage de l’histoire pourrait ainsi aider à comprendre ce qu’il convient d’éviter et ce qu’il convient de réhabiliter et d’encourager, en méditant les leçons de l’histoire tout en gardant présent à l’esprit les mutations d’aujourd’hui.
La Méditerranée est aussi un projet de coopération renforcée avec l’UE qui a été initié par la Déclaration de Barcelone en 1995. C’est le 20 décembre 2007 que les chefs d’Etat espagnol, français et italien ont lancé l’appel de Rome pour une Méditerranée, plaidant pour la constitution d’une union ayant pour vocation de «réunir l’Europe et l’Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée. « et d’instituer entre eux, sur un pied d’égalité, un partenariat reposant sur quatre piliers, à savoir la croissance économique, l’environnement et le développement durable, le dialogue des cultures et la sécurité.
Il reste alors à se demander quelle est la place de la Méditerranée dans les mutations stratégiques actuelles dès lors que depuis les fameuses révoltes arabes de 2011, l’avenir de la Méditerranée, «une jonction mondiale de cultures, de sociétés et d’économies mutuellement enrichissantes « (Antonio Gutérres, actuel Secrétaire général de l’ONU), est devenu incertain du fait de l’instabilité qui affecte la région située du reste au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient et, tout particulièrement, des défis sécuritaires majeurs auxquels elle doit faire face. Parmi ceux-ci, il sied de mentionner, tout d’abord, la lutte contre le terrorisme sous tous ses aspects, y compris le retour des combattants étrangers, la radicalisation des jeunes et le financement des organisations terroristes. Ensuite, la crise migratoire permettant à des millions de personnes de rejoindre l’Europe via la Méditerranée avec toutes les conséquences désastreuses sur le plan humanitaire. Enfin, la lutte contre la corruption aggravée et le changement climatique constituent de nouveaux défis à ne pas minorer.

L’art et la littérature pour les jeunes

Une vidéo projection a été faite pour présenter le « Musée de la paix » sous l’égide de l’Unesco, par M Michele Capasso. Il a développé son argumentaire en expliquant : «Nous avons rédigé un «rapport froid» en tant que Fondation, c’est-à-dire sans le commenter, et c’est un rapport qui fait frémir, car si nous analysons la carte de référence aux valeurs fondamentales propres à un homme d’Etat, il est difficile d’identifier les personnages qui peuvent être considérés comme tels dans le monde. Il en va de même pour tant de dirigeants de ce monde qui, au lieu de se consacrer au «bien commun» et aux autres, ne recherchent que des intérêts particuliers et manifestent un misérable «amour du pouvoir».
Aujourd’hui, l’urgence la plus importante concerne les jeunes: ils ont perdu tout espoir en l’avenir, ils ne sont plus les «producteurs» de l’avenir, ils n’ont plus l’espoir de pouvoir «construire» un avenir, car ils sont assaillis tous les jours de nouvelles négatives.
Dans 30 ans, des événements très spéciaux auront lieu: nous serons près de 13 milliards d’habitants, la population de l’Afrique aura plus que doublé, celle de l’Inde doublera et dépassera celle de la Chine. Et nous, les Européens, ayant un faible taux de natalité, nous ne serons que 400 à 450 millions et dans certains cas, y compris en Italie, nous aurons une population comptant 80% de personnes âgées de plus de 65 ans, nous serons donc un peuple avec peu de jeunes. Les populations d’Italie, d’Espagne et de France auront besoin de millions de jeunes capables d’exercer des métiers que personne, chez les Européens, ne pourra plus faire. Alors de quoi parle-t-on? A quel bloc d’immigration pensons-nous? Nous avons et aurons besoin de ces personnes, nous devons simplement retenir et encourager les arrivants de bonne volonté. Nous devons les former à de nouvelles professions, de nouveaux besoins, de nouveaux emplois en fonction de leurs tendances, de leurs formations, leurs compétences. Nous devrons revoir l’ensemble du système d’accueil, abandonner le concept de tolérance pour et intégrer celui de la coexistence et de l’intégration.
En deuxième partie du colloque, de nombreuses conventions dans l’enseignement supérieur ratifiées avec les partenaires européens du pourtour méditerranéen ont été présentées. La Tunisie a ratifié 57 accords avec l’UE contre 25 pour le reste du monde. Précisément treize avec la France et deux avec l’Allemagne dans le cadre de la coopération technique dans l’enseignement supérieur notamment avec l’Université de Gafsa. D’ailleurs de nouveaux centres universitaires vont ouvrir ces prochaines semaines en Tunisie.

Par Mohamed Salem Kechiche - Source de l'article La Presse

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