À l'occasion de la journée Internationale des droits des femmes, la rédaction a pu interviewer Laurence Païs, secrétaire générale adjointe de l'Union pour la Méditerranée en charge des affaires sociales et civiles.
Diplomate française de carrière avec 30 ans d’expérience, spécialisée dans les domaines des négociations multilatérales, de la coopération et du développement, elle revient sur le travail de l'Union pour la Méditerranée sur l'égalité des sexes mais aussi les progrès et les retards en la matière dans le bassin méditerranéen .
Quelles sont les actions que l’Union pour la Méditerranée mène actuellement en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes ? Quel impact avez-vous réellement sur les décideurs des pays méditerranéens ?
Les experts des États membres de l'UpM ont récemment fait le point sur les progrès accomplis en matière de promotion de l'égalité des genres dans toutes les sphères de la société un an après l'adoption d'une déclaration ministérielle ambitieuse (Le Caire, 2017).
Le Secrétariat de l'UpM collabore actuellement avec des représentants des pays, des experts d'organisations internationales, des ONG, des organisations de la société civile et d'autres acteurs concernés pour mettre au point un mécanisme régional de suivi doté d'indicateurs permettant d'évaluer et de suivre avec précision les progrès réalisés dans le domaine des droits des femmes, évaluer les écarts entre les sexes et formuler des recommandations à l'intention des décideurs et des parties prenantes afin d'accroître l'impact des politiques et des initiatives nationales.
L’UpM, en renforçant la coopération régionale dans ce domaine, contribue à identifier les obstacles qui perdurent, les bons projets ou pratiques qui ont un impact positif sur le terrain, et les politiques publiques à mettre en place. C’est par ce dialogue et cet apprentissage mutuel entre les pays que nous pouvons ainsi contribuer à faire avancer l’agenda de l’égalité dans la région.
Cette approche globale et régionale devrait inclure la prise en compte des facteurs considérés comme favorables à la radicalisation et à l'extrémisme violent, par opposition aux seules stratégies de sécurité. La contribution décisive et vitale des femmes à la paix et à la sécurité est désormais reconnue au niveau international. C'est dans cette perspective que le Secrétariat de l'UpM a lancé une étude régionale sur « Le rôle des jeunes et des femmes dans la prévention de l'extrémisme violent ». L'étude sera publiée le mois prochain, complétant ainsi les travaux menés dans le cadre du projet« Renforcer l'engagement civique et social des femmes et des jeunes dans la prévention de la violence et de l'extrémisme », approuvé à l'unanimité par tous les pays de l'UpM et mis en œuvre par le British Council.
Conformément à la feuille de route pour l'action approuvée par les ministres de l’UpM des Affaires étrangères et conformément au programme de développement durable à l'horizon 2030, l'UpM souligne et soutient le rôle déterminant des femmes et leur contribution en mettant en œuvre également plus de 50 projets avec plus de 200 000 bénéficiaires.
Les projets de l’Union pour la Méditerranée se doivent être à la fois concrets et transversaux et capables de toucher le quotidien des populations de cette région, en impliquant également le secteur privé et en favorisant les coopérations à géométrie variable.
Alors que seulement 25% des parlementaires, dans les pays riverains de la Méditerranée, sont des femmes pouvez-vous dresser un bilan sur la situation dans les pays de la Méditerranée en matière d’égalité des sexes ? Il y a-t-il un pays modèle en la matière en Méditerranée ?
Les analyses sont unanimes : il n’y a pas de pays au monde où l’égalité femme- homme est pleinement réalisée. La plupart des problématiques sont communes même s’il y a des différences d’ampleur selon les pays. La question de la violence exercée à l’encontre des femmes est hélas par exemple un phénomène global.
Sur une note positive, on note partout des progrès dans l’accès aux droits, en matière d’éducation (par exemple une étude de l’OCDE indique si seul 45% des femmes de la région MENA/ANMO étaient alphabétisées en 1990, 72% l’étaient en 2017. S’agissant d’éducation tertiaire, la moyennes des femmes dans la région ANMO est de 42 %, au-dessus de la moyenne mondiale de 38 % et en comparaison de la moyenne des hommes dans la région ANMO, qui est de 32 %.
Comme vous l’avez noté, l’accès des femmes à la vie politique et économique ainsi qu’aux postes de responsabilités reste un domaine où il y a encore beaucoup de progrès à faire, même s’il y a bien sûr des différences selon les pays.
Au niveau de la région du sud de la Méditerranée, des progrès notables ont été enregistrés au cours des dernières années en matière des dispositifs juridiques et constitutionnels, ainsi qu’en matière de participation politique et économique des femmes. Toutefois, ces progrès restent de loin en deçà de ceux réalisés dans les autres régions du monde. La participation des femmes au marché du travail est l’une des plus faibles du monde, avec un taux de 22 %.
Au cours des douze dernières années, les taux de chômage dans les pays d’Afrique du Nord ont été très élevés, en particulier chez les femmes (41% d’entre elles n’ont pas d’emploi) et les jeunes.
Les taux de chômage des femmes dans la plupart des pays sont supérieurs de 1,7 fois par rapport à ceux des hommes. En Europe, la situation est un peu meilleure (64% des femmes dans le marché de travail), mais ce taux est encore de 11,5 points inférieurs à celui des hommes. Et pourtant, elles apportent une énorme valeur ajoutée. En effet, investir sur les femmes augmenterai le PIB de chacun des pays de 25% à 30% !
L'enjeu actuel est d’impliquer toute la société, femmes et hommes, dans ce combat pour l'égalité mais également de porter des femmes aux postes de responsabilité au sein des partis politiques et des entreprises pour qu’elles servent d’exemple et de locomotives. Il est donc prioritaire pour l'UpM de travailler au renforcement du rôle des femmes. Nous agissons à un niveau politique, avec la construction d'un agenda commun pour promouvoir le rôle des femmes.
En tant que femme diplomate avec une expérience de 30 ans dans les négociations internationales comment fait-on sa place dans un milieu dominé par les hommes ? Avez-vous constaté des changements dans les comportements tout au long de votre carrière ?
Il m’est difficile de répondre à la 1ère partie de votre question car comme beaucoup de femmes de ma génération, je ne me suis pas réellement posé la question en entrant dans ce milieu très masculin. Il fallait faire sa place parmi des collègues et des supérieurs qui attendaient de vous que vous vous conformiez aux modèles existants et essentiellement masculins !
Il y a 30 ans, les femmes Ambassadeurs se comptaient sur les doigts d’une seule main .... Il fallait donc oser montrer sa différence tout en prouvant que l’on obtenait les mêmes résultats, mais sans droit à l’erreur ! Il est indéniable qu’il y a eu beaucoup de changements depuis, et fort heureusement.
Les femmes sont beaucoup plus nombreuses à entrer dans la carrière diplomatique sans renoncer pour autant à leur vie personnelle, et les collègues masculins partagent désormais, parce que la société a évolué, des préoccupations auparavant « réservées » aux femmes, tel que l’équilibre vie professionnelle-vie familiale ou la problématique de l’emploi du conjoint à l’étranger.
Les changements opérés, dans les comportements comme dans la place plus grande accordée aux femmes, ont aussi nécessité une volonté affirmée de nos dirigeants.
Par Sami Bouzid - Source de l'article Ecomnewsmed
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