Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes, Laurence Païs, secrétaire générale adjointe de l’Union pour la Méditerranée, revient pour «Le Matin» sur la situation des femmes dans le pourtour méditerranéen.
Elle met en avant les efforts consentis par l’Union pour réduire les inégalités dont elles souffrent ainsi que le bilan des actions réalisées au Maroc dans l’objectif de promouvoir la parité et renforcer les acquis de la gent féminine.
Le Matin : Nous constatons qu’à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, différentes institutions dénoncent les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est le cas de la Banque mondiale, de l’OCDE ainsi que de l’Union pour la Méditerranée. Est-ce une simple coïncidence, vu la date, ou est-ce plutôt en raison de l’ampleur des inégalités qui vont croissantes ?
Laurence Païs : Bien qu’en général, le cadre constitutionnel et législatif des pays de la région ait connu des développements positifs ces dernières années avec la promotion des principes d’égalité femme-homme dans les différents volets de la vie publique, les inégalités n’en restent pas moins un sujet d’actualité. Au-delà des avancées de la représentation féminine sur le plan législatif ou la consécration de leurs droits sur le plan normatif, l’autonomisation des femmes est aussi un processus de changement personnel et social à travers lequel les femmes deviennent un levier puissant de développement économique. C’est un chantier pour lequel il reste encore beaucoup à faire, dans les pays du nord comme du sud de la Méditerranée. C’est pourquoi l’Union pour la Méditerranée a placé l’égalité femme-homme et le renforcement du rôle des femmes dans les sociétés au centre de ses priorités depuis des années pour le développement et l’inclusion régionale. De toute évidence, cette journée du 8 mars permet principalement de mettre en avant les histoires, les initiatives et surtout le chemin qui reste à parcourir, à travers la presse notamment, d’où peut-être cette impression de mise en lumière des inégalités existantes. Mais cela correspond aussi à une plus grande prise de conscience de l’existence même de ces inégalités qui sont, fort heureusement, de plus en plus difficilement acceptables. Afin de changer les mentalités, il est aussi nécessaire d’investir dans l’éducation et la sensibilisation à l’égalité à la fois à l’école dès le plus jeune âge, mais aussi auprès du grand public. Les médias ont un rôle clé à jouer à ce niveau. Dans le monde entier, aujourd’hui les femmes ne représentent que 10% des nouvelles et environ 20% des experts ou des personnes interrogées en tant que porte-parole.
Quels sont, pour l’Union pour la Méditerranée (UPM), les indicateurs alarmants de ces inégalités dans la région de la Méditerranée ?
Les analyses sont unanimes : il n’y a pas de pays au monde où l’égalité femme-homme est pleinement réalisée. La plupart des problématiques sont communes même s’il y a des différences d’ampleur selon les pays. La question de la violence exercée à l’encontre des femmes est par exemple, hélas, un phénomène global. Sur une note positive, on note partout des progrès dans l’accès aux droits, en matière d’éducation (par exemple une étude de l’OCDE indique que si seuls 45% des femmes de la région MENA-ANMO étaient alphabétisées en 1990, 72% l’étaient en 2017). S’agissant d’éducation tertiaire, la moyenne des femmes dans la région MENA est de 42%, au-dessus de la moyenne mondiale de 38% et en comparaison de la moyenne des hommes dans la région MENA, qui est de 32%. Pourtant, ceci ne se reflète pas sur le marché du travail. Ainsi, la participation des femmes au marché du travail dans la région méditerranéenne est l’une des plus faibles du monde, avec un taux de 22%. Au cours des douze dernières années, les taux de chômage dans les pays d’Afrique du Nord ont été très élevés, en particulier chez les femmes (41% d’entre elles n’ont pas d’emploi) et les jeunes. En Europe, la situation n’est guère meilleure (64% des femmes dans le marché de travail), mais ce taux est encore de 11,5 points inférieur à celui des hommes. L’accès des femmes à la vie politique et économique ainsi qu’aux postes de responsabilités reste un domaine où il y a encore beaucoup de progrès à faire, même s’il y a bien sûr des différences selon les pays. Pour vous donner quelques chiffres, les femmes-chefs d’entreprises ne représentent que 11 à 13% des chefs d’entreprises dans notre région, alors que la moyenne mondiale est de 35 à 38%. L’enjeu actuel est d’impliquer toute la société, femmes et hommes, dans ce combat pour l’égalité, mais également de porter des femmes aux postes de responsabilité.
Pouvez-vous nous citer les différentes actions que l’Union pour la Méditerranée mène pour le renforcement de l’égalité des sexes dans la région ?
Forte du mandat de renforcer la coopération et le dialogue au niveau de la région euro-méditerranéenne, l’Union pour la Méditerranée fournit un cadre intergouvernemental unique pour faire avancer les trois priorités pressantes et interdépendantes de la région : la stabilité, l’intégration régionale et le développement humain inclusif. Notre conviction est que l’on ne pourra pas répondre à tous ces défis sans la pleine participation de toutes les forces vives de nos pays, et en particulier les femmes, qui sont, avec les jeunes, cet espoir de la Méditerranée qu’il est impératif de valoriser. C’est dans cet esprit que l’UpM organise chaque année une Conférence de haut niveau pour fournir une plateforme de dialogue entre les acteurs clés de la région, intitulée «Women4Mediterranean», pour identifier les solutions et des pistes concrètes pour accroître et renforcer le rôle vital des femmes en tant qu’agents de changement. En octobre 2018, nous avons ainsi traité du rôle essentiel des femmes pour bâtir des sociétés plus inclusives, en examinant la mise en œuvre des priorités de la déclaration forte et ambitieuse adoptée au Caire en 2017 : la place des femmes dans la vie économique, politique et sociale, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre les stéréotypes et les barrières sociales. Les projets de l’Union pour la Méditerranée se doivent d’être à la fois concrets et transversaux et capables de toucher le quotidien des populations de cette région, en impliquant également le secteur privé et la société civile et en favorisant les coopérations à géométrie variable. Les neuf projets déjà labélisés par l’Union pour la Méditerranée (UpM) qui ciblent spécifiquement l’égalité et l’autonomisation des femmes dans la région, traitent de 4 grands thèmes :
1. la participation économique des femmes avec 4 projets qui s’inscrivent dans l’initiative «Med4jobs» : «promotion des femmes entrepreneurs pour un développement industriel inclusif et durable» : promu par l’ONUDI, il apporte son soutien aux femmes-chefs d’entreprises par des formations, un appui à la recherche de financements et au développement de réseaux à travers les associations de femmes entrepreneurs. Le projet «Compétences au service de la réussite», promu par AmidEast, offre aux femmes défavorisées et sans emploi l’opportunité d’acquérir les compétences, les connaissances et les ressources nécessaires pour s’intégrer au marché du travail. «CEED Grow» aide les petites entreprises dirigées par des femmes à se développer. «Jeunes femmes créatrices d’emploi», promu par AFAEMME, accompagne les jeunes femmes diplômées qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat.
2. La promotion de l’égalité homme-femme, avec 2 projets : «Femmes d’Avenir en Méditerranée», promu par Sciences Po–Paris, qui a permis de développer un réseau euro-méditerranéen de jeunes femmes leaders dans différents domaines et les accompagne dans leurs efforts de promotion de l’égalité homme-femme ; et «Le développement de l’autonomisation des femmes» promu par la Fédération des femmes de l’Euro-Méditerranée.
3. La santé des femmes, avec le projet «WORTH», droit des femmes à la santé, qui vise à prévenir les cancers du sein et du col de l’utérus qui touchent particulièrement les femmes n’ayant pas ou peu accès aux soins pour diverses raisons.
4. La prévention de la violence et de l’extrémisme violent, avec 2 projets : celui réalisé avec l’association Ideaborn, «Former des citoyens responsables», qui vise à prévenir la violence à l’égard des jeunes filles et des femmes par le biais d’un nouveau programme d’éducation civique dans les écoles. Et le projet récemment labellisé «Promotion de l’engagement civique et social des femmes et des jeunes dans la prévention de l’extrémisme violent», mis en œuvre par le British Council. Il vise à appuyer le rôle des associations de femmes et de jeunes en matière de PVE. Je note que le Maroc fait partie des l’ensemble de ces projets régionaux.
Qu’en est-il du bilan de ces actions en général et en ce qui concerne le bilan de celles qui sont menées au Maroc en particulier ?
Les pays du Maghreb sont très actifs dans tous les processus de dialogue régionaux portés par l’UpM et en particulier ceux qui se rapportent au renforcement du rôle des femmes, qu’il s’agisse de préparer les réunions ministérielles sur le renforcement du rôle des femmes dans les sociétés (la dernière s’est tenue au Caire en novembre 2017) ou les conférences de haut niveau «Femmes pour la Méditerranée», la dernière a eu lieu en octobre 2018 à Lisbonne. Ce dialogue réunit les représentants des pays membres, mais également les acteurs de la société civile, des ONG, des organisations internationales et du secteur privé. Il faudrait examiner projet par projet les résultats obtenus au Maroc, mais je peux d’ores et déjà vous indiquer que les projets cités plus haut ont permis par exemple la formation de nombreuses femmes-chefs d’entreprise, le développement de leurs contacts et de leurs partenariats grâce à leur participation à des rencontres B2B ou à des «technical tours» et surtout leur mise en réseau au niveau régional. Par ailleurs, ces projets bénéficient de l’appui politique des 43 pays membres de l’UpM, d’une grande visibilité et de l’appui des partenariats que l’UpM a développés.
L’UpM œuvre pour l’émancipation des femmes, en soutenant des projets à l’échelle régionale. Les projets menés au (ou en partenariat avec le) Maroc ont-ils atteint le but escompté ?
J’aimerais souligner que la démarche de l’UpM se base sur les principes d’appropriation de la part de chacun des pays concernés et de géométrie variable. À travers les dialogues régionaux pluri-acteurs, l’UpM permet de faire converger les efforts dans le but de maximiser l’impact sur les populations locales et de favoriser l’échange d’expérience et l’apprentissage mutuel entre les pays et les acteurs. De nombreux projets sont menés avec et au Maroc, sur les 9 projets labellisés, 8 sont développés au Maroc, montrant très clairement son implication très positive. À titre d’exemple, suite au projet «Young women as Job creators», Mme Soukeina El Bouj, qui travaille actuellement au développement d’une start-up au Maroc, a partagé son expérience lors de la séance d’ouverture de la conférence régionale de haut niveau. Accompagnées de l’association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (AFEM), plusieurs universités du Maroc ont participé au projet, en organisant au total plus de 40 Journées de l’entrepreneuriat féminin à
travers le pays !
Selon vous quels seraient les secteurs sur lesquels il faut travailler en priorité, notamment au Maroc, pour réduire les inégalités dont sont victimes les femmes ?
Les entreprises peuvent jouer un rôle majeur dans la promotion de la participation des femmes au marché du travail en mettant l’accent sur les gains qu’elles apporteront à leurs entreprises et au développement social et économique. Il est ainsi estimé que le PIB des pays augmenterait de 25% par habitant si les femmes avaient un accès égal aux hommes au marché du travail. La mise en place de systèmes de gestion des ressources humaines tenant compte des spécificités des genres et la création d’environnements propices aux femmes dans le monde des entreprises, complétées par l’instauration d’une infrastructure sociale accommodante (par exemple dans le domaine des transports, ou la création de places de crèches) ou l’adoption d’accords de conciliation entre le travail et la vie familiale pour les femmes et les hommes, sont autant d’éléments vitaux pour renforcer la participation économique des femmes. Je rappelle que la représentation des femmes dans les Parlements est encore insuffisante, avec de grandes disparités entre les pays et je saisis cette occasion pour saluer les efforts du Maroc et de l’Algérie qui ont des taux de représentation des femmes respectivement de 21% et de 30%, plus élevés que certains pays du Nord et alors que la moyenne régionale est de 15,9% (moyenne mondiale de 21,8%). Il faut bien sûr réaliser une pleine égalité aux niveaux législatif et politique. Mais cela ne suffit pas : l’enjeu reste la mise en œuvre effective sur le terrain qui continue d’être entravée principalement par les stéréotypes et les préjugés sociaux qui continuent à sévir. Afin de changer les mentalités, il est aussi nécessaire d’investir, associer et former l’ensemble des cadres responsables. Il est ainsi essentiel de sensibiliser les cadres de police et de la justice pour mettre en œuvre pleinement les mesures de lutte contre les violences faites aux femmes par exemple. Il faut également valoriser le travail des femmes et mettre en évidence les apports positifs des femmes à la société tous secteurs confondus.
Outre ces propositions, à la lumière des mécanismes sur lesquels travaille l’UpM pour suivre les progrès réalisés en matière des droits des femmes et pour évaluer les disparités entre les sexes, quels serait les éventuelles recommandations que l’UpM pourrait adresser aux décideurs en vue de l’émancipation des femmes ?
Les experts des États membres de l’UpM ont récemment fait le point sur les progrès accomplis en matière de promotion de l’égalité des genres dans toutes les sphères de la société un an après l’adoption d’une déclaration ministérielle ambitieuse (Le Caire, 2017). Le Secrétariat de l’UpM collabore actuellement avec des représentants des pays, des experts d’organisations internationales, des ONG, des organisations de la société civile et d’autres acteurs concernés pour mettre au point un mécanisme régional de suivi doté d’indicateurs permettant d’évaluer et de suivre avec précision les progrès réalisés dans le domaine des droits des femmes, évaluer les écarts entre les sexes et formuler des recommandations à l’intention des décideurs et des parties prenantes afin d’accroître l’impact des politiques et des initiatives nationales. L’UpM, en renforçant la coopération régionale dans ce domaine, contribue à identifier les obstacles qui perdurent, les bons projets ou pratiques qui ont un impact positif sur le terrain, et les politiques publiques à mettre en place. C’est par ce dialogue et cet apprentissage mutuel entre les pays que nous pouvons ainsi contribuer à faire avancer l’agenda de l’égalité dans la région.
C’est dans cet esprit que l’UpM organise chaque année une Conférence de haut niveau pour fournir une plateforme de dialogue entre les acteurs clés de la région, intitulée «Women4Mediterranean», pour identifier les solutions et des pistes concrètes pour accroître et renforcer le rôle vital des femmes en tant qu’agents de changement. En octobre 2018, nous avons ainsi traité du rôle essentiel des femmes pour bâtir des sociétés plus inclusives, en examinant la mise en œuvre des priorités de la déclaration forte et ambitieuse adoptée au Caire en 2017 : la place des femmes dans la vie économique, politique et sociale, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre les stéréotypes et les barrières sociales.
Par Brahim Mokhliss - Source de l'article Le Matin Maroc
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