Sami AGLI, Président du Forum des Chefs d’Entreprise d’Algérie, lors de son intervention à la conférence de haut niveau sur l’avenir agroalimentaire de l’Afrique, dans le cadre du grand forum #AmbitionAfrica 2019, à Paris-Bercy. © DR
PDG du groupe familial éponyme, Sami AGLI préside le Forum des Chefs d’Entreprise d’Algérie. Venu à Paris participer à une conférence sur l’avenir agroalimentaire de l’Afrique, dans le cadre du forum #AmbitionAfrica, il nous a accordé cet entretien exclusif.
Au menu : la diversification économique de l’Algérie Nouvelle ; la stratégie africaine du FCE ; la coopération économique avec la France.
Un quotidien français très connu vient de publier un long article intitulé “En Algérie, la lassitude des entrepreneurs”. Comment réagissez-vous ? D’accord, pas d’accord ?
Sami AGLI – Au-delà de la conjoncture politique, il est vrai que la machine économique tourne au ralenti depuis déjà 2014, à la suite de la chute des prix du Brent sur le marché international. Vous imaginez l’impact de cette situation pour une économie mono-exportatrice.
Cette situation nous rappelle, si besoin, la fragilité de notre économie et les défis que nous devons relever. Il s’agit, de notre point de vue, d’exploiter le potentiel que recèle l’Algérie dans divers secteurs tels que le numérique, l’agriculture, les énergies renouvelables, le tourisme…. D’une manière générale, nous devons, en toute urgence, bâtir une économie productive indépendante de la rente pétrolière.
Les pouvoirs publics sont conscients de la situation. Des mesures d’urgence ont été adoptées dans le but d’assurer l’équilibre budgétaire et nous les soutenons en tant qu’organisation patronale. Toutefois, nous disons que ces mesures doivent prendre en compte la situation difficile dans laquelle se trouvent les entreprises.
Pour notre part, la situation de notre pays nous concerne. À ce titre, nous sommes tout à fait mobilisés pour maintenir nos activités et emplois. En fait, nous nous sommes mis face à nos responsabilités. Chacun doit mener son combat pour cette Algérie que nous aimons, chacun doit se projeter et préparer cette Algérie Nouvelle que nous voulons tous.
Le Forum des Chefs d’Entreprise, que vous présidez depuis le mois de juin, plaide depuis des années pour la diversification de l’économie algérienne afin de la libérer de l’addiction aux hydrocarbures. Pouvez-vous citer des avancées récentes accomplies en ce sens par les pouvoirs publics ?
Sami AGLI – En effet, pour le Forum des Chefs d’Entreprise il y a lieu d’aller d’une économie dont le fonctionnement est dépendant de la rente pétrolière vers une économie productive qui générerait ses propres ressources.
Pouvoirs publics, organisations patronales, partenaires sociaux et chefs d’entreprise, nous sommes tous convaincus de la nécessité de diversifier notre économie. Et l’Algérie dispose de tous les atouts qui lui permettent de s’engager sur cette voie. Outre les potentiels dont je vous ai parlé, nous avons un secteur privé très dynamique capable d’amorcer cette transformation.
Il suffit, pour cela, d’instaurer un climat d’affaires qui facilite l’acte d’investir et de produire, et de lever les contraintes qui pèsent sur l’entreprise et le libre-investissement d’une manière générale.
Par ailleurs, nous estimons qu’il est nécessaire d’offrir des conditions plus attractives à l’investissement étranger qui répond au besoin de notre pays en matière de transfert de technologie et de savoir-faire, d’ouverture à l’exportation et de développement du management de nos entreprises.
C’est à ce titre que nous avons accueilli avec satisfaction la décision d’abroger l’article 49/51. Nous avons toujours estimé que cette mesure doit être réservée aux seuls secteurs stratégiques.
Le système bureaucratique algérien est identifié comme une entrave très forte au développement économique du pays. Que préconise votre Forum des Chefs d’Entreprise pour en sortir ?
Sami AGLI – La bureaucratie bloque, effectivement, le développement économique et étouffe aussi les entreprises. Nous avons, au Forum des Chefs d’Entreprise, préconisé depuis plusieurs années l’engagement d’une réforme profonde de l’administration économique, plus particulièrement. Mais, les efforts entrepris par l’État restent jusqu’ici insuffisants.
La généralisation de la digitalisation numérique de l’administration et la création d’une interconnexion approfondie entre le niveau central et le niveau local, ainsi que la décentralisation des activités de la gestion administratives, sont indispensables et même indissociables pour mieux prendre en charge les préoccupations des entreprises.
La digitalisation de l’administration permettra d’augmenter le nombre de services disponibles en ligne, en particulier ceux destinés aux entreprises, notamment pour l’exécution des opérations courantes comme la déclaration des impôts ou le paiement des factures.
Cette digitalisation favorisera un gain considérable en temps pour les entreprises mais aussi contribuera à économiser l’équivalent de plusieurs points en PIB.
La dé-bureaucratisation passe aussi par la généralisation des « e-documents » et le « e-paiement » au niveau des administrations en charge du secteur économique. Mais, la réussite de la transformation numérique intégrale de l’administration passe d’abord par le changement au préalable de son actuel mode de fonctionnement.
Le Président Sami AGLI en compagnie de Christophe LECOURTIER (à sa droite), Directeur général de Business France, et d’autres responsables du Forum des Chefs d’Entreprise. © DR
Les médias algériens parlent de milliers d’emplois perdus ces derniers mois dans le pays, du fait de l’instabilité politique. Quelle est votre analyse et que préconisez-vous pour redresser la situation ?
Sami AGLI – La conjoncture économique internationale et nationale impacte, en effet, comme je vous ai expliqué, le fonctionnement des entreprises.
Les rencontres et échanges que nous avons eus avec nos membres nous ont permis de faire une analyse plus approfondie de la situation économique qui prévaut dans notre pays. À partir des données que nous avons collectées, nous avons élaboré des propositions.
En notre qualité de partenaire des pouvoirs publics, nous avons plaidé pour la prise de décisions urgentes et courageuses pour accompagner les entreprises en difficultés financières.
Nous affirmons à chaque occasion la nécessité de placer l’entreprise au centre des politiques économiques. Dans le plan d’action en faveur des entreprises en difficulté que nous avons élaboré, nous proposons des mesures de sauvegarde immédiates, et d’autres plus structurantes.
Comme première mesure urgente, nous préconisons d’orienter la priorité d’allocation des ressources vers les entreprises privées en difficulté de trésorerie, mais viables économiquement. Nous recommandons aussi la création d’un fonds spécial dédié à ces entreprises. Quant aux mesures de sauvegarde, elles concernent le domaine bancaire, le financement de l’investissement, le foncier industriel et l’accès au marché.
Je termine sur ce point avec un message d’espoir : l’Algérie a connu des moments difficiles, mais à chaque fois, nous avons démontré qu’elle avait des capacités de résilience remarquables.
En décembre 2016, le FCE a organisé à Alger son premier “Forum africain d’investissements et d’affaires”, et affirmé sa volonté de mettre le cap sur l’Afrique. Cette stratégie est-elle toujours d’actualité ? Allez-vous organiser un forum pour la relancer ?
Sami AGLI – Notre volonté de mettre le cap sur l’Afrique reste intacte. Nos relations de coopération avec des organisations patronales de plusieurs pays de notre continent se renforcent davantage.
Nous avons, au niveau de notre organisation, une Commission chargée de l’international qui multipliera, dans les prochains mois, ses actions vers l’Afrique en organisant des missions économiques ciblées. Nous estimons que notre pays peut se prévaloir de son histoire et de ses relations diplomatiques en Afrique, d’où notre souhait d’avoir une diplomatie plus active pour nous accompagner.
Notre objectif ultime avec l’Afrique est de dépasser les échanges commerciaux pour s’élargir aux projets d’investissements mutuellement bénéfiques.
L’économie africaine est en pleine croissance et les besoins dans certains pays sont prioritaires, comme l’accès à l’énergie et à l’eau potable. Nous avons identifié au Forum plusieurs secteurs, dans lesquels nos entreprises disposent d’un savoir-faire avéré comme l’agro-industrie, l’agriculture, le BTP, la réalisation des infrastructures, les énergies renouvelables, les services, l’industrie pharmaceutique, le numérique.
Ces secteurs peuvent être de véritables leviers de développement et pourvoyeurs d’emplois sur le Continent. Quant à notre « stratégie Afrique », nous tenons d’abord à préciser que celle-ci n’a pas été rompue après le Forum africain d’investissements, car nous avons organisé, depuis, plusieurs missions économiques dans des pays africains. Nous avons également reçu des délégations patronales, avec lesquelles nous entretenons toujours de bonnes
relations.
Sami AGLI, patron des patrons algériens (FCE), durant son intervention au forum #AmbitionAfrica 2019, le 31 octobre à Paris-Bercy. © AM/AP.P
Comment évaluez-vous l’état des relations économiques entre l’Algérie et la France ? De quelle manière pourrait-on les fortifier ?
Sami AGLI – Il ne se fait aucun doute pour nous, Forum des Chefs d’Entreprise, que la coopération économique algéro-française revêt un caractère stratégique.
La France est l’un des principaux partenaires de l’Algérie, autant sur le plan commercial que sur le plan de l’investissement, avec environ 400 sociétés implantées – dont une trentaine de grandes entreprises.
La création d’un Conseil d’Affaires entre le Forum et notre partenaire le Medef en est la preuve. Ce Conseil a pour but de favoriser et de promouvoir les relations économiques, commerciales et industrielles, entre les entreprises des deux pays.
Concrètement, ce Conseil est chargé de renforcer le partenariat économique au travers notamment de la mise en relation d’affaires entre les opérateurs algériens et français.
Nous allons œuvrer avec le Medef à la réactivation de ce Conseil, et cela en élaborant un plan d’action dont les résultats seront visibles très rapidement. Il s’agit d’être pragmatique dans nos efforts de construire un partenariat mutuellement bénéfiques.
Bref, je reste convaincu que nous pouvons développer davantage la coopération entre les entreprises algériennes et françaises, de façon forte et durable.
Notre souhait est de voir se diversifier et se multiplier les échanges et les partenariats, dans les différents secteurs où l’Algérie et la France peuvent être complémentaires, notamment dans l’agriculture et l’agrobusiness, l’automobile, l’industrie, l’énergie, l’industrie pharmaceutique et les TIC.
Nous sommes convaincus que le modèle français peut nous inspirer dans notre démarche pour diversifier notre économie.
Par Alfred Mignot - Source de l'article IPEMED
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