Simona Ramos, (Université Aix-Marseille, Institut de la Méditerranée) nous explique dans le cadre de la série d’entretiens “Med Change makers” lancée par FEMISE, la raison pour laquelle la question du changement climatique est primordiale pour les pays méditerranéens.
La question du changement climatique et particulièrement celle du réchauffement climatique qui induit la montée du niveau de la mer d’environ un mètre d’ici 2100 selon les estimations, touche directement les pays de la méditerranée qui verraient leurs littoraux engloutis sous les eaux.
Par ailleurs, 70 % de la population mondiale, et la région méditerranéenne n’est pas une exception, vit sur les littoraux. Simona Ramos explique alors pourquoi les migrants climatiques sont d’une part plus nombreux, mais surtout ne sont envisagés qu’en cas de catastrophes climatiques ponctuelles. La difficulté réside dans le fait que “contrairement aux événements climatiques, les processus climatiques se produisent de manière graduelle et cumulative, et il est difficile d’établir une relation causale stricte.”
La chercheuse estime donc qu’il serait primordial pour les pays de la région et plus globalement, du monde, de faire évoluer les mesures politiques en faveur des migrants climatiques à l’instar par exemple, des réfugiés à qui on a accordé un statut légal et juridique bien défini au niveau international.
La chercheuse propose quatre mesures envisageables pour améliorer les conditions de reconnaissance de ces migrants forcés que l’on ne devrait plus, selon elle, envisager comme découlant “ d’un échec d’adaptation” mais plutôt “d’une stratégie d’adaptation.”
Entre autres, elle propose une ligne de conduite qui permettrait aux États de globaliser le recensement des habitants de zones à risque, d’automatiser les statistiques de cette catégorie, d’intégrer leur réinstallation dans les politiques de développement nationales en prenant en compte les facteurs de durabilité sociale, économique et environnementale de la réinstallation.
Par ailleurs, elle note que seuls les pays ayant des institutions étatiques, financières et technologiques stables sont en mesure de pouvoir mettre en place ces mesures.
Il existe également des projets d’écologisation du territoire avec notamment en Afrique, le projet de la Grande Muraille Verte qui consiste à replanter des arbres et à réintroduire des espèces vivantes dans le désert afin de pouvoir accueillir des millions de migrants climatiques prévisionnels. En méditerranée, “l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie sont déjà partenaires dans ce projet et pourraient servir d’exemple aux autres PSM”.
Ecomnews Med a repris pour vous l'intégralité de l'entretien
réalisé par FEMISE avec Simona RAMOS.
1. En ce qui concerne les efforts de mise en œuvre de l’Accord de Paris, quel(s) pays de la région Sud-Med sont des exemples à suivre et pourquoi?
Les pays de la région Sud-Med diffèrent dans les progrès réalisés pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Le Maroc et Israël sont nettement en avance en termes de politiques et d’actions. Au cœur des efforts actuels de réduction des émissions du Maroc se trouve la Stratégie Énergétique Nationale, qui vise à porter la part de la capacité d’électricité renouvelable à 42% d’ici 2020 et à 52% d’ici 2030. Le Maroc a fait preuve d’une politique active, avec des investissements massifs dans l’énergie solaire à commencer par la construction du complexe solaire géant de Noor (utilisant l’énergie solaire concentrée) près de Ouarzazate.
D’un autre côté, l’Algérie, la Tunisie et la Palestine semblent être disposés à prendre des mesures plus courageuses pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, bien que ces pays soient également confrontés à de sérieuses contraintes. Par exemple, en termes de législation, la Tunisie est devenue l’un des rares pays à reconnaître le changement climatique dans sa Constitution, même si les politiques liées au climat dans ce pays doivent être améliorées.
2. Vous suggérez qu’il n’y a pas eu suffisamment de coopération entre les pays du Sud. Pourquoi est-ce si important et quelles sont vos suggestions à cet égard?
En effet, l’un des principaux problèmes auxquels les pays du Sud de la Méditerranée sont confrontés est le manque de collaboration mutuelle dans la mise en œuvre de leurs politiques climatiques. Une collaboration Sud-Sud solide pourrait favoriser une amélioration significative de la mise en œuvre de la politique sud-méditerranéenne en matière de changement climatique. La coopération peut contribuer au renforcement mutuel des capacités dans le domaine de la recherche et du développement.
Simona Ramos, professeure à l'Université d'Aix Marseille et chercheuse à l'istitut de la Méditerranée/FEMISE |
En outre, le transfert de technologie et de savoir-faire peut être favorisé par des cadres législatifs et institutionnels (par exemple en développant des cadres de transfert de technologies et des environnements propices à l’intégration de politiques de transfert de technologie au niveau national). Le potentiel de la coopération Sud-Sud est vaste et, en tant que tel, devrait être sérieusement pris en considération.
3. Comment les processus climatiques affectent-ils la migration humaine? A-t-on fait quelque chose au niveau de la politique nationale à cet égard au sein des PSM?
Les processus climatiques affectent sérieusement les migrations. Néanmoins, on peut soutenir que ce sujet ne reçoit pas l’attention voulue car, contrairement aux événements climatiques, les processus climatiques se produisent de manière graduelle et cumulative, et il est difficile d’établir une relation causale stricte. Néanmoins, l’effet du changement climatique sur les populations peut fonctionner de multiples façons. L’eau, la nourriture et la disponibilité des terres peuvent être sérieusement affectées et les populations peuvent être forcées à migrer hors des zones touchées.
La région du sud de la Méditerranée a été parmi les régions du monde les plus touchées par le climat, avec une élévation du niveau de la mer et une désertification continues. En ce qui concerne les politiques, ce qui a été fait jusqu’ici consiste en des mesures d’adaptation et d’atténuation (souvent dans le cadre des CDN ou des CN des pays). Néanmoins, on peut faire valoir que ces mesures ne traitent pas nécessairement et / ou ne s’attaquent pas entièrement aux migrations (forcées) induites par le climat.
4. Vous déclarez que les mesures politiques actuelles ne parviennent pas à répondre pleinement aux impacts continus de la migration climatique. Pourquoi, et quelles sont vos suggestions politiques pour faire face aux effets continus de la migration climatique dans les pays du sud de la Méditerranée?
Bien qu’il puisse être fermement soutenu que les mesures politiques actuelles et les stratégies climatiques sont cruciales face au changement climatique, elles ne sont pas destinées à aborder complètement l’ensemble des conséquences du changement climatique, comme celui des migrations induites par les processus climatiques. Ceci est dû à plusieurs raisons.
L’atténuation, l’adaptation ainsi que le renforcement des capacités et les stratégies de transfert de technologie prennent du temps à être mis en œuvre, ce qui signifie que les millions de personnes actuellement touchées ne sont pas susceptibles de bénéficier immédiatement de ces mesures. Aussi, pour que ces stratégies soient efficaces, un consensus global est nécessaire. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, comme l’a montré l’histoire récente.
L’une des recommandations politiques à cet égard consisterait à incorporer la migration induite par le changement climatique dans le cadre juridique international, en tant que stratégie d’adaptation plutôt qu’en tant qu’échec d’adaptation. Dans ce cas, le fait d’avoir un statut légal pour les «migrants climatiques» permettrait d’aborder et de protéger correctement les personnes qui traversent des difficultés.
D’autres suggestions incluent l’utilisation de la «réinstallation planifiée», une approche qui a souvent été incorporée dans les cas de catastrophes naturelles. Beaucoup ont favorisé cette approche, car elle se déroule généralement à l’intérieur des frontières du pays, permettant une plus grande flexibilité et évitant la complexité d’exiger des accords internationaux.
5. Comment les mesures de réinstallation peuvent être utilisées pour répondre aux personnes touchées par la migration induite par le climat ?
Les stratégies de réinstallation planifiées peuvent être complexes et difficiles à mettre en œuvre, en particulier si un pays manque de capacités institutionnelles, technologiques et financières.
- Premièrement, il devrait y avoir une identification précoce des populations exposées aux catastrophes et aux autres impacts du changement climatique, ou bien affectées par des projets d’atténuation et d’adaptation associés au changement climatique. Une cartographie nationale de ces populations doit être systématisée et partagée publiquement pour maximiser la sensibilisation.
- La planification pour la réinstallation devrait être intégrée dans les stratégies nationales et nécessite la création d’un environnement propice, incluant une base juridique pour entreprendre la réinstallation planifiée, un renforcement des capacités, une institutionnalisation et une approche pan-gouvernementale.
- La durabilité de la réinstallation planifiée devrait être assurée par une attention adéquate portée à la sélection des sites, aux moyens de subsistance, à l’intégration (identité et culture) et aux communautés hôtes, parmi d’autres facteurs.
- Des systèmes quantitatifs et qualitatifs indépendants de suivi et d’évaluation, à court et à long terme, devraient être créés pour évaluer les impacts et les résultats de la réinstallation planifiée.
6. Qu’est-ce que le projet de Grande Muraille Verte et quelles sont ses implications et son potentiel pour les pays du sud de la Méditerranée ?
La réinstallation planifiée devrait être une option de dernier recours, car c’est un processus complexe et coûteux. Il est nécessaire de permettre l’amélioration des conditions de vie des zones touchées par le changement climatique. L’un des projets les plus importants à cet égard est la Grande Muraille Verte, une initiative africaine visant à « verdir » le désert (en cultivant plus de plantes et d’arbres) dans le but de fournir de la nourriture, des emplois et un avenir à des millions de personnes vivant dans des régions qui sont affectés par le changement climatique.
L’incapacité à vivre à partir de la terre peut être un facteur important de migration. L’écologisation des zones qui sont actuellement peu peuplées et qui ne sont pas en mesure de subvenir pleinement aux besoins humains pourrait apporter de nombreux avantages, comme i. Les personnes qui vivent déjà dans ces régions ne seraient pas obligées de s’en aller et ii. Ces zones pourraient également servir de lieu potentiel de réinstallation pour les populations des zones touchées avoisinantes. L’Algérie, l’Égypte et la Tunisie sont déjà partenaires dans ce projet et pourraient servir d’exemple aux autres PSM.
Propos recueillis par Costantin Tsakas.
Par Nour Ben M'Barek - Source de l'article Ecomnewsmed
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