Méditerranée - Le textile euro-méditerranéen en danger

En pleines révolutions arabes, le patron du groupe de mode gardannais Jean-Brice Garella s’interroge sur l’avenir de la production des pays du Sud.
Jean-Brice Garella, également président de la Maison méditerranéenne des métiers de la mode (MMMM), s’exprime ici sur les graves incidences de l’entrée fracassante des produits asiatiques sur les pays du Maghreb avec qui il entretient d’étroites relations.

Les importations massives de produits textiles venues d’Asie ont-elles participé d’une façon ou d’une autre à la déstabilisation politique et économique des pays de la rive Sud de la Méditerranée ?
Assurément oui. Parmi l’un des premiers secteurs économiques du Maghreb, le textile peut représenter dans certains pays jusqu’à 50% des exportations en direction de l’Europe.
Le secteur mode habillement joue donc un rôle clé dans les économies méditerranéennes ainsi que dans leurs échanges avec l’Union européenne où plus de 2 000 entreprises ont localisé leurs outils de production dans cette zone. C’est donc dans ce contexte de mondialisation que les pays européens doivent apporter tout leur soutien afin que leurs marques nationales puissent conserver un outil de production à seulement quelques heures d’avion de leurs lieux de création et de distribution.
La mode n’est donc pas l’industrie du futile ou de l’éphémère que l’on nous dépeint trop souvent, mais bien un rouage essentiel à l’économie euro-méditerranéenne.

Concrètement, comment se traduit la concurrence asiatique dans les bassins méditerranéens ?
Avec plus 1,5 million de salariés, 10 000 entreprises et 7 milliards d’euros d’exportations, la concurrence asiatique a eu un effet dévastateur sur la création d’emplois en Afrique du Nord.
Cette arrivée soudaine des productions chinoises et indiennes a fortement déstabilisé un des secteurs clés du bassin méditerranéen.
Basés essentiellement sur des activités de sous-traitance et donc directement liés aux coûts salariaux, des pays comme la Tunisie, le Maroc ou encore l’Egypte ont subi de plein fouet cette nouvelle concurrence.
C’est en effet sous la pression sur les prix pratiqués par les grandes enseignes commerciales qu’une mode de plus en plus bon marché et éphémère a vu le jour.
Entre 2001 et 2005, le pouvoir d’achat des femmes a augmenté de 21% alors qu’en parallèle les prix ont baissé de 14%.

Quelles règles devra respecter la production asiatique pour répondre aux nouvelles aspirations des consommateurs ?
Aujourd’hui en position dominante, l’Asie ne pourra sans doute pas monopoliser la production d’une industrie tout entière. Il est certain qu’à son tour « l’atelier du monde » va lui aussi subir des changements majeurs au cours de ses prochaines années.
S’il veut répondre aux nouvelles aspirations des consommateurs, il devra se remettre lui aussi en question.
Qu’il s’agisse de respect des droits du travailleur, de l’augmentation des coûts du transport, du respect de l’environnement avec la Charte Reach, qui réglemente les substances chimiques produites et importées en Europe, ou encore la réduction de la contrefaçon où selon le ministère du Budget, 73,5% des contrefaçons saisies proviennent de Chine.
Tous ces critères seront autant de passages obligés pour la Chine ou l’Inde s’ils souhaitent continuer à diffuser leurs productions dans l’Union européenne.

Quel rôle peut jouer la Maison méditerranéenne des métiers de la mode pour accompagner les créateurs de la rive Sud ?
Bien loin de l’Union pour la Méditerranée, la disparition des quotas d’importations en 2005 par la Commission européenne, conjuguée à la faiblesse du dollar et à une sous-évaluation permanente du Yuan a fait qu’aujourd’hui un vêtement sur deux vendus en Europe est importé directement d’Asie.
Le monde du commerce et de la libre concurrence n’évoluant pas au même rythme que celui de l’industrie, il était devenu pour notre filière nécessaire de l’encadrer, de le réguler et de mettre en place des structures « tampons » pour adoucir cette économie de marché totalement débridée.
C’est pourquoi, partant de ce constat et devant l’urgence des enjeux, il devenait une nécessité pour nous, professionnels des métiers de la mode, de créer une structure en euro-méditerranée nous permettant de développer et de pérenniser ce formidable maillage d’entreprises.

Marseille, plateforme de ce réseau ?
Réunie autour des influences de la Méditerranée et sous l’impulsion de Maryline Bellieud-Vigouroux, présidente de l’institut de la mode, bénéficiant du soutien du ministère de la Culture et de celui de l’Economie ainsi que les collectivités territoriales, c’est Marseille qui a été choisie pour accueillir cette plateforme.
Dénommée Maison méditerranéenne des métiers de la mode, ce nouveau pôle, commun aux pays du bassin méditerranéen, est organisé autour de trois axes principaux. En premier lieu, la formation, en lien avec l’université Aix-Marseille II avec la création du premier master international dédié aux seuls métiers de la mode.
Afin de valoriser les codes stylistiques méditerranéens, la MMMM propose à de jeunes créateurs, qu’ils soient Libanais, Espagnol, ou Français, un accompagnement unique en participant à des ateliers animés par les meilleurs professionnels issus du management, de la mode et des métiers d’art..
Nous sommes convaincus que c’est en participant activement aux échanges avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée qu’ils pourront devenir à leur tour un relais de croissance pour les marques de mode européennes.
C’est en prenant conscience de tout leur potentiel économique que l’Union pour la Méditerranée prend tout son sens.
Propos recueillis par Gérard LANUX - LaMarseillaise
Source -
http://www.lamarseillaise.fr/economie/le-textile-euro-mediterraneen-en-danger-23738-2.html

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