Jean-Louis Guigou, Délégué général fondateur de l’Ipemed, promoteur
de la Fondation La Verticale de l’AME (Afrique-Méditerranée-Europe). © AM/AfricaPresse.Paris
Pour sortir de l’étouffement du G2 (Amérique-Asie), pour sortir de la menace de stagnation séculaire, pour sortir de la menace du terrorisme et de l’immigration africaine, l’Europe entraînée par la France doit repenser sa relation avec l’Afrique. Non plus en termes « d’aide », mais en termes de coproduction de richesse.
Presque dix ans après la fondation de l’Union pour la Méditerranée, en juillet 2008 à l’initiative du Président Nicolas Sarkozy (événement dont certains initiés affirment que Jean-Louis Guigou en fut l’originel inspirateur), le président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen) s’est saisi d’une nouvelle mission que l’on osera qualifier d’intérêt public international, une tâche pour le bien commun de l’Humanité.
Élargissant en effet son horizon au-delà même de sa chère Méditerranée, Jean-Louis Guigou étend désormais son plaidoyer pour une intense coopération entre les deux rives de la Mare Nostrum à l’idée de l’arrimage, par la coproduction, entre les deux continents Europe et Afrique. Rien de moins ! C’est le concept de « La Verticale de l’AME », soit un vaste ensemble économique intégré englobant l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe.
Vous promouvez depuis 2015 le concept de la verticale Afrique-Méditerranée-Europe, vision à laquelle le président Emmanuel Macron a manifesté à maintes reprises son adhésion, depuis son élection et même dès la campagne présidentielle. En quoi ce projet vous paraît-il répondre à une nécessité historique ?
Jean-Louis Guigou - À l’heure actuelle, notre monde devient de plus en plus chaotique, et les tensions de plus en plus fortes. Beaucoup de chefs d’États s’enferment dans la défense des intérêts de leurs pays respectifs et cherchent à flatter leurs opinions publiques. Dans ce contexte où les relations internationales se dégradent, la plupart des chefs d’État et de gouvernement sont dans l’incapacité de tracer une perspective, de proposer une vision. Ils pilotent à vue, souvent soucieux avant tout de flatter leur opinion publique. C’est ainsi le syndrome de l’« America First » qui se répand…
Rares sont en fait les pays qui affirment une vision prospective. Je citerai bien sûr la Chine, avec sa stratégie des nouvelles routes de la soie que Xi Jinping veut voir aboutir pour le centenaire de la révolution de Mao, en 2049, mais aussi le Maroc. Un pays certes bien plus modeste que la Chine, mais où le roi Mohamed VI a impulsé depuis une dizaine d’années une réelle vision panafricaine et a réussi à positionner son pays comme plate-forme intercontinentale entre l’Europe et l’Afrique.
Et je vous surprendrai peut-être en citant aussi l’Algérie, qui porte son projet-phare de Dorsale transsaharienne, sur 6 000 km d’Alger à Lagos, et même 9 500 km au final, avec les bifurcations en étoile – pourra relier par la route la Méditerranée à l’Afrique subsaharienne en plein boom économique. Une dorsale totalement équipée en fibre optique !
Cela dit, on a y beau réfléchir, naguère encore on ne repérait pas grand monde avec une vision d’envergure… Jusqu’à l’arrivée d’Emmanuel Macron, qui énonce clairement une vision, lors de son discours aux ambassadeurs du 29 août 2017 : « Je veux arrimer les deux continents, africains et européens, à travers la Méditerranée. Créer un axe Afrique-Méditerranéen-Europe. »
C’est clair ! Et il l’a redit à Ouagadougou, à Abidjan et encore en février dernier en Tunisie : « Votre combat, c’est notre combat. Vous êtes attaqués sur des valeurs que nous défendons et donc tout ce qui attaque l’Europe, et donc le terrorisme partout où il est. Ils menacent la France. » C’est une vision courageuse et ambitieuse.
Quels avantages les deux continents peuvent-ils en attendre ?
Jean-Louis Guigou - Ces dernières années, les Africains ont commencé à faire la part des choses. Certes, les Chinois sont efficaces… mais aussi très souvent prédateurs ! Quant aux Américains, on les considère désormais assez fluctuants et opportunistes. Restent les Européens, avec la pilule encore souvent amère de la colonisation. Mais nous avons aussi appris à nous apprivoiser les uns les autres, et nous Européens commençons à tirer les leçons de nos erreurs. À les reconnaître aussi, comme le Président Macron a su le faire.
Cela dit, le pari de l’intégration renforcée de La Verticale de l’AME me paraît encore plus réaliste si l’on considère la question démographique : en 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants, tandis que l’Europe se sera à peine maintenue autour des 500 millions actuels.
Les marchés de l’avenir sont donc en Afrique, c’est une évidence qui ne fait pas débat. L’intérêt de l’Europe, c’est de contribuer au développement de l’Afrique pour y stabiliser les populations et réduire la croissance démographique. Par nos travaux de l’Ipemed, nous prouvons d’ailleurs que la démographie est une conséquence du sous-développement, et certes pas une cause. C’est lorsque les gens sont pauvres et dans des situations d’insécurité qu’ils font beaucoup enfants, car ils espèrent que ceux-ci pourront un jour les aider, les protéger.
Plus nous favoriserons la croissance de l’Afrique, plus nous contribuerons à sa transformation, plus nous en aurons des retours positifs, y compris pour le développement de l’Europe et sa sécurité face au terrorisme. Car il faut bien considérer qu’Europe et Méditerranée-Afrique sont confrontées à des défis communs : terrorisme, réchauffement climatique, chômage, migrations illégales… C’est forcément par des régulations interrégionales que nous pourrons résoudre ces problèmes. La mutualisation des efforts de chacun face aux défis communs engendre une solidarité de fait.
Et puis, il nous faut d’autant plus intensifier notre intégration Afrique-Méditerranée-Europe que les autres grandes régions sont bien plus avancées, et depuis bien longtemps. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ont mis en place dès 1948 l’OEA, l’Organisation des États américains, puis dès les années 1960 la CEPALC [Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, créée par l’ONU en 1948, ndlr] a promu des stratégies d’industrialisation visant à remplacer en partie le recours aux importations d’Amérique du Nord. Et ce cheminement a abouti en 1994 à l’entrée en vigueur de l’Alena.
Aujourd’hui, quoi que fasse le Président Trump, l’intégration entre les deux Amérique par l’Alena dépasse les 50 %, et cela ne s’arrêtera pas. Côté Asean, la Chine se situe autour de 57 % d’intégration avec les pays du sud-est asiatique. Donc si l’Europe ne réagit pas, nous serons étouffés par le G2 Alena-Asean. La seule porte porte de sortie pour l’Europe, c’est l’Afrique !
Propos recueillis par Alfred Mignot - Source de l'article Africa Presse
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