Jean-Louis Guigou : « Une fondation, une banque, un traité économique : trois premiers outils pour arrimer Europe et Afrique

Jean-Louis Guigou, Délégué général fondateur de l’Ipemed, promoteur de la Fondation 
La Verticale de l’AME (Afrique-Méditerranée-Europe). © AM/AfricaPresse.Paris

Dans le premier volet de cette entrevue exclusive*, Jean-Louis Guigou, Délégué général fondateur de l’Ipemed, a esquissé le cadre géoéconomique démontrant la nécessité d’une initiative visant à arrimer les deux continents Europe et Afrique. 

Dans ce deuxième volet, il détaille la feuille de route de la concrétisation de cette vision : la création de la Fondation « La Verticale de l’AME » pour l’intégration économique Europe-Méditerranée-Afrique ; la mise en place d’une banque à vocation intercontinentale ; l’établissement d’un traité économique participatif fortement tourné vers la coproduction.

Une vision courageuse et ambitieuse, disiez-vous dans notre précédent échange*, à propos du Président Emmanuel Macron. Mais a-t-on seulement les moyens de mettre en œuvre cet arrimage de l’Europe et de l’Afrique ?

Jean-Louis Guigou - Certains travaux réalisés par l’Ipemed sous la conduite de notre ami l’économiste et géographe Pierre Beckouche nous permettent d’estimer que 72 % des relations commerciales internationales de l’Europe se font entre pays européens, et 80 % en y ajoutant les parts de la Russie et de la Méditerranée-Afrique. L’Afrique représente donc une part modeste, mais cela indique aussi que la Chine et l’Amérique ne représentent que 20 % de notre commerce international.

En revanche, si l’on considère l’ensemble des pays européens, nous sommes le premier investisseur en Afrique et le premier client des Africains. Nous sommes donc déjà très liés avec l’Afrique, et c’est une base qui permet de penser que la vision du Président Macron est réaliste. [Voir : https://bit.ly/2un0sRn

Vous proposez notamment la création d’une Fondation ad hoc, la « Verticale de l’AME », mais aussi l’établissement d’une banque intercontinentale et d’un traité économique… Comment faire pour avancer ?

Jean-Louis Guigou - D’abord, comme l’affirme avec courage notre Président, l’Europe et l’Afrique doivent se réconcilier, regarder vers l’avenir pour offrir une perspective à nos jeunesses respectives. La réconciliation, le travail en commun, c’est ouvrir la voie à cent ans de croissance ! Comment faire ? me demandez-vous…

L’Ipemed, propose la mise en place de trois outils stratégiques, à commencer effectivement par la création d’une Fondation, la Verticale de l’AME – pour Afrique-Méditerranée-Europe – afin de promouvoir et porter cette vision coopérative de coproduction nord-sud, par l’arrimage de nos deux continents, Europe et Afrique.

Il nous faut en effet créer le plus vite possible un lieu de réflexion stratégique, assuré de sa pérennité, et donc à l’abri des fluctuations politiques de court terme. C’est une initiative que pourraient prendre ensemble la France et l’Allemagne, et d’autres Européens suivraient.

Cette approche est partagée par des dirigeants africains. C’est le cas par exemple du président nigérien Mahamadou Issoufou. Il y a un peu plus d’un an, il m’a adressé une lettre très claire, écrivant notamment : « L’interdépendance entre l’Europe et l’Afrique est évidente. Et ces interdépendances exigent la mise en place d’un lieu de réflexion stratégique pour accélérer cette intégration dans l’intérêt des deux continents. »

La deuxième étape, c’est la mise en place d’une banque intercontinentale. Notez que la Banque interaméricaine de développement (BID) a été créée dès 1959 ! Depuis 2016, la Chine a mis en place la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB). Elle rencontre un succès fulgurant : les pays asiatiques y détiennent les 3/4 des droits de vote, mais elle s’est ouverte à tous et compte déjà 84 pays adhérents, avec un capital de 100 milliards de dollars, qui sera aussi utilisé pour l’Afrique.

Face à cela, de quoi disposons-nous ? D’un côté nous avons la Banque européenne d’investissement (BEI), de l’autre la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA)… Mais, il n’y a rien, ni banque ni institution financière intercontinentale qui assurerait la mobilité des capitaux et la sécurisation des investissements entre l’Europe et l’Afrique

Or, ce sont là deux conditions nécessaires et suffisantes pour le redéploiement intercontinental du capital. Faute de quoi, on ne fait que du commerce, on ne franchit pas le cap vers la coproduction.

C’est une terrible lacune ! Si l’on s’accordait immédiatement, on pourrait aboutir à quelque chose dans cinq à six ans ! C’est long. Il faudrait donc s’atteler à cette tâche au plus vite.

Troisième impératif : établir un traité économique. À l’heure actuelle, on va commencer à renégocier l’accord de Cotonou. Il a été conclu en 2000 entre l’Union européenne et 79 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), pour une durée de vingt ans, il vient à échéance en février 2020.

Cet accord comporte trois volets : politique, de soutien au développement et commercial. En gros, on demandait aux pays ACP de baisser leurs droits de douane pour laisser entrer des produits industriels européens. En contrepartie, on leur allouait des aides publiques au développement… C’est d’une indigence à pâlir de honte !

Le traité post-Cotonou, qui s’étendra de 2020 à 2035, doit être bien plus ambitieux qu’un accord commercial de libre-échange. Il doit mettre en place les processus de répartition intercontinentale des chaînes de valeur, donc la coproduction. Le traité de l’Asean doit nous servir d’exemple : les pays asiatiques ont réussi à mettre en place un tel traité parce que leurs économistes ont travaillé en toute indépendance, hors tutelle des administrations, et parce que le patronat s’est mobilisé.

Outre ces trois éléments indispensables, je crois aussi qu’il serait utile de créer une institution pour que les chefs d’État concernés s’y rencontrent. Pour bien faire, il faudrait établir un lieu permanent de concertation entre l’Union Européenne, l’Union pour la Méditerranée et l’Union Africaine, un Secrétariat de coordination, installé par exemple à Barcelone où se trouve déjà le Secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée.

Ces objectifs résument tout le sens de mon travail actuel et celui de l’ensemble de l’Ipemed. Notre plaidoyer consiste à promouvoir cette idée de la Verticale de l’AME, et à proposer les éléments concrets d’une feuille de route qui permette d’avancer pour amorcer l’arrimage entre les deux continents.

Propos recueillis par Alfred Mignot - Source  de l'article Africa Presse

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