Les statistiques représentent un outil crucial pour évaluer les objectifs de développement durable (ODD). Notamment à propos d’égalité des genres, explique Fatiha Hassouni de l’Union pour la Méditerranée.
Fatiha Hassouni est cheffe du secteur égalité homme-femme de l’Union pour la Méditerranée (UMP). Depuis septembre 2014, elle est chargée de développer un programme régional de l’égalité homme femme.
Quelle place tiennent les statistiques dans l’élaboration des politiques publiques ?
Quand on élabore une politique publique, la première étape est de définir des cibles. Par exemple, pour les politiques en faveur de l’emploi, on va définir qu’une mesure doit atteindre deux millions de chômeurs longue durée entre 30 et 50 ans.
Pour atteindre ces cibles, il faut avoir des systèmes de collecte de l’information (enquêtes d’opinion, relevé d’information auprès de professionnels, etc.) qui permettent d’évaluer l’impact réel des politiques. Le problème, c’est que la statistique publique n’existe pas de manière systématique. Les experts politiques et de la statistique doivent travailler de pair. Malheureusement, de manière générale, cela ne se fait pas.
Quels sont les enjeux en matière de statistiques sur la question de l’égalité homme femme ?
Il est plus difficile d’avoir des statistiques sur les femmes. Par exemple, le secteur agricole emploie beaucoup de femmes dans les pays du Sud. Mais il s’agit d’emploi informel, qui ne respecte pas forcément le droit du travail. Donc il y a beaucoup de violation de droit dans ce secteur. Mais ce constat n’est pas basé sur des études sectorielles. Tout le monde connait cette réalité, mais elle n’est pas appuyée par des statistiques officielles, ce qui entraine une absence de prise en compte de cet enjeu dans les politiques publiques agricoles.
Les politiques publiques partent du principe que leur effet sera le même sur l’ensemble de la population, qu’elles sont « neutres ». Résultat, rien n’est fait pour prendre en compte les besoins de femmes au sein de ces mêmes politiques. Mais ce n’est pas vrai, l’impact sur les femmes et les hommes n’est jamais le même. C’est pour ça que la collecte d’informations et les statistiques sont fondamentales, car cela permet aux décideurs politiques de réorienter leur action si elle s’avère discriminante. Cela s’applique d’ailleurs à toutes les catégories de personnes vulnérables. Les statistiques sont nécessaires pour être certain que la politique publique n’est pas discriminatoire.
Pour réaliser les Objectifs de Développement Durable, a-t-on des statistiques suffisantes ?
Les Objectifs de Développement Durable (ODD) doivent être la référence internationale de toute politique publique. Notre travail au niveau régional à l’Union pour la Méditerranée (UPM) doit contribuer à cet engagement international. Nous sommes une instance régionale qui regroupe 43 pays, dont les 28 États membres de l’UE. Dans une déclaration ministérielle signée au Caire en 2017, nous avons défini 4 objectifs principaux en matière d’égalité homme-femme dans le cadre des ODD: améliorer la participation économique de femmes via l’entrepreneuriat et l’accès à l’emploi ; renforcer l’accès aux postes à décision dans le domaine politique et économique, combattre toute forme de violences faites aux femmes, et enfin lutter contre les stéréotypes et les normes. Cette réunion ministérielle est un point de départ qui va permettre d’avoir une vision d’ensemble de l’état de l’égalité homme-femme dans la région de la Méditerranée, et permettra de mesurer les progrès accomplis par rapport aux objectif internationaux.
Quel est l’état des lieux aujourd’hui ?
Il y a un déficit de statistiques publiques. La collecte statistique est un exercice, coûteux, chronophage et complexe. Cela pose problème partout, même en Europe, même si certains pays font mieux que d’autres.
Pour avancer sur le sujet, l’une des recommandations que nous faisons est de développer un mécanisme de suivi avec des indicateurs pour faire évaluer les engagements pris dans le cadre des ODD. On est en train de voir quels sont les besoins et comment on peut développer ce qu’il manque, notamment avec le programme MedStat, qui est un programme de coopération financé par l’Union européenne pour les pays du Sud et de l’Est sur la question des statistiques. Il permet d’accompagner les pays dans le développement de leurs outils statistiques. C’est un programme important, car les statistiques sont clés pour la réussite des ODD.
La statistique, c’est avant tout un engagement politique ! C’est un investissement nécessaire, mais couteux, qu’il est difficile de défendre dans le budget de l’État. Personne ne va dire que sa priorité politique c’est les statistiques ! Au-delà de la question budgétaire, il y a aussi un enjeu sur le temps. Car collecter l’information prend du temps.
Par Cécile Barbière - Source de l'article Euractiv
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