Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, inauguré en juin, tente de mettre en valeur la culture d’une région dont l’identité culturelle et politique n’est pas toujours facile à cerner.
C’est comme en voile : si vous n’exploitez pas le moindre souffle de vent, vous n’avancez pas. Lancé voilà 13 ans, le projet d’un musée sur les civilisations d’Europe et de Méditerranée a rapidement tourné court en raison des barguignages entre Paris et Marseille au sujet de son lieu d’implantation.
La raison pratique justifiant la création d’un tel musée avait déjà quelque chose d’artificiel. Le Musée national des arts et traditions populaires, poussiéreux établissement inauguré en 1936 à Paris, devait en effet fermer ses portes et léguer ses fonds, considérables, à la cité phocéenne.
Le site, sur le port, au pied du vieux Fort Saint-Jean, fut arrêté, et c’est le méridional Rudy Ricciotti qui sortit vainqueur du concours d’architecture.
Marseille avait d’autres soucis
Le musée a été mis entre parenthèses jusqu’à ce que Marseille-Provence soit élue Capitale européenne de la culture
Marseille avait pourtant d’autres chats à fouetter : les tensions sociales entre les quartiers nord et sud, par exemple, ou la paupérisation de sa population, dont 15 % vit sous le seuil de pauvreté. Le musée a été mis entre parenthèses jusqu’à ce que Marseille-Provence soit élue Capitale européenne de la culture en 2013, voilà cinq ans. Ce choix a insufflé un nouvel élan au projet et donné le coup d’envoi d’une véritable frénésie immobilière.
Face au Marseille des trafics de stupéfiants, de la mafia et de l’économie parallèle, un autre Marseille est monté en puissance, celui des projets culturels, de la rénovation urbaine, et de l’embourgeoisement qui va avec.
Terre d’accueil de l’Afrique du Nord et seule mégapole de l’Hexagone à ne pas reléguer ses populations défavorisées en banlieue, Marseille est en train de découvrir que la culture peut être un moteur de l’économie. Le palais Longchamp et le musée Borély ont été rénovés et convertis en musées des beaux-arts, le Vieux Port a été réaménagé de fond en comble par Norman Foster, et le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), inauguré début juin, s’est vu flanqué de la"Villa Méditerranée", à l’initiative de la Région.
Une architecture novatrice
Enveloppé d’une résille de béton noir, l’imposant parallélépipède de Rudy Ricciotti est accessible par son toit, au moyen de deux passerelles, ou par le rez-de-chaussée, depuis les quais. Dans un cas comme dans l’autre, l’édifice respire la qualité. C’est sans doute l’un des musées les plus réussis de ces dernières années en Europe.
Avec sa surface d’exposition de près de 4 000 mètres carrés et sa liaison au Fort Saint-Jean et à la vieille ville grâce à ces passerelles vertigineuses, l’édifice est tout à la fois un musée, une attraction et un nouveau symbole pour la ville.
Cependant, les fonds en sa possession ne facilitent pas la tâche du MuCEM. Le musée ethnographique est un concept vieillissant, qui remonte au 19e siècle. Aussi, le MuCEM entend-il créer un musée des civilisations d’un genre nouveau. Reste à savoir comment il y va s’y prendre, au vu des fonds dont il a hérité – un demi-million d’outils, d’objets rituels, de meubles, de costumes, d’affiches et tout autant de photos – et de l’immensité du périmètre géographique concerné.
Une chose est sûre : l’accent sera mis sur les liens qui unissent la Méditerranée et l’Europe
Une chose est sûre : l’accent sera mis sur les liens qui unissent la Méditerranée et l’Europe. Evitons d’opposer l’Europe du Nord au Sud, exhorte Thierry Fabre, responsable de la programmation du MuCEM : la vision d’un "empire latin" telle que le philosophe Giorgio Agamben l’a introduite dans le débat a été interprétée, par le Nord, surtout, comme une déclaration de guerre. Pour Thierry Fabre, l’Europe ressent pour la Méditerranée une inclination naturelle, qui s’est toutefois sclérosée après Goethe, la campagne d’Egypte de Napoléon, et la mode de l’orientalisme.
Le berceau des idées européennes ?
Thierry Fabre a une sainte horreur des "discours pontifiants sur la Méditerranée, berceau de la civilisation". La réactivation de cette inclination naturelle n’est pas dirigée contre le Nord – il s’agirait plutôt d’affirmer une singularité trop souvent dédaignée. A ses yeux, le Méditerranéen possède une "identité narrative" restée forte, tissée d’histoires et d’imaginaires communs. Thierry Fabre n’a connaissance d’aucun imaginaire, ni atlantique, ni baltique – à la rigueur l’imaginaire caribéen – qui lui soit comparable.
Pour Thierry Fabre, le sursaut démocratique survenu dans les pays d’Afrique du Nord et l’instabilité politique qui l’accompagne sont la confirmation que le vent souffle désormais du Sud. Des premiers rêves de Méditerranée des pionniers du socialisme derrière Saint-Simon à l’emballement de Nietzsche pour Carmen en passant par les odes au soleil de Picasso, c’est un nouvel horizon culturel qui se dessine au sud de l’Europe, comme le proclame le MuCEM en s’appuyant sur des choix quelque peu arbitraires.
Un horizon culturel dont les lacunes seront désormais comblées – y compris politiquement –par le Sud. A cet égard, la contribution du MuCEM dépendra de sa capacité à dépasser sa finalité première, plutôt vague. Si l’affluence surprise enregistrée depuis l’inauguration (350 000 personnes) est un signe de succès, elle n’est pas encore un argument. Situés sur une ligne de faille déterminante en Europe, Marseille et son musée entrevoient néanmoins la possibilité d’un avenir dont ils ne sont pas les seuls dépositaires.
Par Joseph Hanimann - Source de l'article Presseurope
Traduction du Süddeutsche Zeitung par Jean-Baptiste Bo
C’est comme en voile : si vous n’exploitez pas le moindre souffle de vent, vous n’avancez pas. Lancé voilà 13 ans, le projet d’un musée sur les civilisations d’Europe et de Méditerranée a rapidement tourné court en raison des barguignages entre Paris et Marseille au sujet de son lieu d’implantation.
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