La Méditerranée dans l’environnement stratégique français


Dans le sillage d’un second arrêt technique majeur (ATM2) ayant permis la modernisation du porte-avions Charles de Gaulle et la remontée en puissance de son groupe aéronaval (GAN), la Marine nationale a lancé le 25 novembre 2019 l’exercice PEAN en Méditerranée, cette fois-ci combiné aux traditionnels exercices Gabian. 

Celui-ci doit permettre à la marine française de parfaire ses capacités à se déployer dans le bassin méditerranéen et mobilise cette année des moyens importants, avec la participation des porte-hélicoptères amphibies (PHA) Mistral et Tonnerre, en sus d’unités américaine, espagnole et italienne, pour un maximum de quinze bâtiments déployés simultanément[1].

Aussi et si cet exercice n’est pas inédit, il mobilise néanmoins des moyens rarement réunis en un point unique, dans un contexte marqué par une intensification de l’activité navale internationale en Méditerranée. Bouleversé par l’instabilité née des Printemps arabes, l’environnement stratégique méditerranéen est par ailleurs impacté par l’essor de la puissance turque, la croissance de l’activité russe en Méditerranée orientale (MEDOR) et l’irruption d’une Chine bénéficiant désormais, avec sa base navale de Djibouti, de capacités de projection renouvelées[2].

Dans le bassin méditerranéen, la France fait évoluer son dispositif

Face à ces développements qui impactent en profondeur les équilibres stratégiques jusqu’ici en vigueur dans le bassin méditerranéen, la France fait évoluer son propre dispositif[3]. D’une part, elle multiplie les démonstrations de son implication auprès des autres marines occidentales partageant ses préoccupations et au rang desquels figurent en particulier l’Armada Española et la Marina Militare italienne et d’autre part, elle renforce sa présence en MEDOR en développant plus avant sa coopération avec la Grèce[4] et la république de Chypre[5]. La Marine nationale, par ailleurs, continue de s’appuyer sur la présence américaine en Méditerranée, qui y entretient toujours une puissance navale de premier plan, sixième flotte de la marine des États-Unis.

Dans un tel contexte, la position française repose nécessairement sur des fondations solides : la base navale de Toulon concentre ainsi, selon le Ministère des Armées, 70 % de la flotte française, tandis que la façade maritime méditerranéenne accueillait au 1er janvier 2019 l’ensemble des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) français, en sus du porte-avions Charles de Gaulle, des trois porte-hélicoptères amphibies (PHA) Mistral, Tonnerre et Dixmude et d’un ensemble disparate de frégates et de bâtiments de tous types[6]. Ces éléments permettent à la France d’exercer en Méditerranée un rôle de premier plan et d’y mener des opérations complexes, sur le modèle de l’intervention française en Libye[7], ou encore de l’opération Hamilton déclenchée le 14 avril 2018 en Syrie[8].

Pour la France, la valeur stratégique du bassin méditerranéen est double

Pourtant, et à la différence de l’Italie ou de la Grèce, puissances navales purement méditerranéennes, la France doit composer avec deux façades maritimes[9], l’une Atlantique et l’autre Méditerranéenne, séparées en leur milieu par le détroit de Gibraltar. Elle doit par ailleurs tenir compte de l’existence de territoires français ultramarins nécessitant eux aussi le maintien d’une présence militaire destinée à minima à y maintenir la souveraineté française. Cette situation produit deux dynamiques en apparence opposées, puisqu’elle appelle à la fois à relativiser l’importance du seul bassin Méditerranéen – où la France ne possède qu’un dixième de l’ensemble de ses côtes – et à resituer ce dernier dans le contexte global de l’Océan mondial[10]. La Méditerranée devient alors une porte d’entrée vers la mer noire et vers la mer Rouge et, au-delà, vers l’océan Indien et l’océan Pacifique. La valeur stratégique du bassin méditerranéen est donc double : le maîtriser, c’est à la fois sanctuariser la partie septentrionale du territoire français métropolitain et permettre la projection de forces de ce dernier vers le Moyen-Orient, l’Asie et l’Océanie.

Le réveil du nationalisme turc et la multiplication des déploiements russes et chinois en Méditerranée doivent encourager nos forces à y faire preuve d’une vigilance accrue. Ces mouvements puissants, en effet, ne relèvent pas que de l’affichage et trahissent un intérêt renouvelé pour les ressources contenues dans le bassin méditerranéen et en premier lieu en Méditerranée orientale[11]. La France, en ce sens, ne peut se permettre d’y négliger sa propre posture, d’abord car cela permettrait à de nouveaux foyers d’instabilité d’éclore au plus près du territoire national, mais aussi car cela contribuerait à l’isolement de ses alliés du sud de l’Europe[12], directement menacés par la réémergence d’une Méditerranée livrée aux conflits territoriaux, économiques et militaires. Dans un tel contexte, l’évolution de la posture française en Méditerranée bénéficie de la permanence d’intérêts communs à l’Europe septentrionale, symbolisée entre autres par la participation commune de la France, de l’Italie, de Malte, du Portugal et de l’Espagne à l’Initiative 5 +5, un forum de coopération multilatérale entre les deux rives de la Méditerranée occidentale.

Par Hugo Decis - Source de l'article IRIS



[1] GROIZELEAU Vincent, Exercice PEAN : la flotte appareille, Mer et Marine, 26/11/2019

[2] HEADLEY Tyler, China’s Djibouti Base: A One Year Update, The Diplomat, 04/12/2018

[3] DECIS Hugo, La France cherche à renforcer sa position en Méditerranée Orientale, Le Grand Continent, 22/05/2019

[4] CABIROL Michel, La France négocie la vente de deux frégates FDI à la Grèce, La Tribune, 12/10/2019

[5] KINGSTON Tom, FISCHER Lucy, Cyprus seeks French military help in snub to ‘distracted’ UK, The Times, 17/05/2019

[6] Marine Nationale 2019 – Dossier d’information, Cols Bleus – Marine Nationale, 01/01/2019

[7] HOFNUNG Thomas, Opération Harmattan terminée, Libération, 05/11/2011

[8] GUIBERT Nathalie, Comment l’armée française a participé au raid en Syrie, Le Monde, 25/04/2018

[9] Chomel de Jarnieu, Benoît. « Existe-t’il encore deux marines au XXIe siècle ? », Stratégique, vol. 109, no. 2, 2015, pp. 111-115.

[10] DEALBERTO Clara, Les océans au centre du monde, Libération, 30/08/2018

[11] HUET Guillaume, La découverte de gaz offshore en Méditerranée orientale : nouveau défi pour la stabilité du Proche-Orient, Centre d’Etudes Supérieures de la Marine, 16/04/2013

[12] LAVINDER Kaitlin, New French-led Defence Initiative Aims to Address Security Threats to Southern Europe, South EU Summit, 09/07/2018

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