Dans un contexte de réchauffement climatique, focus sur un milieu qui capte naturellement le CO2, les forêts. Un point sur des études sur le bassin méditerranéen présentées au cours de la VIe Semaine forestière qui se tient actuellement au Liban.
Sur le plan du changement climatique, il y a de quoi s’inquiéter. Mais en revalorisant le rôle des forêts, qui captent le CO2, il est possible d’atténuer ses impacts sur la vie humaine. C’est le thème abordé par la VIe Semaine forestière méditerranéenne, un événement régional organisé au Liban par le ministère de l’Agriculture et la FAO. Joël Guiot, directeur de recherche du CNRS au laboratoire de Cerege, a présenté les premiers résultats d’une étude de chercheurs sur l’ensemble du bassin, qui sera publiée début 2020, et qui montrent que le réchauffement dans cette région est plus rapide que la moyenne du globe.
« Il s’agit d’une synthèse des résultats d’études qui existent déjà mais qui sont dispersés, et qui formeront un rapport d’évaluation de l’état de la région méditerranéenne par rapport aux changements climatiques, explique M. Guiot à L’Orient-Le Jour. C’est une initiative de chercheurs bien connectés avec le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC, plus haute instance scientifique de l’ONU sur le sujet), et qui ont remarqué que la Méditerranée n’est pas assez présente dans les rapports de cet organisme. »
Les chercheurs ont donc formé un réseau appelé Medecc, dont l’objectif est de produire un rapport début 2020, avec un financement de l’Union pour la Méditerranée. Les résultats existants montrent que la Méditerranée est particulièrement touchée par le changement climatique… « Jusque-là, on s’était surtout soucié de l’impact sur les ressources hydrauliques, souligne le chercheur. Or du point de vue des températures, quand on compare le réchauffement de la région méditerranéenne à celui du globe, on se rend compte que depuis trente ans, cette région se réchauffe vingt pour cent plus vite que le reste du monde, en moyenne. Cela se traduit par des canicules de plus en plus fréquentes et plus fortes, en particulier dans les villes, qui sont plus chaudes que les campagnes environnantes. Dans les centre-villes notamment, dans cinquante ans, l’année la plus froide sera plus chaude que l’année la plus chaude actuellement. »
Les forêts et les sols, pour capter le CO2
Les projections montrent que la région souffrira d’une diminution relativement importante des ressources hydrauliques disponibles, mais aussi d’un problème de biodiversité déjà constatable. « Il existe déjà des espèces qui migrent, explique-t-il. Au niveau des espèces marines, certaines arrivent de la mer Rouge par le canal de Suez : auparavant, elles restaient dans leur milieu habituel parce que les eaux n’étaient pas assez chaudes, mais avec le réchauffement, elles s’aventurent dans toute la Méditerranée, et ce phénomène va s’accentuer. Au niveau de la végétation, on constate que les espèces ont tendance à migrer vers des altitudes plus hautes quand cela est possible, ou vers le nord. »
Quelles solutions ou recommandations ? « Si on ne peut pas limiter au maximum nos émissions de gaz à effet de serre, il faut privilégier les solutions de captation, notamment les options naturelles, en d’autres termes les forêts, mais aussi les sols, souligne M. Guiot. On ne parle pas assez de la capacité des sols à stocker des gaz à effet de serre. À titre d’exemple, là où c’est possible, si on peut remplacer l’agriculture intensive qui utilise de l’engrais et qui laboure les sols, devenant ainsi une source d’émissions, par de l’agriculture écologique, plus respectueuse de l’environnement, on enrichit le sol en carbone et on protège la santé publique par la même occasion. »
Et pour la Méditerranée en particulier, poursuit-il, « le reboisement est important là où c’est possible – à moins que ce ne soit entravé par le manque d’eau – l’extension des forêts là où elles peuvent vivre, ou encore la rationalisation de l’utilisation de l’eau, notamment dans l’agriculture et le tourisme ».
Approche innovante et économie verte
Le changement climatique est donc clairement une menace majeure et pressante en Méditerranée, ce que montre notamment l’état des forêts méditerranéennes en 2018. Nelly Bourlion, chef de programme sur les écosystèmes forestiers et la biodiversité au Plan bleu, du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), explique à L’OLJ que « le changement climatique affecte les forêts sous toutes les formes, d’une part parce qu’il y a moins de précipitations et que la région devient de plus en plus sèche, d’autre part l’augmentation des températures ».
« Un des premiers constats est l’augmentation de l’incidence des incendies et celle des maladies qui affectent les espèces, notamment les insectes ravageurs, poursuit-elle. Le changement climatique a aussi un impact sur les sols, de plus en plus arides. »
Quels sont les facteurs de résilience dans les forêts méditerranéennes et comment les renforcer ? « Le plus important, c’est d’y instaurer une gouvernance participative, souligne-t-elle. Les moyens de lutter contre les maladies et les incendies sont bien connus, mais il faut pouvoir les mettre en place. Et pour réussir cela, il faut inclure dans l’action tous les acteurs concernés, non seulement les gouvernements mais les populations locales, les ONG, tous les acteurs des forêts, pour que les solutions soient efficaces. »
Le rapport de l’état des forêts a été rédigé par 180 contributeurs de tous les pays du pourtour de la Méditerranée. « Ses recommandations portent sur plusieurs thèmes, notamment parce que dans les forêts méditerranéennes, il faut prendre en compte les produits annexes et non seulement le bois, ainsi que tous les biens et services qu’elles fournissent, indique Mme Bourlion. Nous avons mis en avant le fait que les forêts peuvent représenter un bénéfice économique important et qu’elles doivent être incluses dans l’économie verte. Il y a aussi toute une partie sur la restauration des superficies dégradées. Et nous avons essayé de garder une approche globale de la forêt et des solutions à considérer. Dans ce rapport, nous avons œuvré pour apporter une innovation, celle de l’économie verte, des biens et services, de l’approche participative… qui sont la nouvelle tendance pour gérer une forêt durablement. »
Dans ce rapport, il y a des recommandations concrètes, et d’autres plus larges pour les décideurs. « Il s’adresse donc aux décideurs mais aussi aux universitaires qui peuvent y trouver de informations, aux collectivités locales, à tous les acteurs concernés par les forêts, précise-t-elle. C’est un état des lieux, partant d’un rapport datant de 2013 pour voir comment la situation a évolué. »
Comment qualifier cette évolution ? « Cela dépend, fait-elle remarquer. En superficie, les forêts ont augmenté. Par contre, il y a de nouvelles contraintes comme le changement climatique, les mouvements de populations, les crises économiques dans les différents pays qui changent la donne de la gestion des forêts et la façon dont elles sont considérées. »
Par Suzanne BAAKLINI - Source de l'article l'Orient le Jour
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