Auteur d'une étude internationale publiée le 22 octobre dans «Nature Climate Change», l'écologue Wolfgang Cramer écrit les conséquences environnementales et sanitaires du changement climatique dans les pays méditerranéens.
Le changement (climatique), c’est maintenant, et tout près de chez vous. Publiée le 22 octobre dans Nature Climate Change, une nouvelle étude internationale synthétise les conséquences du réchauffement des températures terrestres déjà observées ou à venir dans le bassin méditerranéen. Sécheresses et vagues de chaleur plus fréquentes, érosion de la biodiversité marine, baisse de la productivité agricole, recrudescence des maladies infectieuses dues aux moustiques, etc. : les pays de cette région sont (et seront) de plus en plus touchés par les effets en cascade du dérèglement du climat, en particulier les pays les plus vulnérables, au Sud. Directeur de recherches à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), d’Aix-en-Provence, l’écologue Wolfgang Cramer, l’un des auteurs de l’étude, en résume les conclusions.
Quelles sont les principales conséquences du réchauffement climatique observées dans l’espace méditerranéen ?
Le bassin méditerranéen se réchauffe plus vite que l’ensemble de la planète. La température moyenne annuelle a déjà augmenté de 1,4 °C par rapport aux températures préindustrielles, contre 1,1°C en moyenneà l’échelle du globe. Ce réchauffement produit déjà des conséquences. La canicule de 2003 a par exemple été un moment clé en Europe, avec des milliers de morts. Depuis, les canicules et les sécheresses se sont multipliées autour de la Méditerranée. Sous l’effet du réchauffement, on observe aussi depuis 1999 des canicules en mer avec un taux de mortalité très important d’organismes comme le corail rouge, les éponges, les mérous et les murènes. Des poissons et des crustacés des eaux chaudes colonisent des régions où ils n’étaient pas avant. Avec l’élévation des températures en mer, les tempêtes vont devenir plus violentes. Les «événements méditerranéens» connus dans la région, comme les inondations récentes dans l’Aude, risquent de monter en intensité avec le changement climatique.
Dans votre étude, vous décrivez les conséquences très claires du changement climatique pour la santé humaine. Avait-on jusqu’ici négligé ces risques sanitaires ?
Je ne pense pas que ces risques ont été négligés. On observe que les canicules touchent beaucoup de personnes, et surtout les plus vulnérables comme les personnes âgées, mais aussi les plus pauvres, qui n’ont pas accès à la même prise en charge en matière de santé. Globalement, le nombre de personnes affectées par ces vagues de chaleur va augmenter avec le réchauffement du climat, dans les pays méditerranéens comme ailleurs. La probabilité que les maladies infectieuses des zones chaudes, comme le virus du Nil, la dengue ou le chikungunya, se répandent au nord de la Méditerranée est de plus en plus forte. Cette expansion représente un challenge pour les systèmes de santé dans tous les pays en question. Il est important de noter que beaucoup des mesures qui améliorent la santé publique, comme la réduction de la pollution produite par les transports, vont aussi aider à la réduction des émissions des gaz à effet de serre.
Qu’est-il possible de faire pour «s’adapter» à ces risques ?
L’adaptation a lieu partout et depuis toujours. La question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir jusqu’où on peut s’adapter, parce que les changements deviennent trop importants. Pour certaines régions, on ne va pas pouvoir régler le problème d’élévation du niveau de la mer par la construction de digues. A un certain point, l’adaptation n’est plus possible ou devient trop chère. Le secteur agricole peut s’adapter en irriguant de manière efficace ou en changeant le type de culture, mais jusqu’à quel point ? S’il n’y a plus d’eau, l’irrigation devient trop chère ou impossible. Une chose est sûre, il faut décarboner toutes les activités humaines pour atténuer les risques climatiques. Pour cela aussi, il existe des opportunités dans la région, par exemple par des méthodes agricoles comme l’agroécologie qui peuvent contribuer au stockage du carbone dans les sols.
Vous pointez par ailleurs du doigt le manque de données scientifiques dans les zones les plus vulnérables de la région…
Le bassin méditerranéen est une zone partagée entre pays développés et pays en développement. Lorsqu’on se plonge dans la littérature scientifique pour estimer les risques, on observe qu’il y a beaucoup plus de publications au Nord qu’au Sud, ce qui pose problème pour comprendre des spécificités locales du changement climatique. Pour y remédier, il faudrait que l’Europe soutienne mieux les pays du Sud à produire des connaissances. La collaboration scientifique entre chercheurs des pays des deux rives de la Méditerranée est un bon chemin pour cela.
Florian Bardou - Source de l'article Libération
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