L’Union pour la Méditerranée, c’est possible

L’économie mondiale se globalise, des blocs régionaux s’organisent pour constituer des ensembles, de plus en plus, grands, en termes de superficie, de population et de potentiel de consommation, de capacité d’innovation et de production, de force de conquêtes de marchés.
Le bouleversement économique annoncé risque fort de laisser, sur le bord de la route, les pays et les régions au potentiel socio-économique limité.
Le salut des pays économiquement faibles réside dans leur arrimage aux régions qui leur sont proches et qui peuvent tirer l’économie mondiale.
C’est le cas des pays sud-méditerranéens. Ils sont à la croisée des chemins, partagés entre leurs profondes racines nomades qui les poussent vers l’afro-arabisme et leur atavisme maritime qui les appelle vers un Nord paisible et prospère.
C’est, également, le cas des pays nord-méditerranéens qui hésitent entre un Nord atlantique puissant et un Nord ouralien plein d’espoir. C’est dans ce contexte chargé d’incertitudes que le président Nicolas Sarkozy a lancé, il y a presque un an, son Projet d’Union Méditerranéenne, devenu depuis, Union pour la Méditerranée, UpM, censée fédérer des pays qui partagent un héritage de cette mer dont l’histoire, comme disait Fernand Braudel, « n’est plus à séparer du monde terrestre que l’enveloppe de l’argile n’est à retirer des mains de l’artisan qui la modèle ».

Cette initiative suscite questionnements, réticences, inquiétudes, espoirs et prudence. Elle fait l’objet de réserves, voire d’une certaine forme d’opposition, de la part de pays européens éloignés de la Mer. Certains analystes y voient une façon, pour les pays du Nord, d’assurer, tout simplement, leurs sécurités :

  • sécurité des frontières en reportant sur les pays du Sud la lourde tâche de contrôler et d’arrêter l’immigration venant du Sud,
  • sécurité énergétique en obtenant des pays du Sud des accords préférentiels, gazier, pétrolier ou « uranique »,
  • sécurité environnementale en exigeant des pays du Sud qu’ils stockent leurs déchets (solides et liquides) sur leur territoire et qu’ils les traitent avant de les rejeter dans la mer.

Certes, ces préoccupations ne sont pas totalement absentes d’un tel projet. Reste que l’initiative offre de nombreuses opportunités qu’il appartient aux pays du Sud d’exprimer, de saisir et d’œuvrer à leur réalisation pour réduire les inégalités et assurer le développement durable que leurs populations attendent avec impatience.

Mais rien n’est possible sans, d’abord, une volonté politique qui oblige les pays du Nord à abandonner leur crainte et leur frilosité et les pays du Sud à s’engager pleinement dans la dure réalité économique. Cette volonté politique doit se traduire par la mise en pratique des affirmations répétées. Comme celle de Nicolas Sarkozy qui disait, lors de son voyage en Algérie, en décembre dernier : « je pense donc que toute mesure tendant à faciliter et à encourager les échanges humains entre nos pays relève d’une politique saine et avisée car elle servirait les intérêts bien compris de l’Algérie et de la France ». Elle doit proclamer, haut et fort, l’engagement des pays du Sud à promouvoir une véritable économie de marché qui permette le libre échange économique, dans le respect de leurs intérêts stratégiques et des garanties de justice, d’égalité et du profit mérité.

Concrètement, cela doit se traduire par l’ouverture de grands chantiers destinés à assurer le développement durable des deux rives, développement qui doit parvenir à l’effacement progressif et rapide des inégalités criantes qui existent entre les pays des deux rives. Et ces inégalités sont profondes. Il suffit de regarder les quelques chiffres qui suivent pour s’apercevoir de l’abîme qui sépare les pays du Sud et ceux du Nord.

RNB (Revenu National Brut). Chiffres 2006 en US$ par habitant. Source : Statistiques Banque Mondiale.

  • France 36.550, Grèce 21.690, Italie 32.020, Espagne 27.570
  • Algérie 3.030, Egypte 1.250, Libye 7.380, Maroc 1.900, Tunisie 2.970

Consommation électrique. Chiffres 2007 en TWh. Source : Agence Internationale de l’Energie. Entre parenthèses : Population en millions d’habitants

  • Algérie : 30 (pour 32,85 millions d’habitants), Egypte : 90 (74,03), Libye 19,5 (5,85), Maroc 19,5 (30.17), Tunisie 12 (10,03).
  • France 480 (62,7), Italie 322 (58,53), Grèce 58 (11,10), Espagne 267 (43,40).

Ressources en eaux renouvelables. Chiffres 2007, en m3 par an et par habitant. Source : Aquastat, FAO

  • Algérie 355, Tunisie 458, Egypte 779, Libye 104, Maroc 919
  • Espagne 2.707, France 3.555, Grèce 6.764, Italie 3.341

Indice de développement humain (IDH). Source Statistiques mondiales.com. (Echelle 2004 : Niger 0,311, Norvège 0,960)

  • Grèce 0,921, France 0,952, Italie 0,940, Espagne 0,949
  • Algérie 0,728, Maroc 0,640, Tunisie 0,760, Libye 0,798, Egypte 0,702.

Deux grands chantiers sont prioritaires : la formation et l’innovation d’une part, l’échange technologique d’autre part.




La formation et l’innovation

Si le pourcentage des diplômés de l’enseignement supérieur en science est équivalent, de l’ordre de 50%, dans les pays des deux rives, le taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur, lui, varie de 30% en moyenne pour les pays du Sud de la Méditerranée à plus de 60% en moyenne dans les pays du Nord. Mais c’est surtout « l’utilisation économique » de ce potentiel humain qui interpelle.
Pour donner un exemple, l’Algérie disposait en 2005 d’environ 17.000 chercheurs dont quelques uns étaient employés dans l’entreprise (les chiffres sont similaires en Tunisie). En France et en Italie, les chercheurs travaillant en entreprise étaient, à cette époque, de 106.000 et 67.000 respectivement *.
L’Union pour la Méditerranée oui, si la diffusion et l’échange des connaissances sont réalisés au sein d’organismes d’enseignement et de recherche communs, qui profitent aux étudiants, scientifiques et chercheurs des pays des deux rives.

Si des postes de travail dans les entreprises des pays membres leur sont proposés pour leur permettre de parfaire leur formation et de nouer des liens avec d’autres salariés, collègues de futures joint-ventures à créer dans les pays du Sud.
Les pays du Sud affichant un retard grave dans ces domaines, gagneraient à voir s’installer sur leurs territoires des institutions pour la formation et l’innovation. Cela peut se matérialiser par la création d’établissements supérieurs de formation, de centres et de laboratoires de recherche spécialisés.

Dans un premier temps, ces « outils » pourraient être affectés à l’énergie -nucléaire, solaire, éolienne. Un Institut national des Sciences appliquées nucléaires, pourrait être créé dans un des pays du Sud. Des laboratoires de recherche répartis dans d’autres pays lui seraient rattachés. Cet institut formerait des compétences industrielles qui, tout en répondant aux besoins immédiats se prépareraient à la maîtrise des enjeux futurs qui sont les développements de l’industrie en général et de l’énergie nucléaire en particulier.
Un « ERASMUS » méditerranéen, où une participation des étudiants du Sud à ce programme européen, accélérerait l’immersion de ces étudiants dans un milieu universitaire diversifié. Les pays du Sud, engagés dans l’accueil des institutions à créer, devraient fournir les moyens en personnels et en infrastructures, ainsi que les « outils » administratifs, juridiques et techniques nécessaires à l’implantation et au fonctionnement de ces institutions.

Un fonds commun de formation destiné à financer les investissements des institutions et leur fonctionnement, alimenté par des aides des entreprises qui investissent dans les grands travaux, serait mis en place. Les innovations issues du travail des chercheurs bénéficieraient à tous les pays engagés dans le Projet, dans le respect des règles de protection de la propriété industrielle.
L’échange technologique
Les recettes extérieures des pays sud-méditerranéens proviennent essentiellement de l’exportation de matières premières (pétrole, gaz), de produits agricoles (légumes, agrumes, dattes...), de produits textiles et de confection, de matériaux de construction (ciments, briques...), de l’immigration et du tourisme. Hormis les matières premières et les quelques produits finis, les produits et services dépendent, en grande partie, des aléas climatiques ou des politiques sécuritaires.
Des étés trop humides ou des hivers trop secs, des menaces d’attentats et les recettes fondent.
Source : Base de données UNESCO
Les économies des pays du Sud peinent à entrer dans le club des pays à haute valeur ajoutée technologique. Leur balance commerciale relative aux produits technologiques (matériels industriels, médicaux, d’information et de communication, de transport...) est très largement déficitaire. Plus de 95% de leurs équipements technologiques sont importés des pays industrialisés.
Quand on sait l’importance de l’exportation de produits technologiques dans la balance commerciale, on comprend les efforts déployés par des pays avancés et émergents dans la recherche/développement.
Les pays sud-méditerranéens sont placés devant un non-choix : ils doivent obligatoirement développer leur recherche pour s’équiper et exporter de la technologie.

Une Union pour la Méditerranée oui, si elle permet aux pays du Sud d’initier et de développement, au-delà du transfert de technologie, un authentique « échange technologique » ou flux d’importation et d’exportation de biens d’équipement.
Cela passe par la mise en commun de compétences et de capitaux entre les entreprises des pays des deux rives au travers de prises de participation, de joint-ventures et de filiales. Un programme similaire au programme européen EUREKA favoriserait le « brassage technologique ».

Des liens privilégiés devraient être tissés entre les entreprises nouvellement créées et l’Institut de formation évoqué ci-dessus, afin de rentabiliser la recherche par la mise en œuvre commerciale des innovations de l’Institut.
Sans porter atteinte à une saine concurrence, les entreprises créées dans ce but devraient bénéficier de facilités pour pénétrer les marchés euro-méditerranéens dans un premier temps.
Des garanties seraient données aux investisseurs étrangers pour la protection de leurs investissements.
Pour lancer et opérer les projets évoqués ci-dessus, il serait souhaitable de créer un fonds (Agence méditerranéenne pour l’innovation et la recherche) alimenté par une taxe sur les contrats commerciaux lourds passés entre les grandes entreprises des pays des deux rives ; contrats d’achats d’installations industrielles ou de moyens de transport, contrats de construction de grands équipements hydrauliques, etc.
Ce fonds servirait au financement des institutions de formation et de recherche et à l’aide aux entreprises engagées dans des joint-ventures et des filiales.

Mais tous les efforts qui pourraient être entrepris pour créer une « puissance euro-méditerranéenne » seraient vains si l’on ne se prépare pas rapidement à améliorer la gouvernance des finances publiques et à faire des élus de la société civile et des citoyens, les vrais acteurs du développement durable, notamment dans les pays de la rive Sud. Les responsables politiques ne peuvent plus continuer de fermer les yeux sur les pratiques qui ont ruiné l’économie de certains pays.

Les politiques de compromission économique doivent cesser. Tout devrait être fait pour aider les pays du Sud à bien gérer les deniers publics : formation de compétences dans le domaine, orientation de l’aide financière vers des projets placés sous la responsabilité d’organismes euro-méditerranéens, responsables de la gestion de cette aide devant les instances politiques de l’UpM.

Autre dimension incontournable du développement durable : la démocratie. Le développement durable doit être le fruit des réflexions, des décisions et des engagements de l’ensemble des acteurs ; les politiques, les entreprises, les sociétés civiles. Il ne peut pas y avoir de développement durable sans la participation réelle et pérenne des citoyens qui vivent tous les jours la réalité économique, sociale, environnementale sur le terrain. « Every society, all government, and every kind of civil compact... is or ought to be, calculated for the general good and safety of the community ». George Mason, 1775. Ce qui pourrait être traduit par : « Toute société, tout gouvernement et tout groupe humain... est ou doit être conçu pour le bien général et la sécurité de la communauté ».
Les instances politiques à créer dans le cadre de l’Union devraient aider à l’instauration de la démocratie partout dans le bassin méditerranéen, une vraie démocratie construite grâce à un véritable travail de conviction, pas par la guerre.
Un Observatoire politique en Méditerranée collecterait et publierait des indicateurs de progrès démocratique dans l’espace euro-méditerranéen.
Comme tous les ensembles économiques régionaux matures ou en gestation, le bassin méditerranéen est face à son avenir. De son passé tumultueux est née une communauté d’intérêts.
La mer Méditerranée, comme l’a rappelé Jacques Attali*, est « une illusion parce que c’est un espace où se trouve, comme en miniature, toutes les tragédies du monde, toutes ses divisions, toutes ses injustices, toutes ses intolérances, toutes ses divisions économiques, sociales, politiques ; la Méditerranée est plus une utopie pour l’avenir qu’une réalité pour le passé, c’est un mix hérité de l’antiquité romaine et grecque qui a été imposé par les peuples du Nord aux peuples du sud et qui, aujourd’hui, pourrait renaître à condition d’être une alliance ».
La mer Méditerranée n’est pas morte. De nombreux liens unissent ses membres et des richesses à venir lui ouvrent les bras.
Par Madjid Chaker - Journal Chretien du Net. Samedi 12 avril 2008
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* Ingénieur
* « La Méditerranée ou l’ultime utopie ». Conférence inaugurale du Forum de Paris euro-méditerranée. Paris, le 28 février 2008

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