Forum de Paris, vendredi 28 mars. 17h30, Paris, XVème arrondissement. Petite foule compacte sur les marches de l’Unesco. Parapluies grands ouverts. Léger vent froid, pluie battante. Tout à l’opposé du climat méditerranéen.
De cette région du globe, nouvel enjeu déclaré de la prochaine présidence française de l’Union européenne. Après le traité de Lisbonne, petite avancée institutionnelle pour grand bras d’honneur à qui croirait encore que l’Europe peut être une construction citoyenne ; après la «relance» médiatique du projet de défense communautaire entre un canonier alsacien et une bombe italienne ; après un Grenelle de l’environnement depuis égaré dans une forêt d’autres dossiers ; après, après, après… Méditerranée, nouvelle marotte présidentielle.
Coquille vide, soulignent déjà certains, journalistes en tête. «Méchants journaleux», leur a répondu à peu de choses près, le lendemain matin, Henri Guaino, porte-plume de l’Elysée : «La première question qui nous a été posée était ‘très bien, mais comment allez-vous financer tout cela ?’ Ce sont les projets qui font l’argent, les richesses. Ce que nous voulons, c’est mettre en avant les intelligences, les créativités.»
Avec l’argent du «marché privé, des entreprises, des pays du Golfe» qui, pour l’anecdote n’ont pas attendu Guaino pour investir massivement dans cette région du monde. Mais bon…
Côté salle, avant Guaino il y eut Albert Mallet, président du Forum de Paris, Nonce Paolini, Directeur Général de TF1-LCI. Discours convenus, sans grand intérêt, option « je déclare ouverte la énième cérémonie des oscars du brainstorming politique…» Soupir(s)…
Puis, en guest star furtive – ne cherchez pas d’interview, l’homme les a toutes rejetées, allant jusqu’à s’éclipser avec une «rare élégance» par une porte dérobée – Jacques Attali. Un bon point : le discours, cette fois, bien moins convenu, pertinent. De ceux qui ne prennent pas de gants avec la réalité. A l’échelle internationale, «le tiers du tourisme, le tiers du commerce maritime, le quart du transit pétrolier sont en Méditerranée», mer qui n’accueille paradoxalement «plus aucun port significatif», à l’exception, peut-être de TangerMed, nouvellement ouvert.
Au sein de cette région, qui s’étend jusqu’aux Balkans, «la démocratie progresse extrêmement lentement», déroule l’homme. «Les guerres y sont de plus en plus nombreuses. La violence ne se calme pas, elle augmente (…) Les pays méditerranéens sont aussi de plus en plus différents. Les écarts de niveau de vie augmentent de l’un à l’autre ; la France, l’Espagne, l’Italie, représentent à eux seuls 80% du PIB méditerranéen (…)
Le statut des femmes, des enfants, de la presse, de la politique, est de moins en moins commun.»
Et puis, poursuit Attali, «comment pouvons-nous dire que cette mer nous est chère quand les pays riverains la polluent : 80% des rejets d’égouts finissent en mer. Nous assistons à une disparition de la flore, de la faune, des réserves poissonnières : rougets, dorades, etc.. La Méditerranée est un modèle réduit du cauchemar qui nous attend à l’échelle mondiale.» Un cauchemar que d’aucuns ne manqueraient pas de qualifier «de Darwin». «Et cela ne peut aller qu’en s’aggravant.
La Méditerranée est une bombe à retardement.» Ne parlons même pas de l’aspect démographique qui, eu égard à tout ce que l’ancien conseiller de Mitterrand a déjà listé, n’ajoute qu’à la noirceur du tableau.
Alors, Guaino, Sarkozy, sauveurs de ce modèle réduit de monde cannibale ? Pas sûr, tant le projet, n’en déplaise au moins au premier des deux hommes, agace par son flou ambiant. Les partenaires européens ont été mis devant le fait accompli. N’ont pas apprécié. Ont déjà riposté, par Merkel interposée. Sont revenus dans le jeu, en partie. La France n’ira pas, ne pourra pas y aller seule.
Pas même accompagnée des seules Italie et Espagne. Voilà pour le décor. Pour le reste, tout semble à faire. Attali lui-même le reconnaît. «Nous n’en sommes qu’au pré-pré-pré projet». Guaino parle. Parle beaucoup, mais les mots ne peuvent tout remplir, qui plus est quand les Etats du Sud n’ont même pas encore été consultés sur ce que le «service marketing» de l’Elysée vend déjà comme un partenariat Nord-Sud gagnant-gagnant.
Il est bien beau de déclarer «que nous ne voulons plus faire de l’aide au développement mais du développement» mais que penser quand un Nasser Kamel, Ambassadeur de la République Arabe d'Egypte en France, lance un «nous n’avons même pas été consultés.
Alors, comprenez qu’il nous est difficile de vous donner une réaction sur un tel projet.» Ou quand un Nassif Hitti, l’Ambassadeur de la Ligue Arabe en France, lâche un «nous avons eu quasiment le même débat avant Barcelone : sommes-nous aujourd’hui dans un Barcelone nouvelle génération ?! On parle de construire ensemble mais cela doit se faire dès le début. Il faut en outre clarifier les relations à venir entre la Politique européenne de Voisinage (PEV), le processus de Barcelone et le projet d’Union pour la Méditerranée».
Flou, trouble, inconsistance. Voilà en gros les caractériques principales de la nouvelle marotte sarkozyste. Ce que l’on sait sur le fond du projet est bien mince et ce n’est pas le refus de dernière minute du président français – pourtant annoncé en ouverture - de préciser son ambition à l’occasion du Forum qui éclairera jusqu’aux potentiels partenaires étatiques du projet… Pas plus que la gêne visible, dimanche à ce même Forum, de Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes.
Un Jouyet que d’aucuns ont désigné comme nerveux, très peu à son aise sur un sujet dont on peut commencer à craindre qu’il n’ait d’égal qu’un très shakespearien «Much Ado About Nothing».
Sur le plan institutionnel, un modèle de type Conseil des Etats de la mer baltique, tiendrait la corde, doté d’un secrétariat à parité – dans ses structures dirigeantes – entre le Nord et le Sud. Mais rien n’est moins sûr. Côté missions, celles-ci seraient concentrées autour de l’accès à l’énergie, à l’eau et autres projets environnementaux. Ancien ministre, président de la Fondation Res Publica, Jean-Pierre Chevènement y voit là l’occasion de développer l’énergie solaire, là où Attali, fin octobre souhaitait, depuis Rabat, vendre quelque technologie nucléaire civile.
Mais quid de la vision de Nicolas Sarkozy ? Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères, prévient tout au plus que le premiers projets concrets – et ce n’est là que son analyse personnelle - devront être lancés dans les plus brefs délais pour crédibiliser la démarche. Et quoi de plus utile, de plus évident que de rassembler, au-delà de leurs divisions, les Etats méditerranéens sur l’avenir écologique, donc économique, de leur mer. Un peu, là encore, à l’image du Programme international d’action environnementale pour la mer Baltique, lancé en 1992.Reste, une fois encore, à savoir ce qu’en pense le président français. Comment, en cas d’approbation de celui-ci, réunir autant de pays qu’il est possible pour faire d’un vœu pieux une réalité, d’autant plus que la préservation de l’environnement a ici de forts relents de géostratégie ?
Lutter contre les pollutions, garantir l’accès à l’eau et à d’éventuelles sources d’énergies nouvelles dépasse en effet de très loin le simple cadre écologique. Préserver la faune et la flore marines n’est pas sans intérêt alimentaire, donc commercial et aussi social dans un contexte démographique des plus préoccupants. Multiplier les accès à l’eau ou en créer de nouveaux (désalinisation) pourrait désamorcer des conflits à venir. Créer de nouvelles richesses énergétiques, renforcer l’autonomie des acteurs du Bassin méditerranéen et assurer leur puissance financière.
Les questions ne manquent pas. Les moyens, concrets, si. Et plus encore le chiffrage à long terme. Un chiffrage pas uniquement financier mais humain, moral. Car s’il est une chose connue, assumée par Henri Guaino – donc on suppose par l’Elysée… - et partagée par de nombreux intervenants à l’occasion du Forum, est qu’il faudra laisser la politique où elle est. Bien sûr, Jean-Louis Guigou a sans doute raison de marteler que «si on ne fait rien avec la Méditerranée, la représentation économique de l’Union européenne dans les échanges internationaux passera de 22% à 12% d’ici quelques années».
Mais quel prix la France, l’Union européenne sont-elles prêtes à payer pour inverser la tendance ? Celui instaurant, comme l’assume justement Guaino, que «la démocratie et les droits de l’homme ne doivent pas être un préalable à l’Union pour la Méditerranée» ? Est-ce là toute l’ambition à venir de la présidence française de l’Union européenne ? S’asseoir sur les valeurs fondatrices de l’Europe?
Christophe Nonnenmacher est journaliste. Europeus.org. 31 mars 2008
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