Les dockers grecs ont dénoncé, manifesté, paralysé à 70 % le port de conteneurs du Pirée... Mais rien n'y a fait. Le 25 novembre, le président chinois Hu Jintao est venu à Athènes pour signer un accord global d'un montant de 300 millions d'euros. L'Etat grec a confié à l'armateur public chinois Cosco le soin de construire d'ici à 2015 et de gérer pendant trente-cinq ans un, puis deux nouveaux terminaux de conteneurs dans le port du Pirée.
Les dockers le savent depuis longtemps : tout accord qui étend l'empire du conteneur programme un peu plus la disparition de la manutention humaine. Ce parallélépipède métallique de dimension variable conditionne aujourd'hui toutes les marchandises, ce qui autorise une mécanisation totale de la manutention des ports, réduit le nombre de vols... et oblige les dockers à changer de métier.
Ainsi, quand un navire comme le porte-conteneurs Berlioz, de la compagnie française CMA-CGM, fait escale à Malte avec un chargement de plus de 4 500 conteneurs, il ne faut pas plus d'une quinzaine d'heures pour débarquer 800 conteneurs et en embarquer 140 autres. Après ce transbordement, le Berlioz reprendra sa route vers les ports d'Europe du Nord via Gibraltar. Les rapports de force sont en train de se modifier en Méditerranée. Depuis une dizaine d'années, mondialisation oblige, la "Mare nostrum" est devenue un sous-ensemble de "l'océan mondial". Bien qu'il n'existe pas d'observatoire officiel, les experts de l'OTAN estiment que 3 000 navires commerciaux franchissent chaque jour le détroit de Gibraltar, dont un tiers de pétroliers et un tiers de porte- conteneurs.
L'essor (plus de 10 % par an) du commerce par conteneurs en Méditerranée a entraîné une redistribution des cartes. Les vrais maîtres du jeu ne sont plus les caboteurs, les ports - symboles de puissance nationale - et moins encore les dockers, mais les armateurs de porte-conteneurs. En l'espace de vingt ans, les entreprises d'armement maritime sont devenues des multinationales qui gèrent des réseaux. Pour répondre à la demande des fabricants de jouets, de produits chimiques, de meubles ou d'ordinateurs qui ont délocalisé en Chine, les armateurs se sont regroupés et concentrés pour fournir un service complet, régulier, de l'usine au magasin et à jours fixes.
"Cosco construit en Méditerranée, bâtit un réseau, c'est ce que nous avons fait nous-mêmes", explique Nicolas Sartini, directeur des lignes Asie-Europe de la compagnie de transport maritime CMA-CGM. Le réseau, formé de points d'ancrage fixes, permet de mettre en place des lignes régulières, à fréquence et itinéraires fixes, avec des délais d'acheminement préétablis.
A Malte, où la CMA-CGM est concessionnaire pour les soixante prochaines années, neuf porte-conteneurs forment une ligne d'"autobus marins" qui acheminent des marchandises des ports de Chine vers l'Europe du Nord, par le canal de Suez, Malte et Gibraltar. "Chaque bateau fait le tour en soixante-trois jours, ce qui fait une escale par semaine à Malte. On pourrait le faire avec huit bateaux seulement en forçant les machines, mais le coût du carburant risque alors de dévorer et au-delà le gain de productivité", explique Jean Labbé, le commandant du Berlioz. Cette ligne CMA-CGM est évidemment en concurrence ouverte avec les lignes régulières des autres armateurs, comme le danois Maersk ou le chinois Cosco.
La guerre entre les armateurs spécialisés dans le conteneur a bouleversé l'économie traditionnelle du commerce en Méditerranée. "Les ports européens se sont trouvés dans l'obligation d'investir pour attirer l'attention des armateurs et capter une part plus importante du trafic de conteneurs" , explique Chantal Helman, directrice de la stratégie du port de Marseille. Des puissances portuaires traditionnelles, comme Marseille ou Le Pirée, ont perdu de l'importance, soit en raison de coûts salariaux élevés, soit en raison d'une mauvaise position géographique. Des petites taches sur la carte comme Malte, Gioa Tauro (Italie) ou Algésiras (Espagne) émergent comme d'authentiques capitales d'empires maritimes en Méditerranée. Le port de Malte a ainsi accueilli "1 900 navires en 2008, dont 700 gros porte-conteneurs", indique John Portelli, directeur général de Malta Freeport.
C'est sous l'impulsion des armateurs que les fonctions des ports ont changé. Comme les grandes compagnies aériennes l'ont fait dans l'aéronautique, les grands armements ont investi lourdement dans la construction de "hubs" au sein de l'espace maritime méditerranéen. Soit des ports de redistribution. Les hubs servent avant tout à accueillir "les plus gros bateaux, les décharger rapidement et redistribuer la marchandise sur des bateaux plus petits qui desservent alors des dizaines d'autres ports", explique Elizabeth Gouvernal, chercheuse spécialisée dans l'économie des transports. Un gros hub comme il en existe à Rotterdam ou Bremerhaven, en Allemagne, peut accueillir et décharger "entre 40 et 50 porte-conteneurs par semaine" explique un porte-parole de Maersk, le numéro un mondial du secteur.
Tel est le sens de l'accord conclu entre le port du Pirée et le chinois Cosco : la redistribution. "Le Pirée est très bien situé pour desservir les ports de la mer Noire, une aire géographique de 300 millions de consommateurs qui inclut des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, l'Ukraine et le sud de la Russie", explique Nikolaos Anastassopoulos, PDG du Port du Pirée. Malgré la récession mondiale, les investissements pour l'après-crise se poursuivent. La Chine et Le Pirée se positionnent aujourd'hui pour tirer parti du développement économique inévitable des ex-pays de l'Est. "Ces pays ont tous une croissance économique à deux chiffres. Leur importance économique va s'accroître", analyse M. Anastassopoulos.
Yves Mamou La Valette , envoyé spécial - LeMonde.fr - le 2 janvier 2009
Ainsi, quand un navire comme le porte-conteneurs Berlioz, de la compagnie française CMA-CGM, fait escale à Malte avec un chargement de plus de 4 500 conteneurs, il ne faut pas plus d'une quinzaine d'heures pour débarquer 800 conteneurs et en embarquer 140 autres. Après ce transbordement, le Berlioz reprendra sa route vers les ports d'Europe du Nord via Gibraltar. Les rapports de force sont en train de se modifier en Méditerranée. Depuis une dizaine d'années, mondialisation oblige, la "Mare nostrum" est devenue un sous-ensemble de "l'océan mondial". Bien qu'il n'existe pas d'observatoire officiel, les experts de l'OTAN estiment que 3 000 navires commerciaux franchissent chaque jour le détroit de Gibraltar, dont un tiers de pétroliers et un tiers de porte- conteneurs.
L'essor (plus de 10 % par an) du commerce par conteneurs en Méditerranée a entraîné une redistribution des cartes. Les vrais maîtres du jeu ne sont plus les caboteurs, les ports - symboles de puissance nationale - et moins encore les dockers, mais les armateurs de porte-conteneurs. En l'espace de vingt ans, les entreprises d'armement maritime sont devenues des multinationales qui gèrent des réseaux. Pour répondre à la demande des fabricants de jouets, de produits chimiques, de meubles ou d'ordinateurs qui ont délocalisé en Chine, les armateurs se sont regroupés et concentrés pour fournir un service complet, régulier, de l'usine au magasin et à jours fixes.
"Cosco construit en Méditerranée, bâtit un réseau, c'est ce que nous avons fait nous-mêmes", explique Nicolas Sartini, directeur des lignes Asie-Europe de la compagnie de transport maritime CMA-CGM. Le réseau, formé de points d'ancrage fixes, permet de mettre en place des lignes régulières, à fréquence et itinéraires fixes, avec des délais d'acheminement préétablis.
A Malte, où la CMA-CGM est concessionnaire pour les soixante prochaines années, neuf porte-conteneurs forment une ligne d'"autobus marins" qui acheminent des marchandises des ports de Chine vers l'Europe du Nord, par le canal de Suez, Malte et Gibraltar. "Chaque bateau fait le tour en soixante-trois jours, ce qui fait une escale par semaine à Malte. On pourrait le faire avec huit bateaux seulement en forçant les machines, mais le coût du carburant risque alors de dévorer et au-delà le gain de productivité", explique Jean Labbé, le commandant du Berlioz. Cette ligne CMA-CGM est évidemment en concurrence ouverte avec les lignes régulières des autres armateurs, comme le danois Maersk ou le chinois Cosco.
La guerre entre les armateurs spécialisés dans le conteneur a bouleversé l'économie traditionnelle du commerce en Méditerranée. "Les ports européens se sont trouvés dans l'obligation d'investir pour attirer l'attention des armateurs et capter une part plus importante du trafic de conteneurs" , explique Chantal Helman, directrice de la stratégie du port de Marseille. Des puissances portuaires traditionnelles, comme Marseille ou Le Pirée, ont perdu de l'importance, soit en raison de coûts salariaux élevés, soit en raison d'une mauvaise position géographique. Des petites taches sur la carte comme Malte, Gioa Tauro (Italie) ou Algésiras (Espagne) émergent comme d'authentiques capitales d'empires maritimes en Méditerranée. Le port de Malte a ainsi accueilli "1 900 navires en 2008, dont 700 gros porte-conteneurs", indique John Portelli, directeur général de Malta Freeport.
C'est sous l'impulsion des armateurs que les fonctions des ports ont changé. Comme les grandes compagnies aériennes l'ont fait dans l'aéronautique, les grands armements ont investi lourdement dans la construction de "hubs" au sein de l'espace maritime méditerranéen. Soit des ports de redistribution. Les hubs servent avant tout à accueillir "les plus gros bateaux, les décharger rapidement et redistribuer la marchandise sur des bateaux plus petits qui desservent alors des dizaines d'autres ports", explique Elizabeth Gouvernal, chercheuse spécialisée dans l'économie des transports. Un gros hub comme il en existe à Rotterdam ou Bremerhaven, en Allemagne, peut accueillir et décharger "entre 40 et 50 porte-conteneurs par semaine" explique un porte-parole de Maersk, le numéro un mondial du secteur.
Tel est le sens de l'accord conclu entre le port du Pirée et le chinois Cosco : la redistribution. "Le Pirée est très bien situé pour desservir les ports de la mer Noire, une aire géographique de 300 millions de consommateurs qui inclut des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, l'Ukraine et le sud de la Russie", explique Nikolaos Anastassopoulos, PDG du Port du Pirée. Malgré la récession mondiale, les investissements pour l'après-crise se poursuivent. La Chine et Le Pirée se positionnent aujourd'hui pour tirer parti du développement économique inévitable des ex-pays de l'Est. "Ces pays ont tous une croissance économique à deux chiffres. Leur importance économique va s'accroître", analyse M. Anastassopoulos.
Yves Mamou La Valette , envoyé spécial - LeMonde.fr - le 2 janvier 2009
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