Où en est l’Union pour la Méditerranée ?

Barah Mikaïl est chercheur spécialisé sur le Moyen-Orient. Il travaille également sur les enjeux géopolitiques de l’eau.

Plus de six mois sont passés depuis le très médiatisé sommet du 13 juillet à Paris pour le lancement de l’UPM. Où en est-on avec ce projet aujourd’hui ?
On peut estimer que l’on n’a pas avancé comme on aurait pu le souhaiter depuis le 13 juillet dernier. Certes, la volonté des Européens et des habitants de la rive Sud de la Méditerranée d’aller plus avant dans leurs modalités de composition générales reste officiellement présente. Mais dans la réalité des faits, ce sont plutôt les logiques bilatérales qui continuent à l’emporter.
Qui plus est, on a vu récemment comment l’offensive israélienne à l’encontre de la bande de Gaza a porté un coup aux processus de réunion prévus dans le cadre de l’UPM. Autant dire que, s’il y a une chose qui a été confirmée sur le terrain, c’est bel et bien la grande difficulté qu’il y a pour l’UPM d’avancer concrètement tant qu’elle privilégiera les logiques de coopération techniques et économiques à un traitement de fond des questions politiques, en tête desquelles figure le conflit israélo-palestinien.

L’Egypte va assurer la co-présidence de l’UPM pour les pays du Sud, la Tunisie va abriter le secrétariat général et Barcelone l’organisation. L’Algérie donne l’impression d’avoir été mise à l’écart des grandes décisions, et ce malgré sa position stratégique dans la région et son importance dans la réalisation de ce projet. Quelles sont les raisons de ce traitement défavorable pour l’Algérie ?
Il convient de reconnaître que l’Algérie y était elle-même allée à reculons concernant ce projet d’UPM. On se souvient ainsi que la participation de ce pays, et plus précisément du président algérien, au sommet du 13 juillet dernier n’avait été acquise qu’à la dernière minute.
Or, ce sont les Européens, en tête desquels les Français, qui estiment pour leur part qu’il y a un plus grand avantage à consolider le rôle de pays plus franchement en phase avec leurs volontés et aspirations. Et, sur ce plan, autant les options nationalistes de l’Algérie peuvent être à son honneur, autant, sur le fond, cette attitude forte suscite des craintes de la part des promoteurs européens de l’UPM.
Je n’irai pas pour autant jusqu’à dire que cela exclut l’Algérie de l’UPM et de ses projets ; au contraire, elle peut y avoir voix au chapitre, au même titre que l’ensemble des autres membres. Cela dit, il est vrai que cela ne se traduit pas pour autant pour l’heure par des consolidations de type institutionnel favorables aux Algériens.
Ce qui demeure effectivement regrettable, l’Algérie, et même le Maroc, ayant bien plus de cartes politiques à jouer que la Tunisie par exemple. Mais il est vrai que cette dernière est bien plus proche des options politiques européennes. Ce qui en dit long d’ailleurs sur le projet d’UPM, ses orientations potentielles, et ses logiques de fonctionnement.

En quoi l’UPM pourrait servir les intérêts de l’Algérie ?
L’UPM pourrait servir l’Algérie au même titre que l’ensemble de ses voisins du Sud de la Méditerranée. En rendant des fonds disponibles, et en construisant des projets en commun, on voit mal en effet comment l’Algérie pourrait voir ses intérêts franchement écornés.
Dépollution de la Méditerranée, projets de sauvegarde de l’environnement, amélioration des fondements économiques et de l’activité du pays, sont autant de faits qui ne peuvent être objectivement critiqués pour ce qui concerne leur bien-fondé. Mais, une fois encore, ce n’est pas pour autant que ces projets seront porteurs, à partir du moment où les pays du Nord de la Méditerranée leur demanderont une contrepartie politique automatique.
On n’en est pas à ce stade, certes ; mais il faudra voir si l’UPM réussira à faire mieux que le processus de Barcelone lancé en 1995. Celui-ci a connu un rapide essoufflement du fait de l’absence de coordination d’horizons politiques et d’objectifs clairs à terme. Le défi, pour les promoteurs occidentaux de l’UPM, c’est de convaincre l’Algérie et l’ensemble de ses voisins de ce que ce projet sera porteur pour leur avenir. Mais là, beaucoup reste encore à faire.
Israël a fait fi des répercussions qu’induiraient son offensive destructrice contre la bande de Gaza, sur sa candidature à l’UPM. N’est-ce pas la une autre occasion ratée de faire la paix avec les pays arabes ?
Oui et non. Oui, dans le sens où l’UPM aurait pu incarner une enceinte où les choses seraient exposées et débattues, sereinement d’ailleurs ou non ; la présence en son sein d’une multitude d’acteurs, aussi contre-productive puisse-t-elle paraître, aurait en effet au moins pu avoir l’avantage de voir se dégager une tendance globale de la part des pays membres de l’UPM, en l’occurrence pour s’inscrire en faux contre l’action israélienne. Mais non, dans le sens où l’UPM est encore balbutiante, dans le sens où elle a fait le choix de faire fi d’une intervention directe de sa part dans le courant politique des événements, et dans le sens également où les Européens ne semblent pas encore être d’accord sur l’attitude à adopter vis-à-vis du conflit israélo-palestinien – ou, du moins, n’osent pas le faire.
Que l’on imagine que les membres de l’UPM aient, éventuellement, menacé Israël de l’exclure de l’UPM s’il ne cessait son offensive à l’encontre de la Bande de Gaza ; cela n’aurait pas pour autant changé le courant des choses, à mon sens.
Ce que je veux souligner, ici, c’est que l’UPM prend le risque effectif de vite confiner à une forme de coquille vide. Dans le même temps, si la résolution du conflit israélo-palestinien pourrait dépendre un jour des options de l’UPM, on n’en est cependant en rien à ce stade à l’heure qu’il est.

L’UPM a permis aux présidents Bachar El-Assad ( la Syrie) et Mouammar Kadhafi ( la Libye) de sortir peu ou prou de leur isolement politique international. Leurs souscription à ce projet n’était-elle pas motivée par cet acquis politique, l’UPM n’étant qu’un prétexte ?
Pour le président syrien, oui ; mais n’oublions pas que Mouammar Kadhafi ne s’est pas rendu à Paris pour sa part.
Au contraire, il a fait valoir des motifs d’opposition à l’UPM, en soulignant qu’à son sens, il valait mieux avancer à quelques-uns, mais sûrement et correctement, qu’à plusieurs, mais mal. C’est ce qu’il sous-entend quand il affiche ses préférences pour le « 6+6 ».
Quant à la Syrie, il va de soi qu’elle n’avait pas de raisons objectives de refuser une telle invitation, à un moment où elle était effectivement largement mise au ban de la dite communauté internationale. Mais il ne faut pas se tromper pour autant : ce qui intéresse les Syriens par-dessus tout, c’est bel et bien le renouement de relations un peu plus chaleureuses avec Washington.
A leurs yeux, l’UE et l’UPM peuvent avoir des bénéfices économiques et financiers, et avoir valeur de tremplin politique ; mais ça ne va pas plus loin. Et ça n’ira d’ailleurs pas plus loin tant que l’UE n’aura pas elle-même mis en place les conditions de son affirmation politique.
En tant que spécialiste des enjeux géopolitique de l’eau, que pensez-vous du volet eau et écologie proposé dans le carde de l’UPM ?
Il ne faut pas oublier que l’UPM n’a en rien révolutionné la donne en termes hydrauliques. Le Plan Bleu, pour ne citer que lui, travaille en effet depuis longtemps sur de telles thématiques, et ses publications et rapports témoignent de sa détention concrète de pistes pour une amélioration du statut hydraulique et de la qualité des pourtours des pays méditerranéens.
Quant à l’UPM, certes, elle a le mérite de souligner la profondeur des enjeux hydrauliques et maritimes en Méditerranée, et il convient de s’en réjouir ; dans le même temps, elle ne fait là qu’enfoncer des portes ouvertes.
Dépolluer la Méditerranée est important, oui ; mais ce n’est pas ce qui permettra au sud de la Méditerranée de fonder son propre traité de Rome, ni même aux « euroméditerranéens » de trouver les conditions pour un rapprochement des perspectives les entretenant.

Beaucoup d’observateurs voient dans l’UPM un projet au dessein néocolonial ?
En effet, mais c’est plutôt côté sud-méditerranéen qu’ils se recrutent. Je crois qu’il faut cependant faire attention au poids des mots, et ne pas retenir cette grille de lecture dans son sens premier.
Certes, en proposant un tel projet, les Européens ne font pour l’heure que réchauffer le plat du processus de Barcelone, qui était motivé essentiellement par des logiques sécuritaires et migratoires. Dans le même temps, pour que ce projet ne confine pas au néo-colonialisme franc, il convient tout simplement pour les gouvernements du sud de la Méditerranée d’être clairs quant à ce qu’ils sollicitent, et unis dans leurs requêtes.
Deux conditions qui continuent pourtant à manquer à l’heure qu’il est, et qui ne doivent donc pas nous étonner de constater que c’est bel et bien l’UE qui a le plus d’atouts en main. N’oublions pas en effet que l’ensemble de ses Etats-membres ont réussi à se mettre assez rapidement d’accord autour d’un projet d’UPM qui, pourtant, ne faisait pas consensus parmi eux à l’époque où Nicolas Sarkozy l’a proposé.
Pourquoi les sud-méditerranéens ne seraient-ils pas capables d’en faire autant ?
Quelle est votre analyse de la nouvelle politique qu’Obama entend mener dans la région du Moyen-Orient, notamment les relations américano-israéliennes ?
Rien n’est réellement clair, pour l’heure, en dehors des questions irakienne et, un peu plus à l’est, afghane bien entendu.
C’est pourquoi il convient d’être prudent sur cette question, et surtout de ne pas tenter de diagnostic hâtif. Cela dit, je ne vois pas ce qui pourrait pousser l’Administration Obama à être plus critique vis-à-vis d’Israël que ne l’a été son prédécesseur George W. Bush.
La symbiose américano-israélienne compte en effet au rang des fondamentaux développés par les Etats-Unis depuis 1967, au bas mot. Quant à la possibilité pour Obama de faire des pressions sur Israël pour qu’il s’engage dans des négociations pour la paix avec les Palestiniens, elle reste possible, certes. Mais je doute qu’il entretienne, à l’heure qu’il est, des volontés de règlement de ce conflit aussi poussées que celles mises en exergue par Bill Clinton il y a moins de dix ans.
Autant dire que, même s’il pourra y avoir des évolutions en termes de méthode, sur le fond, je ne crois pas que les Etats-Unis développeront une vision du Proche-Orient en rupture avec la vision israélienne des faits. C’est seulement si les Israéliens décident de faire la paix avec leur entourage que les Américains suivront.
Barah MIKAÏL Par Fayçal Anseur - Algérie Focus - Institut de Relations Internationales et Stratégiques - le 18 février 2009

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