Alors que l'Algérie est à un tournant important, tant économique que politique, le patron du Forum des chefs d'entreprise livre son analyse de la situation présente, mais aussi à venir.
Environnement économique, état d'esprit des hommes d'affaires et des investisseurs, réformes structurelles nécessaires pour mieux adapter l'économie algérienne, changement de statut de l'organisation patronale qu'il préside, initiatives en direction des jeunes, appréciation des éléments de risque social, politique et économique, analyse de la règle 49/51, impact attendu du Conseil d'affaires algéro-français, regard porté sur les marchés africains, approche de la responsabilité sociétale des entreprises, ambition africaine de ETRHB, enfin, sa foi dans l'avenir de l'Algérie, Ali Haddad a balayé un large spectre de l'écosystème de l'Algérie en se confiant au Point Afrique. De quoi se faire une idée de l'état de la prise de conscience des défis à relever dans une Algérie au milieu du gué.
Le Point Afrique : Comment se porte l'Algérie ?
Ali Haddad : Nous sommes un pays stable avec des perspectives économiques positives malgré la baisse des revenus issus des hydrocarbures. En début d'année, la Banque mondiale a relevé sensiblement ses prévisions de croissance du PIB de l'Algérie à 3,6 % pour 2018. Dans son dernier rapport, la Banque africaine de développement abonde dans le même sens et prévoit une croissance du PIB algérien à 3,5 % en 2018 et 3,8 % en 2019.
L'Algérie est dans une période charnière où son modèle économique est en pleine mutation avec une émergence sans précédent du secteur privé. Le FCE se réjouit de la baisse des prix du baril, car elle accélère les reformes en cours et dope le secteur privé.
Quelle appréciation portez-vous sur les indicateurs à même d'inciter les investisseurs étrangers à s'installer en Algérie ?
Le climat des affaires est en constante amélioration notamment grâce au dialogue public-privé que nous avons instauré avec l'État au plus haut niveau, ce qui nous permet de soumettre nos propositions et d'identifier, ensemble, les contraintes qui bloquent les projets d'investissement et freinent l'entrepreneuriat. Le FCE a préconisé une réforme fondamentale, celle de la gouvernance de l'administration, et nous appelons l'application de la loi, à commencer par celle de la Constitution, qui, dans son article 43, consacre la liberté d'entreprendre et de commercer.
L'Algérie est la quatrième économie du continent africain avec des gisements d'opportunités importants qui ne sont pas encore exploités. L'immensité du pays et la taille de sa population (40millions) en font par exemple un des plus gros marchés méditerranéens pour le développement des technologies de l'information et de la communication. On le sait peu, mais l'Algérie est l'un des rares pays en Afrique à disposer de plusieurs milliers de kilomètres de fibre optique. Par exemple, la route transsaharienne qui relie Alger à Tamanrasset sur 3 000 km sera totalement équipée en fibre optique.
Je peux aussi mentionner notre programme de développement des énergies renouvelables qui prévoit une puissance totale installée de 22 000 MW d'ici à 2030. Et, avec un taux d'électrification de 99 %, l'Algérie peut devenir un acteur majeur dans le processus d'électrification du continent africain.
Enfin, l'emplacement de l'Algérie est stratégique face au marché européen et à la jonction des États d'Afrique et de Méditerranée. Quand on est un investisseur, on évalue le rapport rendement/risque et je pense que l'Algérie offre l'un des meilleurs rapports rendement/risque de la zone.
Quel est votre sentiment sur la confiance que portent les hommes d'affaires algériens dans l'environnement et l'avenir économique de l'Algérie ?
Le baromètre du FCE, qui mesure l'indice de confiance des chefs d'entreprise, même s'il fluctue, montre que les opérateurs algériens n'ont pas reporté leurs investissements malgré la chute des revenus pétroliers. Bien au contraire, de grands projets sont lancés dans l'industrie, la sidérurgie, la construction… Ces grands projets vont avoir un effet entraînant sur toute l'économie avec la création d'emplois directs mais aussi indirects.
Quelles réformes vous paraissent nécessaires pour éviter à l'Algérie les déconvenues de la perte de ressources en raison du tarissement des gisements d'hydrocarbures ?
Il est évident que la poursuite du développement économique et social de notre pays ne doit plus reposer sur la seule ressource naturelle, mais sur le travail, la productivité, la transformation, la créativité et l'ingéniosité des Algériens. Certaines mesures urgentes sont déjà prises. Une nouvelle loi sur l'investissement a été promulguée. Elle va rendre l'acte d'investir plus fluide en réduisant considérablement les étapes du processus de validation et en instaurant l'automaticité des avantages.
Notre économie se caractérise par un dynamisme entrepreneurial soutenu. L'entreprise privée y prend de plus en plus de place et devient progressivement le moteur du développement. Tout cela met notre pays en situation de consolider l'environnement économique pour qu'il soit viable, apte à permettre son insertion dans les chaînes de valeurs internationales et à favoriser l'émergence d'un tissu industriel capable de répondre à la demande interne, mais aussi d'aller chercher des parts de marché à l'international. Nous travaillons aux côtés des pouvoirs publics pour libérer les initiatives de tout obstacle réglementaire et bureaucratique, et ouvrir le champ à l'activité des entreprises dans tous les secteurs.
Est-ce pour être mieux entendus que vous avez fait passer le FCE du profil d'association à celui d'organisation syndicale ?
Le FCE était à l'origine un club regroupant les plus grands entrepreneurs et industriels algériens. Au fil des ans, le FCE s'est ouvert à des sociétés de différentes tailles et divers secteurs. Notre membership s'est significativement développé, et l'organisation regroupe aujourd'hui des chefs d'entreprise de sociétés de différentes tailles et divers secteurs.
Le FCE représente 4 000 chefs d'entreprise, 7 000 entreprises, 300 000 employés, 4 000 milliards de dinars de chiffre d'affaires (40 milliards de dollars). Le statut d'association, qui correspondait à une étape et à un contexte particulier, a indéniablement enrichi le paysage associatif par la qualité des contributions du FCE et la force de ses propositions. Cependant, la situation actuelle commande au FCE d'acquérir une nouvelle dimension en rapport avec les exigences légales et l'impératif de conjuguer la richesse de son apport avec une base sociale élargie. L'aboutissement de cette procédure permettra au FCE de consolider et de renforcer de manière pérenne sa coopération avec les pouvoirs publics et les autres partenaires sociaux. Il était dont naturel de passer du statut d'association à celui d'organisation syndicale patronale. Dans toutes les économies modernes, les entreprises sont représentées par des organisations syndicales qui comptent au nombre de ce qu'on appelle les partenaires sociaux.
L'Algérie compte un nombre important de jeunes pour lesquels l'entrepreneuriat ne manquera pas d'être une voie de salut. Que faites-vous au niveau du FCE, seul ou avec l'État, pour les préparer à cette réalité qui sera imposée par une conjoncture de rareté de moyens publics ?
La jeunesse est la priorité de mon mandat. J'ai d'ailleurs créé le « Jil'FCE » (génération FCE en arabe) qui fédère les membres du FCE de moins de 40 ans. La structure actuellement dirigée par Mohamed Skander est très active et a signé beaucoup de conventions avec les banques, la Bourse, les grands donneurs d'ordre comme Algérie Télécom pour aider des milliers de jeunes entrepreneurs dans leurs démarches.
70 % de notre population a moins de 40 ans, il est donc évident que la prospérité de notre pays passera par sa jeunesse et par tous les dispositifs pour favoriser l'accès à l'entrepreneuriat. Plus généralement, l'employabilité des jeunes ne peut être qu'un bon investissement.
Quelle analyse faites-vous du risque social et politique de l'Algérie d'aujourd'hui que les investisseurs ne manqueront pas d'intégrer dans leurs critères pour venir ou pas ?
L'Algérie a connu des moments difficiles, mais c'est aujourd'hui l'un des pays les plus stables de la région. Notre pays a démontré par le passé qu'il avait des capacités de résilience remarquables. La stabilité de notre pays est indéniable.
La règle 49/51 et quelques difficultés pour rapatrier les bénéfices semblent décourager certains investisseurs. Quelles réformes propose le FCE pour résoudre ces problèmes ?
Le FCE échange en permanence avec les institutions pour améliorer les conditions d'investissements en Algérie, et cela autant pour les entreprises à capitaux algériens qu'étrangers. La règle 49/51 n'a jamais constitué une source de blocage pour les investissements directs étrangers. D'ailleurs, après son entrée en vigueur de cette règle, il n'y a pas eu une baisse substantielle de ce type de projets. Les entreprises étrangères avaient des appréhensions au début, mais elles ont très vite compris que cette mesure n'était pas de nature à entraver leurs investissements. Mieux encore, nombre de partenaires ont confirmé que cette règle (que, du reste, beaucoup de pays appliquent) ne les gêne pas, et ils continuent à investir et à réaliser des projets en Algérie. Par ailleurs, même sans ce cadre, il est, en Algérie, toujours préférable de s'associer à un partenaire local pour gagner en temps et en efficacité.
Aujourd'hui, contrairement à ce qui peut se dire, l'essentiel des sociétés détenant des parts sociales dans les sociétés algériennes récupère leurs dividendes sans difficulté. Il y a cependant un cadre établi à respecter, mais ceux qui le font en conformité n'ont pas de problèmes dans le partage des dividendes.
Le Conseil d'affaires algéro-français récemment créé va-t-il vraiment faciliter et développer le business entre l'Algérie et la France ?
La France est déjà un des principaux partenaires de l'Algérie, autant sur le plan commercial que sur le plan de l'investissement, avec environ 400 sociétés implantées – dont une trentaine de grandes entreprises. Cependant, on peut toujours améliorer les relations et ce Conseil, que l'on a créé avec notre homologue français – le Medef –, doit permettre de collaborer afin de lever les éventuelles contraintes rencontrées dans la concrétisation de projets algéro-français. Nous sommes convaincus que les réalisations qui peuvent naître d'un renforcement de nos relations seront importantes et je souhaite que les premiers résultats des actions de ce Conseil soient visibles très rapidement.
Les marchés africains sont souvent présentés comme pleins d'avenir. Y croyez-vous ?
Bien sûr que j'y crois et je ne suis pas le seul. Tous les indicateurs montrent que l'économie mondiale gravite désormais autour du continent africain, qui a affiché un taux de croissance moyen de 5 % sur les quinze dernières années malgré les crises successives. L'Afrique est une priorité absolue pour le FCE. Plus grand pays du continent, l'Algérie bénéficie d'un emplacement géostratégique exceptionnel, elle se doit donc d'être un acteur majeur de l'émergence de l'Afrique. Nous avons la chance d'être sur le « continent du XXIe siècle » et nous comptons bien être l'une des locomotives. Les entreprises algériennes saisiront toutes les occasions pour exporter et s'implanter en Afrique, en particulier sur les marchés où la demande est forte et en commençant par les secteurs où elles sont déjà leaders en Algérie et dans lesquels elles ont un savoir-faire : l'agro-industrie, l'énergie, l'industrie pharmaceutique, le BTP, les services et les infrastructures.
Quels sont les grands chantiers, les secteurs importants que les entreprises et hommes d'affaires algériens devraient investir ?
Les membres du FCE investissent déjà dans beaucoup de secteurs en Afrique : la construction, l'industrie électrique/électronique, les biens de consommation, les services. Nous ne sommes pas suffisamment présents en Afrique, mais cela devrait rapidement changer.
Parmi les challenges qui attendent les entreprises du FCE comme tant d'autres, il y a l'écologie et la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Où en êtes-vous par rapport à ces problématiques ?
Notre pays a une grande tradition de solidarité, et cela a déteint sur nos entrepreneurs. Le FCE et ses membres traitent beaucoup ces sujets, soit au forum soit au niveau de leurs entreprises. Nous avons par exemple organisé une grande rencontre, suivie de réalisations concrètes, avec les acteurs du secteur de l'énergie : le ministre de l'Énergie et des Mines, les PDG de Sonatrach et Sonelgaz, mais aussi avec des représentants des groupes internationaux comme Engie ou Total, sur le thème des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Nous sommes aussi très présents sur la question de l'insertion professionnelle des personnes à mobilité réduite. Nos équipes travaillent d'ailleurs actuellement avec des experts de l'Union européenne sur le sujet. L'entreprise a, certes, pour objectif de réaliser du profit, mais c'est aussi un lieu de vie qui doit être inclusif.
Nous sommes donc très engagés en faveur de l'insertion économique et sociale des personnes en situation de handicap. Récemment, le Forum des chefs d'entreprise a décidé de créer une fondation dédiée aux actions de solidarité portées par ses membres. Cette fondation sera implantée dans les 48 délégations de wilayas que compte le FCE à travers le pays, avec également un projet de réalisation d'une école pour les personnes à mobilité réduite dans la commune de Sidi Abdallah à Alger. Notre organisation contribuera ainsi à l'amélioration de l'insertion sociale et économique de cette catégorie que ce soit à travers l'emploi ou l'entrepreneuriat.
Président du FCE, vous êtes également à la tête d'un groupe très important, ETRHB. Qu'envisagez-vous pour, au-delà de renforcer son statut de champion national, en faire un champion africain ?
L'ETRHB est l'exemple même des opportunités de réussite qu'offre le marché algérien. Si l'on remonte 30 ans en arrière lorsque j'ai créé cette entreprise, personne n'aurait cru qu'une société privée puisse se hisser au niveau des grands groupes publics dans ce secteur. Cela démontre la mutation en cours. Après le défi algérien, va venir, pour nous, le défi africain et le groupe est prêt à participer à la construction de notre continent.
Comment voyez-vous l'avenir de l'Algérie dans les 20 prochaines années ?
L'Algérie prouvera que l'on peut réussir à être une puissance économique tout en limitant les disparités et en faisant profiter le maximum de personnes de la croissance. En tant que chef d'entreprise engagé dans la dynamique économique de mon pays, je reste convaincu que l'Algérie est prête à mobiliser toutes ses forces vives et à s'appuyer sur l'ensemble de ses ressources pour réussir le pari de l'émergence économique, et en particulier sur les ressources de son secteur privé. Un secteur privé algérien qui, dès aujourd'hui et certainement encore plus à l'avenir, saura être un levier de développement réussi pour l'Algérie
Par Malick Diwara - Source de l'article Le Point Afrique
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