Le Maghreb, qui se pose comme un non acteur dans sa propre région, laisse flotter la conviction que les pays concernés se perçoivent comme le périphérique d’un centre qui se situe hors d’eux-mêmes et dont ils attendent la stratégie organisatrice.
La menace, dans ce contexte, est la dilapidation du Maghreb dans son essence géopolitique, économique, stratégique et culturelle, c’est-à-dire la régression de l’entité politique et historique en simple contiguïté géographique dont la régulation est subordonnée à l’initiative des puissances extérieures. La centralité maghrébine est aujourd’hui menacée. La non intégration économique du Maghreb, est évaluée à une perte de 2 à 3 points de PIB tous les ans, représentant l’équivalent de 30 000 emplois par année pour la Tunisie, selon les estimations de la Banque centrale de Tunisie.
Pour promouvoir le climat d’affaires autour de la construction maghrébine et présenter de nouvelles perspectives sur la région, le Programme Régional Dialogue Politique Sud Méditerranée de la Konrad-Adenauer-Stiftung, Regional Program South Mediterranean et le Maghreb Economic Forum (MEF) ont réalisé une étude intitulée “Développement Intelligent pour le Maghreb : réforme structurelle, nouveau rôle pour l’Etat, intégration régionale”.
Partant d’une analyse rétrospective des politiques de développement économique et social de la région au cours des trois dernières décennies, la seconde partie de cette étude a été consacrée à des scénarios d’évolution de l’économie maghrébine à l’horizon 2040 en mettant l’accent sur la gouvernance économique, le rôle de l’Etat, du secteur privé, des réformes à mettre en œuvre afin de promouvoir une prospérité commune.
Enfin la troisième partie de l’étude propose des mesures à adopter afin de définir les contours d’un nouveau modèle de « Développement Intelligent » pour la région et ce partant du constat que le Maghreb possède un potentiel significatif pour initier une croissance rapide et intelligente. Comment valoriser ce modèle de développement économique innovant en Tunisie ?
Et c’est dans cette optique que la Konrad-Adenauer-Stiftung, Regional Program South Mediterranean et le Maghreb Economic Forum (MEF) ont organisé le 27 mars un séminaire qui a impliqué dans un premier temps une présentation de l’étude «Développement Intelligent pour le Maghreb : réforme structurelle, nouveau rôle pour l’Etat, intégration régionale» qui a été assurée par M. Hédi Larbi, co-auteur et ancien ministre de l’Équipement, de l’Aménagement du Territoire et du Développement durable.
« C’est du constat du coût du non-Maghreb et de la libération de certaines énergies au niveau de la société civile maghrébine, au lendemain du printemps arabe en 2011, qu’est née l’initiative de créer le MEF. L’étude Smart Development Strategy for The Maghreb inclut une analyse sans parti pris et sans complaisance de la situation socioéconomique de la région pour les trois dernières décennies ainsi qu’une feuille de route pour l’inclusion et la prospérité des populations de la région. », affirme Slim Othmani, cofondateur et membre du Conseil du MEF.
Pour nuancer certains points de cette étude, une table ronde a été organisée en vue d’examiner les contours de ce modèle de « Développement Intelligent » et de s’interroger sur ses modalités de mise en œuvre en Tunisie.
“La région du Maghreb se trouve aujourd’hui à un carrefour stratégique et a l’occasion de s’engager sur la voie de la réforme et de la prospérité.”, a déclaré Veronika Ertl, du Konrad-Adenauer-Stiftung, Regional Program South Mediterranean, lors de son mot d’ouverture de la conférence de lancement de l’étude « Développement Intelligent pour le Maghreb ».
Un grand potentiel à exploiter
En réaction par rapport à cette étude, Monji Boughzala, professeur à l’Université Tunis El Manar, a souligné que les pays maghrébins possèdent un potentiel énorme pour réaliser une croissance plus rapide et réformer notamment le système éducatif.
Toutefois, M. Boughzala a fait remarquer que l’approche, une sorte de benchmarking, adoptée est utile mais ne suffit pas parce que, du point de vue historique et géographique, les pays (Panama, Pérou, Pologne et la Roumanie) comparés aux pays du Maghreb ne sont pas capables d’éclairer davantage.
S’agissant de la répartition du rôle de l’Etat, du secteur privé et de la société civile, M. Boughzala estime que l’exemple de la Corée du Sud est plus approprié pour comprendre comment concilier liberté et rôle de l’Etat.
Au sujet des réformes, M. Boughzala a étayé ses propos en affirmant que l’étude n’explique pas pourquoi les réformes n’ont pas été mises en place et n’a pas évoqué l’aspect budgétaire et financier, et ce, par rapport aux valeurs sociales et la taille du marché informel.
« Les statistiques utilisées dans l’étude méritent plus d’analyse. Il fallait un peu plus de nuance notamment au niveau des chiffres sur le chômage et la situation des jeunes. Il fallait approfondir l’analyse sur ce volet », précise M. Boughzala.
Et d’ajouter qu’on s’est perdu dans des débats stériles, notamment au Maroc, en Algérie et en Tunisie. C’est pourquoi il a recommandé d’approfondir l’analyse politique dans ce sens. « Le drame est qu’on n’arrive pas à concrétiser le potentiel et les opportunités », dit-il.
Créer des clusters régionaux
Mme Riadh Zghal, professeur émérite en sciences de gestion, a mis l’accent sur les concepts clés de l’étude. Sur un ton critique, Mme Zghal a souligné que le seul critère qui justifie la comparaison entre les pays maghrébins avec les autres pays est le PIB et il fallait tenir compte d’autres critères.
Le volet historique qui a beaucoup impacté le développement des pays maghrébins a manqué à l’étude qui n’a pas exploré des signaux de l’intégration maghrébine comme les investissements réalisés par les Maghrébins dans leurs pays telle que la présence des entreprises tunisiennes en Algérie. Pour Mme Zghal, cette étude semble privilégier les rapports des pays maghrébins avec l’Europe alors que plusieurs opportunités se présentent à côté du Maghreb (COMESA, Afrique subsaharienne…). « Il faut capitaliser sur la dynamique existante sur les frontières entre les pays maghrébins à travers la création des clusters régionaux », dit-elle.
Le Maghreb baigne dans un désordre mondial
Mettant la région dans son contexte géopolitique, Mehdi Taje, directeur de Global Prospect Intelligence a souligné que le Maghreb baigne dans un désordre mondial avec le retour de la logique de puissance et de multipolarité caractérisée par une dérégulation du système mondial et un retour d’une géopolitique des peuples (logique tribale, logique communiste…) qui s’oppose à un système profond et uni. Il y a donc une remise en question de l’intégration régionale et le Maghreb n’échappe pas à cette tendance.
« Le Maghreb va conditionner le processus démocratique en Tunisie qui est dans un environnement diplomatique et un voisinage tourmentés et hostiles. Le Maghreb est l’otage de rivalités. Les pays maghrébins raisonnent verticalement et chacun cherche à obtenir le meilleur de son partenaire (Union européenne, USA…) au détriment du son voisin », a relevé Mehdi Taje.
Evoquant le contexte tunisien, Afif Chelbi, président du Conseil des analyses économiques auprès de la Présidence du gouvernement pense qu’il faut éviter les fausses pistes pour pouvoir bien analyser les situations et trouver les bonnes solutions. « ll y a des faiblesses de l’Etat à appliquer les lois et les réformes nécessaires. On a créé un faux débat avec la centrale syndicale en évoquant la privatisation des entreprises publiques alors que le grand déficit vient des entreprises non privatisables. Le vrai problème est la masse salariale », explique Afif Chelbi.
Source de l'article l’Économiste Maghrébin
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