Hommes ou femmes, les entrepreneurs font face aux mêmes difficultés au Maroc. Il s’agit d’une des conclusions à laquelle sont arrivées les dernières études sur l’entrepreneuriat féminin présentées le 15 mars à la résidence de France à Rabat en présence de l’ambassadeur français.
Un panel d’entrepreneuses et chercheuses marocaines mais aussi françaises ont posé le paysage de ce type d’entrepreneuriat. Pour la chercheuse à l’Université Mohamed V, Manal El Abboubi, il est d’abord essentiel de distinguer l’entrepreneuriat féminin des autres types d’entrepreneuriat.
“On ne le distingue pas parce qu’il concerne les femmes, on le distingue parce qu’il concerne une population qui a ses propres spécificités et qui subit des inégalités sociales”, précise Manal El Abboubi.
Un portrait type de la femme entrepreneur au Maroc a même été dressé lors de la rencontre. Elle aurait entre 35 et 45 ans, mariée, avec des enfants, et travaille principalement au niveau des services et du commerce.
Au Maroc, les femmes représenteraient, selon les derniers chiffres du Haut-commissariat au plan (HCP), 10% des entrepreneurs et sont surtout présentes dans les secteurs “à faible valeur ajoutée comme le textile ou les services sociaux”, comme le rappelle, lors de la rencontre, Janick Pettit, gérante de la filiale Maroc dans l’institut Sagaci Research, une société d’études de marché spécialisé dans le marché africain.
Les femmes créatrices d’entreprises sont également plus présentes dans le milieu rural, ce qui pourrait paraître surprenant mais une grande partie de ces petites entreprises relèvent d’une activité de survie et déguise en réalité une forme d’auto-emploi, comme le souligne Janick Pettit.
“Dans le milieu rural, la création d’entreprises est faite davantage par besoin plutôt que par opportunité ou par innovation”, explique-t-elle, rappelant que l’écrasante majorité (94%) de ces entrepreneuses dans le milieu rural serait analphabète.
En partant de ce constat, la chercheuse Noura Salman a mené une étude qualitative avec sa professeure Manal El Addoubi à l’Université Mohamed V, ainsi que deux autres chercheuses, qui catégorise les femmes entrepreneurs selon leur secteur d’activité mais aussi selon les régions pour éviter ainsi le risque d’une recherche quantitative qui pourrait dégager des chiffres trompeurs.
L’étude, publiée en 2017 sur la revue internationale PME, a été menée auprès de 60 femmes entrepreneuses et a pu distinguer trois profils: la chef d’entreprise classique qui traduit un “entrepreneuriat voulu” et que “l’insatisfaction du salariat aurait poussé à l’entrepreneuriat”, et la coopératrice qui se lance dans “l’entrepreneuriat comme moyen de survie”.
Le troisième profil concerne l’entrepreneuse en profession libérale qui se retrouve dans un entrepreneuriat “par défaut”. L’étude considère donc les médecins, les notaires, ou encore les avocats comme entrepreneuses puisqu’elles feraient face aux mêmes défis, notamment le besoin de clients.
Pour Manal El Abboubi, cette sectorisation est primordiale puisque les réalités de chacune d’elles sont différentes. La chercheuse et co-auteur de l’étude explique: “Une femme analphabète qui vit dans le milieu rural et qui veut faire par exemple un élevage de lapins ne vit certainement pas la même expérience entrepreneuriale qu’une femme qui se retrouve à la tête d’une entreprise dans une grande ville par succession”.
Peu de confiance en soi
Si l’entrepreneuriat féminin est en progression au Maroc, il peine cependant à décoller. L’institut Sagaci Reseach a voulu identifier les freins à l’entrepreneuriat en lançant, en 2018, une enquête sur le site de recrutement au Maroc, ReKrute.com, auprès d’hommes et de femmes entrepreneurs.
L’accès au financement représenterait la contrainte principale (70%) pour les entrepreneurs hommes et femmes. L’accès au foncier -achat ou location- ainsi que le manque de soutien et d’accès aux réseaux professionnels ont également été cités par les deux sexes.
“Qu’on soit un homme ou une femme, on passe par les mêmes étapes”, affirme Dounia Belghiti, présidente de PhDTalent, une entreprise qui met en relation le secteur académique et le secteur privé. “L’entrepreneuriat reste compliqué et demande beaucoup d’endurance, mais le fait d’être une femme ne constitue en aucun cas un frein pour le faire”, déclare-t-elle en ajoutant que la seule différence entre les deux sexes se ressent plutôt au niveau du secteur puisque quelques milieux restent encore “très masculins comme l’informatique, où la femme doit faire preuve d’adaptation et de beaucoup de flexibilité”.
Quelques caractéristiques spécifiques aux femmes ont néanmoins été dégagées par l’étude de Sagaci, notamment la peur de l’échec, retrouvée une fois et demi de plus chez les femmes que chez les hommes.
“Les femmes seraient donc moins preneuses de risques”, déclare Janick Pettit.
La perception des compétences est également plus faible chez les femmes que chez les hommes. Les femmes auraient moins confiance en elles (45%) que les hommes (67%).
“Les femmes me demandent toujours un salaire plus bas que les hommes même si elles sont plus qualifiées”, regrette Fatim-Zahra Biaz, directrice et fondatrice de l’incubateur de startup marocaines New Work Lab.
La pression liée aux normes socio-culturelles représenterait également un frein dans ce domaine très compétitif. “On attend la femme davantage dans des rôles en charge de la gestion du foyer et des enfants”, regrette Janick Pettit.
Une solution ?
Pour la chercheuse Janick Pettit, il faut aller au coeur du problème pour encourager les femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat en mettant en place des initiatives liées à l’accompagnement de la femme pour lui redonner confiance en elle et mieux gérer sa peur du risque.
La professeure Manal El Addoubi suggère quant à elle d’aller vers une mixité dans les réseaux professionnels. “On cloisonne souvent les femmes dans des milieux de femmes. Il faudra donc décoder les mécanismes de fonctionnement culturels et socio-économiques utilisés par les hommes pour que les femmes puissent, elles aussi, participer à la prise de décision”.
L’importance du réseau professionnel a également été évoqué par la présidente des femmes chefs d’entreprises mondiales, Marie-Christine Oghly, comme facteur essentiel au changement.
“Les femmes ont besoin d’être impliquées davantage dans le monde économique”, déclare-t-elle au HuffPost Maroc. “Elles devraient donc être plus représentées dans les conseils d’administrations et autres instances qui élargissent leur réseau”, affirme-t-elle, suggérant la mise en place d’un quota de femmes dans ces institutions qui est nécessaire “au moins pendant une certaine période”.
Les chercheuses sont unanimes: l’entrepreneuriat féminin revêt un enjeu majeur pour le Maroc. Il permettrait, selon Manal El Abboubi, non seulement aux femmes d’accéder davantage à l’activité économique du pays mais aussi de réduire la pauvreté et donc d’améliorer l’accès à l’éducation.
“Dans certaines régions, on retrouve une démission totale ou partielle de certaines problématiques, comme l’éducation, la santé, l’accès à l’eau… C’est là que l’entrepreneuriat féminin vient comme réponse à ces situations difficiles. Au lieu d’attendre que l’État fournisse du travail ou de la scolarité pour tout le monde, les citoyens peuvent être acteurs de ce changement”, espère Manal El Abboubi.
Par Ibtissam Ouazzani - (Journaliste et vidéaste) Source de l'article Huffpostmaghreb
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