Israël a beau avoir signé un contrat historique de fourniture de gaz à son voisin égyptien, c'est l'Egypte qui devrait s'affirmer comme un hub gazier dans la région. A Chypre et au Liban, les facteurs de tension pèsent sur les projets.
Pour rassurer l'opinion égyptienne à quelques semaines du premier tour des élections présidentielles du 26 mars, Abdel Fattah Al-Sissi n'a pas hésité à déclarer que son pays « avait marqué un but », en ratifiant un contrat gazier avec Israël . L'accord du 19 février d'un montant de 12 milliards d'euros entre un consortium israélo-américain et une société égyptienne - pour exporter sur dix ans 64 milliards de mètres cubes de gaz naturel des champs offshore israéliens Tamar et Leviathan - se présente plutôt, au premier abord, comme une victoire pour l'Etat hébreu.
Accord historique
Jusqu'à une époque récente, c'est, en effet, l'Egypte qui fournissait du gaz à son voisin israélien jusqu'à ce que cet approvisionnement soit stoppé net voilà six ans, depuis la chute du président Hosni Moubarak et suite au sabotage systématique du gazoduc passant par le Sinaï. De quoi inciter le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, à qualifier d'« historique » l'accord conclu entre le consortium privé composé de l'Israélien Delek ainsi que de l'Américain Noble Energy et la compagnie égyptienne Dolphinus. Pour l'heure, seule la Jordanie avait accepté, en 2016, d'importer du gaz en provenance du gisement israélien Leviathan.
Manne inespérée
Mais la situation gazière de la Méditerranée orientale, où près de 2.000 milliards de mètres cubes de gaz ont été découverts au cours des six dernières années, n'en finit pas de connaître des rebondissements.
Et après les grandes annonces liées aux gisements Tamar (2009) et Leviathan (2010), une manne gazière inespérée pour Israël, c'est au tour de l'Egypte de miser sur un eldorado, grâce au champ gazier géant Zohr, découvert en 2015 par l'italien ENI. De sorte que, si le contrat annoncé le 19 février s'apparente à une bonne nouvelle pour Israël , il ne vise qu'à dépanner son « allié » égyptien pendant quelques années, le temps que ce pays fasse monter en production ses propres champs et se transforme en puissance exportatrice gazière...
Hub régional
« Grâce à ses volumes, à ses deux unités de liquéfaction de gaz et à l'existence d'un projet malin, l'Egypte est d'ores et déjà en passe de devenir un grand hub gazier dans la région », explique Thierry Bros, chercheur à l'Oxford Institute for Energy Studies, pour lequel les dix-huit prochains mois « vont être cruciaux » pour le secteur. A l'en croire, la situation peut demeurer « gagnant-gagnant » pour Israël, mais ce pays aurait perdu beaucoup de temps à fixer les règles de son secteur énergétique.
Déception gazière
L'Etat hébreu a notamment laissé filer la société australienne Woodside , un leader dans la liquéfaction de gaz naturel (GNL), qui a jeté l'éponge en 2014. Il a, par ailleurs, donné son feu vert à la vente de deux petits champs gaziers à la compagnie grecque Energean, à qui il a aussi concédé des licences. Mais la valorisation de ces ressources est sans doute tributaire de la faisabilité du projet « East Med », devant relier Israël à l'Italie via la Grèce et Chypre. « Un projet d'un coût de 7 milliards de dollars, nécessitant de six à sept ans pour être opérationnel, et dont la viabilité dépendra des volumes de gaz qui seront découverts », faisait valoir fin 2017, Simon Henderson, du Washington Institute, dans un récent article intitulé « La déception gazière d'Israël »...
Un potentiel équivalent à celui de la Novège
De sorte que, au lieu d'exporter son gaz vers la Turquie, comme Tel-Aviv en rêvait voilà peu, avant le coup de froid diplomatique avec Ankara, c'est l'Egypte qui semble avoir emporté la mise pour se placer en pole position dans le Bassin levantin. Une zone au potentiel jugé équivalent à celui de la Norvège, même si des problèmes de frontières terrestres et donc maritimes viennent compliquer la donne, sans compter les tensions géopolitiques qui caractérisent la région.
Chypre mal positionnée
« Beaucoup d'Européens voyaient la Turquie, pays importateur et zone de transit, comme plaque tournante gazière, mais je n'y ai jamais cru », relève encore Thierry Bros, qui estime, par ailleurs, que la République de Chypre, déjà pénalisée par les frictions avec Ankara, s'est mal positionnée. « Le pays n'a pas utilisé de façon intelligente les fonds structurels de l'Union européenne et ne s'est pas équipé en installations de GNL. Cela ne sera pas facile de revenir en arrière. »
Réformes nécessaires
Dans un rapport paru en avril 2017, Tareq Baconi, un expert du think tank Conseil européen des relations internationales, avait, lui aussi, estimé que l'Egypte est « le seul pays de la région » susceptible d'exporter du gaz en Europe de manière indépendante, grâce à la taille de ses réserves et aux infrastructures d'exportation qui existent déjà, et de réduire la dépendance européenne face au gaz russe. « Mais des réformes dans le secteur de l'énergie seront nécessaires pour s'assurer de la confiance des investisseurs », avait-il précisé.
Quant au Liban, nul ne peut savoir encore si le premier projet d'exploitation de gaz offshore signé fin décembre, avec un consortium comprenant Total, ENI et le russe Novatek, sera viable. Outre le fait que deux blocs concernés se trouvent en partie dans une zone maritime revendiquée par Israël, ce qui créé un vrai risque d'affrontement, la règle dans cette industrie n'est guère favorable aux derniers arrivés.
Par Nathalie Hamou - Source de l'article Lesechos
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