Historiquement, la position pivot acquise (sous l’Antiquité) par la Méditerranée a été remise en cause par les grandes découvertes des XVe-XVIIe siècles.
La nouvelle vague de « mondialisation » née à la fin du XXe siècle a confirmé ce déclassement avec la croissance des échanges commerciaux transatlantiques et (surtout) transpacifiques. Ainsi, non seulement l’espace méditerranéen ne constitue plus privilégié par les grandes puissances, mais le bassin a vu son poids décliné dans une économie globale dans laquelle de nouveaux pôles régionaux se sont affirmés, en particulier en Asie.
Pourtant, la Méditerranée n’est pas sortie de l’Histoire. En atteste une série de signaux ou phénomènes qui reconfigurent les équilibres fondamentaux de cet espace : les soulèvements populaires qui ont traversé ses rives Sud et Est en 2011 ont eu une résonnance qui a dépassé les frontières méditerranéennes (une expérience unique de démocratisation d’un régime arabe en Tunisie, conflits en Libye et en Syrie qui affectent la paix et sécurité régionale et internationale, irruption de forces djihadistes et d’organisations criminelles, la montée d’idéologies identitaires sur les rives nord et sud, une crise migratoire historique, etc.) ; la région voit sa face orientale s’affirmait comme nouveau pôle énergétique mondial, alors que la Méditerranée s’impose aussi comme l’ un des « hot-spots » du changement climatique…
Signes du renouveau de l’intérêt géopolitique de la Méditerranée, la Chine a consenti des investissements lourds pour s’implanter dans le terminal commercial de Port Saïd au nord du canal de Suez et les ports de Naples et du Pirée, considérés comme autant de portes d’entrée vers les marchés européens.
En outre, la Russie a signé un retour en force avec son implication directe dans le conflit syrien (qui s’est traduit notamment par le déploiement de sous-marins et de navires de guerre), tandis que l’espace méditerranéen se retrouve de facto au cœur des axes et priorités de la politique étrangère française fixés (lors de la récente Conférence des ambassadeurs à Paris) par le président Macron : la « lutte contre le terrorisme islamiste » et la régulation de la « crise migratoire » passent par la création d’un « axe intégré entre Afrique, Méditerranée et Europe ».
Or à défaut de cadre européen effectif pour mener une véritable politique méditerranéenne et l’absence d’une Europe de nature diplomatique et militaire, la France a tenté – sous les présidences Sarkozy-Hollande – de trouver un équilibre dans une stratégie d’indépendance et de complémentarité avec la superpuissance américaine dans la région. Cette ligne a montré ses limites et impasses en Libye et en Syrie. Au-delà des décisions et actions ponctuelles, plus ou moins coordonnées, la question de la définition et de la mise en œuvre d’une stratégie franco-européenne en Méditerranée reste posée plus que jamais.
Repenser la Méditerranée
La nécessité de repenser les fondamentaux de la coopération entre le Nord et le Sud du bassin méditerranéen suppose de dépasser l’échec de l’Union pour la Méditerranée (UpM) par le choix d’un projet intégrateur fondé sur le principe de l’action coordonnée et sur le partenariat, réunissant les seuls Etats de la Méditerranée occidentale (constitutifs de l’enceinte informelle dite du « Dialogue 5+5 »).
Les liens politiques, économiques, humains et culturels étroits, ainsi que la multiplication des défis communs – même s’ils se posent en des termes différents – placent les pays du Maghreb et les pays européens de l’arc latin dans une situation d’interdépendance particulièrement aiguë. Si les fractures (démographiques, économiques et sociales) nord-sud sont des sources structurelles des phénomènes de violence et de migration, seule une stratégie globale est susceptible de les résorber. Celle-ci doit être pensée à partir d’un certain nombre d’axes : la consécration du principe d’équité et de solidarité dans les échanges commerciaux ; la réactivation du projet de « Banque méditerranéenne » dédiée au financement du co-développement et destinée à restaurer la confiance des investisseurs dans une logique d’intégration régionale durable.
Une telle Banque doit jouer un rôle pivot dans le financement (international) d’un « Plan Marshall » digne de ce nom, seul à même de favoriser un rééquilibrage d’un espace marqué par les fractures sources d’instabilité et d’insécurité ; la rénovation de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée via le renforcement de ses prérogatives et la démocratisation de sa composition (par une plus grande ouverture à la société civile), pour qu’elle devienne une véritable enceinte de débat et de décision dans une région marquée par l’expression populaire d’une aspiration à la démocratie ; des échanges universitaires et de jeunes dans le cadre d’un « Erasmus+ » renforcé au niveau de la formation professionnelle…
La nouvelle centralité géopolitique de la Méditerranée mérite de réévaluer l’investissemnt politique des acteurs (inter)étatiques de la région, dont les peuples sont liés par un destin commun.
Par Beligh Nabli - Source de l'article l'Economiste maghrébin
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