« Les espaces publics ne sont pas faits pour moi ; je ne suis qu’une faible passante nécessitant la protection d’un homme.
C’est ce que j’ai appris à l’âge de 8 ans », écrit Zaina Erhaim, journaliste syrienne gagnante en 2017 de l’Annita Ausuburg Award for Rebel Woman Against the War, de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LIFPL).
Voilà un nouveau témoignage de la lutte que les femmes continuent de mener pour la liberté, pour une vraie démocratie et pour l’égalité des droits sur l’une et l’autre rive de la Méditerranée. La réalité qu’elles vivent dans leur société est encore très loin d’égalité parfaite entre hommes et femmes, notamment dans des contextes de conflits armés, même si les progrès importants obtenus au niveau législatif dans divers pays côtiers ouvrent la voie vers cet horizon d’égalité.
Des lois pour aller de l’avant
Voici quelques réformes légales importantes adoptées récemment en faveur de l’égalité des sexes et de la défense du droit des femmes dans le monde arabe :
Tunisie – Le 26 juillet 2017, le parlement tunisien a voté à l’unanimité en faveur de l’adoption de la loi sur la violence à l’égard des femmes et l’égalité des sexes, une loi dans laquelle les termes « violation » et « inceste » sont reconnus pour la première fois. Le harcèlement sexuel, y compris verbal, y est aussi reconnu en tant que délit et sera passible d’amendes d’une valeur de 1 000 dinars (environ 350 euros).
En outre, l’article 227bis du code pénal a été éliminé. Il permettait au violeur d’une mineure d’éviter la prison s’il se mariait avec sa victime. De plus, en septembre, un décret autorisant les femmes musulmanes à se marier avec un homme d’une autre religion a été approuvé.
Maroc – Février 2018 a vu l’adoption d’une loi de lutte contre la violence de genre qui, pour la première fois dans l’histoire du pays, criminalise le harcèlement sexuel des femmes dans la rue. Toutefois, cette loi a donné lieu à une importante controverse car elle ne reconnaît pas la violation au sein du mariage, un point qui avait été revendiquée par les associations marocaines de défense de la femme.
Jordanie – L’article 98 du code pénal jordanien ainsi que son article 308 ont été modifiés le 20 juillet 2017. L’un atténuait la peine des hommes condamnés pour avoir tué une femme de leur famille et l’autre permettait aux auteurs de violence sexuelle d’éviter une sanction pénale s’ils se mariaient avec leur victime.
Turquie – Le 25 octobre 2017, l’ancienne ministre de l’Intérieur, Meral Aksener, a présenté sa nouvelle formation politique de centre-droite İyi Parti (Le bon parti). Ce nouveau parti propose, outre le retour au système parlementaire et la fin de la politisation de la justice et de l’État d’urgence, diverses réformes légales en faveur d’une présence accrue des femmes dans l’espace public et politique.
Arabie Saoudite – L’un des pays les plus influents du monde arabe, mais aussi l’un des plus restrictifs en matière de libertés et de droits des femmes, a accordé à celles-ci, le 26 septembre 2017, la possibilité de passer le permis de conduire. Il s’agit là d’un signe d’ouverture qui s’accompagne, en outre, d’autres gestes comme l’accès, très médiatisé, des femmes aux terrains de football ou la réouverture dans tout le pays des salles de cinéma fermées depuis quatre décennies.
Emilie Vidal, coordinatrice du programme Genre de l’IEMed voit d’un bon œil les changements législatifs, mais se montre revendicative. « Les médias et la société ne sont pas encore conscients de la façon dont les organisations féministes et, en général, les organisations de la société civile ont contribué à l’adoption des réformes législatives connues au fil des dernières années », affirme-t-elle. Elle ajoute : « Il est important qu’une fois adoptée la loi, on travaille à sa divulgation tant dans la société qu’auprès de ceux qui doivent la faire appliquer. » .
L’Union pour la Méditerranée aux côtés des femmes
Le comportement de la société ne change pas au même rythme que les lois. Telle est, à nouveau, l’une des conclusions que l’on peut tirer de l’un des rendez-vous clés de l’année dernière, à savoir : la Quatrième Conférence sur le renforcement du rôle des femmes dans la société. Tenue en novembre 2017 au Caire, alors qu’elle avait été prévue pour 2016 (donc avec un an de retard), la conférence a réuni les 43 ministres des droits des femmes des pays membres de l’Union pour la Méditerranée (UpM).
Lors de cette réunion, les ministres ont reconnu le dynamisme dont a fait preuve la société civile ainsi que les efforts qu’elle a déployés pour favoriser les changements au niveau mondial, des éloges accueillis avec froideur par Émilie Vidal qui considère que, souvent : « Les militantes sont persécutées par leurs propres États. » C’est, en l’occurrence, le cas de l’avocate égyptienne Azza Soliman, interdite de sortie du territoire par le Gouvernement d’Al-Sissi qui, de même, lui a bloqué tous ses comptes bancaires. « Les militantes qui luttent pour la défense des droits des femmes sont les premières dont on attaque les libertés », ajoute-t-elle.
Femmes et violence
Les familles de réfugiés du district de Kobani vivent dans des camps de réfugiés dans le district de Suruc. Octobre 2015 (Turquie). |
La Syrie est toujours le pays où les besoins en aide humanitaire sont les plus urgents dans la région. Depuis que la guerre a éclaté en mars 2011, plus de 6,5 millions de personnes ont fui le pays selon les derniers chiffres publiés par l’ACNUR, les femmes et les enfants y figurant comme les principales victimes du conflit. Il y a des années que Human Rights Watch lance des cris d’alarme sur le traitement inhumain et infamant infligé aux migrants, notamment les violations et les abus de toutes sortes dont les femmes sont victimes.
À la fin de l’année dernière, Amnistie internationale dénonçait les conditions dans lesquelles vivent des centaines de milliers d’immigrants réfugiés en Libye, ainsi que les abus auxquels ils sont soumis.
Dans la région, l’image de la femme compagne, mère ou sœur d’hommes courageux luttant pour la liberté fait toujours partie de l’imaginaire collectif. Pour cette raison, « Le féminisme qui s’est considérablement développé dans les pays arabes au début du xxe siècle ne doit pas se perdre », conclut E. Vidal. Malgré la barbarie et la mort, des faits quotidiens, il existe toujours des femmes pleines de courage ainsi que de nombreuses initiatives comme l’association Syrian Women’s Political Movement, composé de quarante femmes et deux hommes qui, depuis octobre 2017, luttent pour se faire entendre aux tables de négociation internationales.
Féminisme mondial
Bien que certains secteurs fassent preuve d’« essoufflement » en matière de féminisme, notamment les mouvements conservateurs et certains mouvements nationaux, l’année 2017 restera dans les mémoires comme celle où le féminisme a occupé une place importante dans l’agenda médiatique de la moitié du monde.
Un exemple de féminisme mondial a été la couverture que le magazine Time a consacrée à toutes les voix qui ont rompu le silence et contribué à faire resurgir le mouvement de défense des droits des femmes. Abstraction faite des polémiques suscitées, les campagnes lancées sur Twitter sous le hashtag #MeToo et #MosqueMeToo ont contribué à rendre visibles les agressions pâties quotidiennement par les femmes.
Les réseaux sociaux, plates-formes d’émancipation des femmes, sont des circuits qui leur permettent de s’exprimer librement, de partager des expériences et d’être écoutées. « Briser les tabous, la peur de parler, ne pas se sentir seules. Voilà la grande conquête », a ajouté E. Vidal.
« Tous les féminismes poursuivent des objectifs très semblables comme l’autonomisation politique et économique, la liberté de décider son avenir ou la reconnaissance des droits sexuels et génésiques », conclue E. Vidal, qui croit que la solution aux inégalités des sexes passe par la « solidarité entre les femmes ».
La photographie de cette information est de l'activiste Khadija Ryadi, actuelle présidente de la Coordination Maghrébine des Organisations des Droits de l'Homme (CMODH), lors d'une manifestation au Maroc en 2014. Photo AFP © EU/Neighbourhood Info Centre.
Source de l'article IEMed
Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM)
La Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM selon ses sigles en français), dont l’IEMed est un membre fondateur et abrite le siège, est une organisation indépendante formée par 450 membres de différents pays. Elle promeut le travail conjoint des différents acteurs politiques et de la société civile en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.
En 2015, la fondation a publié Femmes de la Méditerranée, une étude qui met l’accent sur le fait que le taux d’emploi des femmes ne dépasse pas les 40 % et descend même jusqu’à 24 % dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. C’est pour cette raison que la FFEM a mis en œuvre plusieurs projets visant à soutenir des organisations locales de pays tels l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ou la Libye. L’un des thèmes « phares » des associations sur le terrain, selon Émilie Vidal, est le manque de parité dans les programmes électoraux et, en général, dans la représentation politique. Des personnalités comme Lara Yusef, maire d’Al Qosh, au Nord de l’Irak, continuent d’être l’exception qui confirme la règle.
Avec le projet CSO WINS, qui a pour objectif de sensibiliser davantage l’opinion publique aux droits des femmes, la FFEM a collaboré à 8 campagnes de sensibilisation axées sur 3 axes thématiques : la participation des femmes à la vie politique, la lutte contre le mariage des mineurs ainsi que le droit d’héritage et l’accès au marché de l’emploi. L’une de ces campagnes a eu lieu dans un village du gouvernorat de Sharkia situé à 85 km au nord-est du Caire, où l’on avait remarqué une augmentation du nombre des mariages de jeunes filles âgées de moins de 18 ans. Une étude menée par la FFEM a alors détecté qu’en l’espace de six mois, 500 mineures avaient été mariées à des étrangers, majoritairement des Saoudiens, en échange d’argent.
« La précarité est très forte dans ces zones et pousse les familles à marier leurs filles à un âge très précoce », explique E. Vidal. Suite à ce type d’unions, on détecte de nombreux cas de grossesses non souhaitées qui contraignent ces jeunes filles à mener une vie domestique et à abandonner leurs études. « C’est le cercle vicieux de la pauvreté et c’est pour cette raison que nos actions sont destinées à proposer des alternatives permettant à ces jeunes filles de subvenir à leurs propres besoins », conclut la responsable du programme Genre.
E. Vidal met aussi l’accent sur le projet mené en 2017 : Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité, qui favorise le travail entre le monde des associations, des universités et des institutions sur des thèmes liés à la promotion des droits des femmes dans des districts et des enclaves locales d’Algérie, de Jordanie, du Maroc, d’Égypte, de Palestine, Tunisie et du Liban.
Sélection de sources
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous vous proposons une sélection de documents et de ressources récentes en provenance de l‘IEMed et d’autres sources documentaires.
Articles et sources de l'IEMed publiés pendant 2016-2018
Berrada, Rajaa. La memoria femenina de los años de plomo. Quaderns de la Mediterrània, 23. Barcelona, 2016.
Boubekeur, Amel. Participación pública de las musulmanas en Europa. Revista afkar/ideas, número 50. IEMed i Estudios de Política Exterior. Madrid, 2016.
MedCronos – Cronologies de les revoltes i transicions als països de la ribera sud i est del Mediterrani 2010-2018 (febrer).
H. Puleo, Alicia. ¿Qué es el ecofeminismo? Quaderns de la Mediterrània, Quaderns de la Mediterrània, 25. Barcelona, 2017.
Koubia, Zohra. Egalité de genre et politiques publiques au Marroc. Focus, IEMed. Barcelona, 2017.
Roque, Maria-Àngels. Voces de mujeres en la tempestad. Las mujeres relatan la historia. Quaderns de la Mediterrània, 23. Barcelona, 2016.
Roque, Maria-Àngels. Mujeres en rebeldía. La Vanguardia, 27 de desembre de 2017.
Roque, Maria-Àngels. Mujeres feministas, fondistas mediterráneas. La Vanguardia, 27 de juny de 2017.
Sadiqi, Fatima. The Role of Academia in Promoting Gender and Women’s Rights Issues in the Arab World and Southern and Central Europe. Documents IEMed, 11. Barcelona 2017.
Sekik, Nozha. Las artesanías y el saber hacer de las mujeres: memoria colectiva de Túnez. Quaderns de la Mediterrània, 23. Barcelona, 2016.
Publications de la Fondation des Femmes de l'Euro-Méditerranée (FFEM)
Appropriate Communication Techniques for Development. Women’s political participation in Egypt: Perspectives from Giza. Euro-Mediterranean Women’s Foundation / IEMed. April, 2017.
Association Chemin de la Dignité. Women’s Participation to Political and Public Life in Donar Hicher. February 2018.
Association des femmes en économie verte. For the inclusion of local actors in the promotion of female entrepreneurship. Spain, November 2018.
Building Bridges Association. Women’s participation in municipal councils in Irbid (Jordan). Euro-Mediterranean Women’s Foundation / IEMed. April, 2017.
Committee for the Follow-Up on Women’s Issues (CFUWI). Women's Political Participation in Lebanon: Perspectives from Mount-Lebanon. Euro-Mediterranean Women’s Foundation. April, 2017.
The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy. Promoting Participation of Women and Youth in the Palestinian Political System. November 2017.
Euro-Mediterranean Women’s Foundation. Women in the Mediterranean. First monitoring report of the Euro-Mediterranean Women's Foundation of the Ministerial Conferences. First edition, May 2015. Spain.
Femmes en Communication. Violence against women in Algeria - Focus on Oran. Euro-Mediterranean Women’s Foundation. April, 2017.
Fédération des ligues des droits des femmes de Marrakech-Safi. Gender-based violence in Marrakech - Safi (Morocco). The Euro-Mediterranean Women’s Foundation. April, 2017.
Movement for sharing power, wealth and values – Tamaynut. Women’s Access to Positions of Responsability in the Region of Sons-Massa. February, 2018.
National Association for the Defense of Rights and Freedoms. For Effective Women’s Political Participation at Local Level in Luxor. December 2017.
Voix de la femme à Jemmel. Women's Political Participation in Monastir and Sousse (Tunisia)., Euro-Mediterranean Women’s Foundation. April, 2017.
Women’s Centre for Legal Aid and Counselling. Palestinian women and the political process: an insight into the West Bank. Euro-Mediterranean Women’s Foundation. April, 2017.
Autres sources
ACNUR. Tendencias globales. Desplazamiento forzado en 2016. Espanya, juny, 2017.
Amnistia Internacional. La situación de los derechos humanos en el mundo 2017/2018. Amnesty International Ltd. Londres, 2018.
European Institute for Gender Equality Gender Equality Index 2017. Measuring gender equality in the European Union 2005-2015.
Espinosa, Ángeles. Las musulmanas denuncian acoso sexual en el peregrinaje a La Meca. 13 de febrer de 2018.
González, Sandra. El cambio climático desde una perspectiva de género. CCCB Lab. Article en línia: 12 de desembre de 2017. https://goo.gl/F32Vti
Köksal, Nil. Syrian feminist fight for say in postwar peace talks. CCBNews – World. 2 de desembre 2017.
Observatoire pour la Protection des Défendeurs des Droits de L’Homme. Arabie Saoudite. Condamnées au silence. La situation des femmes défenseures des droits humaines. Janvier 2018.
UFM Co-presidency. Union for the Mediterranean. Ministerial Conference on Strengthening the Role of Women in Society. Cairo, 27 November 2017.
Union for the Mediterranean. 4th UFM Ministerial Conference on Strengthening the Role of Women in Society. Progress Report 2016.
UNICEF. Child Marriage - 25 million prevented in last decade. New York - February, 2018.
World Economic Forum. The Global Gender Gap Report 2016. Switzerland.
World Bank. Compendium of International and National Legal Frameworks on Female Genital Mutilation. February 2018, World Bank.
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