Camus écrivait en son temps l’éloge de la Méditerranée, berceau des civilisations, appelant de ses vœux à la réconciliation des deux rives dans le fol espoir de voir renaître une « patrie méditerranéenne », à la croisée des cultures.
C’est ce vieux rêve méditerranéen que fait revivre Francesco Ferla à travers son travail photographique.
Palerme s’invite aujourd’hui sur les terres beyrouthines, et voilà ses monuments accueillis au sein de la Maison jaune, ouverte aux quatre vents.
La série photographique de Ferla est un hommage au mélange des cultures, dont l’architecture normande de Sicile, ou architecture normando-arabo-byzantine, est un vibrant témoignage.
Datant de l’époque de l’émirat de Sicile jusqu’à celle du royaume de Sicile, palais, églises et cathédrales désormais classés au patrimoine de l’Unesco s’y succèdent dans des clichés qui semblent avoir été arrachés au temps et, finalement, à toute référentialité. Ce brouillage tient à la nature même des monuments présentés, pour la plupart des églises catholiques réalisées selon la facture arabe – telle voûte arbore des écritures en arabe, qui ne sont pas des versets du Coran mais des Évangiles, traduites –, et à la façon dont Ferla les ressaisit à travers l’objectif.
Les structures, isolées de leur contexte urbain, se détachent sur fond de ciels nuageux, qui laissent flotter comme un air de fin des temps. On ne peut s’empêcher de penser à la théorie du nuage développée par Hubert Damisch, qui voyait en ce dernier un élément de la sémiotique picturale, évoluant à travers les siècles : faisant signe tantôt vers le sacré, tantôt vers l’infini, tantôt lié à l’apparition de la perspective.
Chez Ferla, il semble que le nuage tende à réintroduire un sens de l’abstraction : aussi imposant sur l’image que le bâti, son modelé apporte comme un contre-pied à une identification trop formelle qui reconduirait des logiques d’exclusion, faisant jouer telle culture contre telle autre, tel référent contre tel autre. L’usage de la couleur vient redoubler cette tension : des clichés en noir et blanc, dévoilant des architectures aux lignes dures, menaçantes, s’opposent à ceux en couleur, par lesquels l’artiste a voulu signifier « le triomphe de l’intégration ». « Dès qu’il y a de la tolérance, il y a une explosion, un véritable foisonnement des arts, de l’économie et des sociétés », explique-t-il.
Ferla a reçu une formation d’architecte et de designer, et l’on sent cette influence dans sa pratique. Les lignes de force des monuments sont saillantes, et donnent à ces derniers une sorte d’élan presque charnel :
« Je cherche à photographier les statues comme les hommes et les hommes comme les statues », explique-t-il.
Le dispositif d’exposition participe lui aussi d’un jeu de correspondances entre les civilisations : si quelques photographies demeurent sur les cimaises, le reste recouvre le sol du musée, comme un clin d’œil aux tapis des mosquées. Le symbole résonne avec d’autant plus de force que l’exposition prend place à Beit Beirut, surplombant l’ancienne ligne verte. Perché au troisième étage, déambulant entre les monuments d’une Sicile bigarrée, le visiteur aperçoit depuis les trouées de la Maison jaune l’horizon de Beyrouth, elle aussi carrefour des cultures.
Beit Beirut, Independence
Street, Sodeco.
« Mediterranean Encounters. A Fascinating Architectural Legacy: Arab-Norman Palermo », jusqu’au 4 juin 2018.
Le photographe italien Francesco Ferla rend hommage au syncrétisme culturel entre Orient et Occident à travers des clichés de l’architecture sicilienne.
Par Léa POLVERINI - Source de l'article l'Orient le Jour
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