"Le Président Sarkozy, lors de sa campagne électorale, a beaucoup milité pour la création de l’Union Méditerranéenne. Il part d’un constat d’échec du processus de Barcelone entamé en 1995, pour différentes raisons. D’après lui, la priorité de l’Union européenne était plus orientée vers l’Est que vers le Sud. Le processus de Barcelone a plus privilégié le commerce que la coopération. Il n’a pas réussi à briser la frontière invisible, qui depuis si longtemps, coupe en deux la Méditerranée. Aussi propose t-il une nouvelle vision qui consisterait à créer une Union entre les pays méditerranéens du Nord (France, Portugal, Espagne, Italie, Grèce et Chypre) et les pays sud-méditerranéens.
Il inclut dans ces derniers la Turquie, qui d’après lui, n’a pas vocation à devenir membre de l’Union européenne. Au contraire, la Turquie, vu son poids démographique et économique, pourrait jouer un rôle moteur dans la future Union Méditerranéenne".
Une présence française
"Cette Union Méditerranéenne serait dotée d’institutions communes, d’un Conseil de la Méditerranée, et de Sommets périodiques des Chefs d’Etats et de Gouvernement. L’Union Méditerranéenne établirait un système de sécurité collective, où la France jouerait un rôle primordial par des moyens accrus, aériens et maritimes.
Cette sécurité collective consisterait à lutter ensemble contre la corruption, la crime organisé, la drogue, et le terrorisme, adossé à un espace judiciaire commun. L’Union Méditerranéenne tenterait d’établir un lien de confiance entre les pays du Nord et ceux du Sud, par la compréhension, le respect de la diversité des cultures et des mentalités, et par la prise en considération des problèmes concrets des pays du Sud".
Ambition socio-économique
"C’est sur le plan économique et social que la vision du Président Sarkozy est la plus ambitieuse. Il a insisté dans tous ses discours sur le co-développement, qui devrait être un développement solidaire, ayant pour objectif l’intérêt méditerranéen commun.
Sur le volet pratique, il préconise le partage de la technologie, de la connaissance, et des compétences entre les pays, devant aboutir à des pôles de compétitivité et des laboratoires communs.
Il propose la création d’une Banque Méditerranéenne d’Investissements sur le modèle de la BEI, et l’instauration d’une zone de libre échange négociée et régulée. Enfin, il appelle de ses vœux une coopération entre les entreprises du Nord et du Sud de la Méditerranée, devant couvrir tous les secteurs économiques, sans oublier l’énergie, l’eau et l’écologie.
Sur le plan social, le Président Sarkozy prévoit une coopération très étroite entre le Nord et le Sud dans le domaine de l’Education, par l’instauration d’Universités communes, et la création d’une Université interculturelle méditerranéenne.
De même, il insiste sur la coopération dans le domaine la santé et le partage des médicaments".
Vision novatrice et généreuse
"La vision du Président Sarkozy est novatrice et généreuse. Novatrice parce qu’elle n’inclut dans l’Union Méditerranéenne que les pays européens du Sud. Et c’est vrai que les pays du Nord et de l’Est de l’Europe sont peu intéressés par le Sud de la Méditerranée.
Elle propose une position de choix dans l’Union Méditerranéenne à la Turquie, dans le cas où ce dernier pays ne serait pas admis à l’Union européenne. Elle préconise une nouveauté, à savoir l’instauration d’institutions communes : Conseil de la Méditerranée et Sommets périodiques.
La vision est également généreuse dans tout ce qui est prévu dans le co-développement, notamment l’institution d’une Banque Méditerranéenne d’Investissements, et une coopération tout azimut dans tous les domaines économiques et sociaux.Cependant, cette vision bute sur plusieurs obstacles.
Le premier est celui de l’Union européenne elle-même, qui a mis en place le processus de Barcelone et la Politique européenne de voisinage qui couvre les pays sud-méditerranéens".
Résoudre le conflit israélo-arabe
"Est-ce que l’Union européenne va remplacer la Politique européenne de voisinage par l’Union Méditerranéenne pour les pays sud-méditerranéens, ou va-elle instaurer l’Union Méditerranéenne en parallèle ? Quelle va être la position des pays du Nord et de l’Est de l’Union européenne vis-à-vis de cette nouvelle initiative ?
La Turquie a fait savoir qu’elle n’est pas prête à accepter son adhésion à l’Union Méditerranéenne, en lieu et place à son adhésion à l’Union européenne. Comment envisager des institutions communes de l’Union Méditerranéenne, alors que la plupart des pays arabes sud-méditerranéens ne reconnaissent pas Israël ?
Autant de questions qui ont fait dire aux détracteurs du Président Sarkozy, que l’Union Méditerranéenne n’est qu’un slogan électoral et un projet politicien. Nous allons suivre l’évolution de ce dossier dans les mois à venir.
Une chose est cependant certaine : rien de solide ne pourra être construit en Méditerranée, tant que le conflit israélo-arabe n’aura pas trouvé de solution".
Jawad Kerdoudi. Consultant économiste et Président de l’IMRI
Extrait du "lepetitjournal"- Casablanca
Renforcer l’intégration économique entre les pays d’Afrique du Nord est un préalable à l’Union méditerranéenne. L’Union méditerranéenne devrait être une nouvelle fois au cœur du déplacement de Nicolas Sarkozy en Algérie début décembre, tandis que la diplomatie française s’active pour préciser le contenu de ce projet. Dans un entretien accordé à EurActiv France, Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI, explique qu’un approfondissement de l’intégration économique du Maghreb est, selon lui, un préalable nécessaire à toute forme d’Union méditerranéenne. Si le projet d’Union méditerranéenne de Nicolas Sarkozy « part d’une bonne intuition », il faut néanmoins « revoir la technique et la méthode de discussion avec nos partenaires », estime Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI et membre du Cercle des économistes.
Malgré l’échec du processus de Barcelone et la nécessité d’une relance politique de la relation euro-méditerranéenne, les partenaires de la France n’ont en effet pas accueilli avec un grand enthousiasme un projet lancé en fanfare, avant que le contenu en ait été précisément défini et sans consulter quiconque préalablement.
L’IFRI organise le 22 novembre un petit-déjeuner débat intitulé « Quel socle économique pour l’Union méditerranéenne ? » autour d’un ouvrage, 5+5= 32, Feuille de route pour l’Union méditerranéenne, rédigé par le Cercle des économistes.
Cet ouvrage propose une approche différente de celle de l’Union de la Méditerranée dans son ensemble. Jacques Mistral explique qu’il s’agit de « nourrir sur le plan économique » et de « trouver une forme politique appropriée » à une relation entre les cinq pays du Nord (Portugal, Espagne, France, Italie et Malte) et les cinq pays du Sud (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Lybie) de la Méditerranée qui ont les relations les plus étroites entre eux.
Analysant les exemples historiques de coopération régionale à travers le monde, le directeur des études économiques de l’IFRI considère que l’exemple asiatique est plus intéressant que l’exemple nord-américain. Le modèle de la zone de libre-échange du type de l’ALENA entre le Mexique, les Etats-Unis et l’Europe n’est pas, selon lui, « de nature à débloquer la relation méditerranéenne ».
En revanche, l’intégration économique croissante en Asie de l’est autour de la Chine est riche d’enseignements. Jacques Mistral précise toutefois que la comparaison entre la Méditerranée et l’Asie de l’est souffre du fait qu’il y a « trop peu de firmes qui font le pari que l’économie du Maghreb pourrait être une plateforme d’exportation comme la Chine en Asie de l’est ».
Le préalable nécessaire à la réussite d’une coopération entre les deux rives de la Méditerranée est « une sorte d’intégration maghrébine, de marché commun » entre les pays d’Afrique du Nord, qui pourraient alors « avoir une chance de devenir, dans leur ensemble, comme l’ont été les pays d’Europe centrale, des partenaires beaucoup plus actifs de l’UE ».
Il ajoute que l’investissement commun dans des infrastructures physiques et institutionnelles fera « décoller » l’économie des pays du Maghreb et transformera leurs relations avec l’Europe. Ainsi, aux côtés de l’énergie, de l’agriculture, ou de la finance, le développement des infrastructures est un exemple de coopération concrète envisageable entre les pays nord-africains et entre le sud et le nord de la Méditerranée.
Si les bénéfices d’une Union méditerranéenne en termes de développement pour les Etats d’Afrique du Nord sont clairs, Jacques Mistral rappelle aussi qu’une telle coopération renforcée autour de la Méditerranée est également dans l’intérêt des Européens. Selon lui, l’Europe risque de perdre son influence si elle venait à laisser sa place de choix en Afrique du Nord aux Chinois, déjà présents économiquement de manière croissante, et aux Américains, qui y ont un intérêt direct dans le cadre de leur politique étrangère du Greater Middle East.