Le projet français d’Union méditerranéenne fait face à un vent de scepticisme

La France a détaillé son projet d’Union méditerranéenne devant l’ensemble des pays membres du partenariat euro-méditerranéen, lors d’une conférence à Lisbonne. L’accueil a été peu enthousiaste. Le flou des propositions, les problèmes d’articulation avec les programmes de coopération existants ainsi que le manque de consultation ont été notamment dénoncés.
Le contexte:
Une réunion des ministres des affaires étrangères des 37 Etats participants au partenariat euro-méditerranéen s’est déroulée le mardi 6 novembre à Lisbonne, quelques jours seulement après qu’a eu lieu, la 1 er novembre, à Sharm El Sheikh (Egypte), la première conférence UE - Afrique - Moyen-Orient sur l’énergie.

Le projet français d’Union méditerranéenne a été lancé par Nicolas Sarkozy dès sa campagne présidentielle. Le président de la République en a ensuite présenté les grandes lignes, à l’occasion d’une visite au Maroc, le 23 octobre.
A Lisbonne, Alain Le Roy, ambassadeur chargé de la mise en œuvre du projet, a détaillé pour la première fois le contenu de cette initiative française devant l'ensemble des pays concernés.
Les enjeux:
L’Union méditerranéenne prendrait la forme d’un forum d'échange annuel ou bi-annuel entre les pays riverains de la Méditerranée, mais aucune institution nouvelle ne serait créée, a expliqué Alain Leroy.

Il s’agirait d’une « union de projets » fondée sur des programmes concrets, comme une agence de l'eau chargée de lutter contre la pollution de la Méditerranée, ou une agence de développement des petites et moyennes entreprises. Chaque initiative serait seulement soutenue par les pays qui le désirent.

La Commission européenne avait indiqué auparavant que si elle accueillait favorablement, sur le principe, l’initiative française, elle s’inquiétait de son articulation avec les projets européens existants en matière de coopération euro-méditerranéenne.

A Lisbonne, la commissaire européenne aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, a rappelé un certain nombre d’aboutissements atteints dans le cadre du Partenariat euro-méditerranéen ou du Processus de Barcelone, entamé en 1995, avec neuf Etats du sud et de l'est de la Méditerranée et l’Autorité palestinienne. Elle a également évoqué les avancées de la politique européenne de voisinage, lancée en 2004 à l'adresse des pays du sud et de l'est de l'Union.

Ces accomplissements témoignent, selon elle, d’un « partenariat solide et durable » même si elle reconnaît que « le Partenariat euro-méditerranéen n’a pas encore réalisé tout son potentiel ».

La commissaire a déclaré que des idées telles que celles du président Sarkozy « peuvent donner une impulsion politique », mais doivent « se développer à partir de l’expérience et des structures établies par les politiques régionales existantes » avec une entière association de la Commission et de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne.

Afin d'apaiser ces inquiétudes, un statut d’« observateur » serait envisagé par la France pour les pays non riverains de la Méditerranée tandis que l'Union européenne, représentée par la Commission, ainsi que par la Ligue arabe, serait membre de droit de l'Union méditerranéenne.

A Sharm El Sheikh, Ferrero-Waldner et le commissaire à l’Energie Andris Piebalgs avaient qualifié de « priorité » l’approfondissement des relations énergétiques entre l’UE et les pays de la région méditerranéenne. Cependant, pas un mot n’avait été prononcé sur le projet d'Union méditerranéenne défendu par Nicolas Sarkozy. Celui-ci place pourtant l’énergie au cœur des coopérations concrètes autour desquelles cette Union devrait se construire.

Les positions :
Plusieurs représentants arabes ont regretté le flou de la proposition française. Le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, a ainsi déclaré : « C’est une bonne idée. Mais qu’y a-t-il dedans ? ». De même le ministre égyptien des affaires étrangères, Ahmed Abou Al-Gheit, a qualifié le projet de « vue de l’esprit » et regretté qu’il ait été lancé « sans consulter personne ».

Au contraire, le président tunisien Ben Ali a de son côté réitéré, le 25 octobre, le soutien de la Tunisie à la création d'une Union Méditerranéenne tout en proposant de contribuer à en définir les contours et les objectifs. S’adressant à Nicolas Sarkozy lors de sa visite, le roi du Maroc, Mohammed VI, a qualifié de « projet visionnaire et audacieux » l’idée d’Union de la Méditerranée.

En Europe, les Etats non riverains de la Méditerranée semblent réticents. L'Allemagne s'est abstenue de faire le moindre commentaire. Quant au ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, il a indiqué que le « gros problème » de l’initiative française était son financement.

Les Etats méditerranéens de l’Union européenne soutiennent quant à eux plutôt l’initiative, mais souhaiteraient être davantage associés à son élaboration. Hôte de la rencontre interministérielle de l’Euromed, le ministre portugais des Affaires étrangères, Luis Amado, a souligné que « M. Sarkozy a eu le mérite de souligner la nécessité d’approfondir notre partenariat avec les pays du sud de la Méditerranée ».
Dans un entretien au Quotidien d'Oran publié le lundi 5 novembre, le ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Angel Moratinos, affirme que l'Espagne est prête à soutenir le projet d'Union méditerranéenne du président français. Enfin, selon des propos rapportés par l’Elysée, le président grec Karolos Papoulias aurait considéré le projet d’Union méditerranéenne comme « une très bonne idée », lors d’une rencontre avec Nicolas Sarkozy le 17 octobre dernier.

L'Union méditerranéenne se précise mais reste critiquée -
L’Union méditerranéenne s’oriente vers une structure allégée, d’après les précisions apportées par la diplomatie française. Elle sera uniquement basée sur un nombre limité de coopérations économiques concrètes dans des domaines bien ciblés et fonctionnera sur l’adhésion volontaire, projet par projet, des pays intéressés

Nicolas Sarkozy avait lancé pendant sa campagne présidentielle l’idée de créer une Union méditerranéenne. Le président de la République, ainsi que la diplomatie française, se consacrent aujourd'hui activement à préciser la teneur de ce projet. Depuis juillet, le chef de l’Etat s’est ainsi rendu en Tunisie, en Algérie, au Maroc et en Libye et le président égyptien, Hosni Moubarak, a été reçu à l’Elysée le 1er août.

L’ambassadeur chargé par Nicolas Sarkozy de la mise en œuvre de l’Union méditerranéenne, Alain Le Roy, ainsi que le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, mènent actuellement une diplomatie active pour tenter de surmonter le scepticisme, relativement généralisé, de partenaires de la France, au sud comme au nord de la Méditerranée. Ils s'attachent notamment à préciser le contenu du projet français.

Les enjeux :
La forme institutionnelle que prendra l’Union méditerranéenne est encore floue. à l’occasion d’une conférence à l’IFRI, le 22 novembre, Alain Le Roy à estimé que cette situation était à la fois "logique et légitime", le projet étant encore au au stade de la discussion entre tous les partenaires intéressés, les gouvernements comme la société civile.
Dans un débat avec ses homologues espagnol et allemand, le 26 novembre, Jean-Pierre Jouyet a ainsi indiqué que la France était actuellement "dans une position d'écoute pour recueillir les propositions".
Tirant les leçons de l’échec au moins relatif du processus de Barcelone, l’ambition de l’Union méditerranéenne sera cependant limitée à institutionnaliser des projets économiques, par le biais, par exemple, d’une agence méditerranéenne de l’eau, voire d’une banque méditerranéenne d’investissement. Il ne s'agit donc pas de constuire un projet politique.

La réunion des dirigeants des Etats riverains de la Méditerranée qui aura lieu en France à l’invitation de Nicolas Sarkozy, en juin 2008, devrait ainsi être consacrée à la "sélection d’un nombre limité de ces projets", a expliqué Alain Le Roy. D’ici là, la diplomatie française travaillera avec ses homologues méditerranéens ainsi qu’avec la société civile pour "proposer, élaborer et évaluer" des propositions de coopération, a-t-il ajouté.

Le Cercle des économistes, une structure regroupant des universitaires, a identifié cinq domaines d’action potentiels pour la future Inion méditérranéenne : l’agriculture et la pêche, l’industrie (et particulièrement l’énergie, le textile et les technologies de l’information et de la communication), l’immigration choisie, l’investissement (notamment le financement des PME) et la protection civile (incendies).

Quid des membres de cette Union? Elle s'adresse "à l’ensemble des Etats volontaires riverains de la Méditerranée mais sera à géométrie variable", a expliqué Alain Le Roy à l'IFRI. "Si certains projets pourront ne regrouper qu’un petit nombre de pays, d’autres devront nécessairement concerner tout le monde", ajoute-t-il. Des problèmes tels que la pollution maritime, par exemple, ne peuvent, en effet, être traités efficacement que par une coopération généralisée à l’ensemble du pourtour méditerranéen.

Les positions :
Même si Jean-Pierre Jouyet a affirmé plusieurs fois que l'Union méditerranéenne respecterait les coopérations euro-méditerranéennes existantes, les partenaires européens de la France restent très sceptiques.Les Etats du sud de l'UE apprécient la nouvelle impulsion que l'initiative française compte donner aux relations autour de la Méditerrannée mais ils ne voient pas la nécessité d'ajouter une nouvelle institution.

Le ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Angel Moratinos, a ainsi eu l'occasion de saluer ce qu'il voyait comme un "Barcelone +" mais l'Espagne reste convaincu qu'un tel approfondissement doit se faire dans les cadres communautaires existant, à savoir le processus de Barcelone et la politique de voisinage.La commissaire européenne aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, a elle-aussi estimé que le projet était « intéressant » mais à la double condition ferme qu’il "se développe à partir des structures existantes" et qu’il "associe pleinement la Commission et l’ensemble des Etats membres de l’UE".
Ainsi, le statut de simples "observateurs" ou "associés" que le projet français prévoit pour les pays de l'UE non-riverains de la Méditerrannée est très critiqué. L’Allemagne, à l’instar d’autre pays du Nord de l’Europe, est donc très hostile au projet. Elle dénonce son exclusion et le risque d’une fragmentation de la politique extérieure de l'UE, contraire à l’essence du projet européen.

Le ministre allemand délégué aux affaires européennes, Günter Gloser, a ainsi déclaré dans un interview à La Croix que "beaucoup d'Etats européens ont une politique méditerranéenne et tous veulent contribuer à celles de l'UE" et que, par conséquent, les "projets nouveaux en direction de la Méditerranée doivent se faire sous le toit de l'UE, pas à côté".

De l’autre côté de la Méditerranée, le roi du Maroc, Mohammed VI, le président tunisien, Ben Ali, le ministre des Affaires étrangères algérien, Mourad Medelci, et le président égyptien, Hosni Moubarak, ont tous exprimé leur soutien de principe aux propositions françaises. Un certain nombre de délégués arabes ont cependant dénoncé le flou des propositions françaises à la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Euromed.
La Libye, dont le leader, Mouammar Kadhafi, effectuera une visite historique à Paris au début du mois décembre, serait elle aussi favorable au projet mais une expression publique de ce soutien est encore attendue.
La question de la Turquie est bien plus épineuse. Ankara estime que ce projet est une façon détournée pour Nicolas Sarkozy de lui barrer les portes de l’adhésion à l’Union européenne. Alain Le Roy, qui se rendra prochainement à Ankara, pense cependant que "le climat d’hostilité turque à l’Union méditerranéenne est en train de s’apaiser".

Aucun commentaire: