Les enjeux des technopôles au Maghreb

Dans l’objectif de soutenir et de réamorcer une dynamique de croissance ainsi que de répondre au chômage très élevé auquel fait face la plupart des états du Maghreb, ces derniers ont entrepris, au début des années 2000, un renforcement des infrastructures de leurs métropoles visant à améliorer leur insertion dans l’économie mondiale des flux de connaissance.

Ces programmes fédérateurs se situent à la jonction de plusieurs problématiques, telles que la promotion des hautes technologies et de l’innovation, l’aménagement du territoire, le développement durable et l’attractivité vis-à-vis des investisseurs internationaux.

C’est dans ce cadre qu’ont émergé les premiers projets de technopôles qui, en associant étroitement entreprises, universités et centres de recherche, font partie intégrante de la stratégie de développement local et sont au cœur de la mise en œuvre d’une « économie de la connaissance » dans la région.

Les technopôles ou « Parcs technologiques et scientifiques » (PTS) présentent trois caractéristiques majeures :
- l’entretien de liens entre les universités et les centres de recherche,
- l’encouragement au développement d’industries à fort contenu technologique ou de services à
forte valeur ajoutée
- et la promotion du transfert de technologies vers les acteurs locaux.

Des programmes de ce type se sont rapidement développés dans le monde, tant dans les pays avancés que dans ceux en voie de développement. Les exemples les plus connus étant la Silicon Valley aux Etats-Unis, Sofia Antipolis en France ou le cluster de télécommunication de Rio de Janeiro au Brésil.

Au Maghreb, la démarche technopolitaine a connu un important succès depuis le début des années 2000 sous l’impulsion des pouvoirs publics et tend également à se développer au Machrek.

On peut ainsi citer les exemples du projet émergent de Sidi Abdallah en Algérie, du technopark de Casablanca au Maroc, de ceux d’Alexandrie et du Caire en Egypte.
Certains pôles, comme celui d’El Ghazala en Tunisie, ont d’ores et déjà atteint une taille importante.
L’expérience en matière de technopôles étant aujourd’hui suffisamment avancée pour permettre une analyse précise des conditions de leur réussite.

Se pose donc la question de la pertinence de ces démarches, de leur réel rôle de structuration en matière de développement économique local, de leur insertion dans le développement urbain et de leur capacité d’attraction des investisseurs étrangers.
En effet, le risque inhérent à l’effet de mode entourant le concept des PTS est que ces derniers apparaissent davantage comme des outils de communications que comme des projets véritablement structurants.

Leur réussite doit se mesurer au regard de deux facteurs-clés, identifiés dans un pré-rapport1 portant sur l’étude des différentes expériences de technopôles dans la zone MENA, que sont la force des liens entre le territoire de la métropole et celui du technopôle et la création de véritables synergies entre les différents acteurs d’un PTS.
L’intégration de ce dernier dans la structure urbaine se révèle en effet primordiale pour l’attractivité et la compétitivité d’un territoire, son éloignement pouvant a contrario engendrer un certain isolement de la zone d’activité.

Le second écueil à éviter concernant les technopôles réside dans la confusion entre proximité géographique et mise en place de réelles synergies.

Les enseignements retirés de l’observation du modèle de « technopôle réel » français ou japonais montrent qu’au delà des infrastructures nécessaires à l’installation des entreprises, des centres de recherche ou des universités, le technopôle doit prévoir la mise en place de superstructures accompagnant ces institutions dans leur installation (pépinières, incubateurs…), favorisant l’échange d’informations (déjeuners de travail, sessions de formation) et la visibilité du technopôle.
A l’aune de ces problématiques, l’agence de la Banque mondiale installée à Marseille depuis 2004, KNA-MENA (Knowledge Network Agency for the Middle-East and North Africa), qui a pour objectif la mise en réseau de la connaissance dans la région de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient, a inclus dans ses programmes d’actions celui des démarches technopolitaines dans le Maghreb afin de sensibiliser et de responsabiliser les décideurs locaux des villes de la région, ainsi que les responsables ministériels, aux problématiques des technopôles.

Dans le cadre de ce programme, elle conduit actuellement plusieurs études de cas sur les technopôles existants ou émergeants au Maghreb en vue de préparer un séminaire d’échange des bonnes pratiques en la matière.

Pour encourager le développement de telles initiatives et dans le cadre du réseau urbain Europe-MENA, la Banque mondiale et la ville de Marseille organiseront conjointement un séminaire d’échange d’expériences sur les technopôles qui accueillera quinze grandes villes du Maghreb ayant mis en place une démarche en ce sens ou souhaitant en développer une.

La réflexion autour de ce sujet regroupera les décideurs locaux mais également les services des ministères concernés ainsi que des représentants du secteur privé. Prévu pour le premier semestre 2007 en Tunisie, ce séminaire sera l’occasion de faire le point, dans quatre ateliers de travail, sur les problèmes de gouvernance, le rôle du secteur privé, l’articulation entre la structure urbaine et les technopôles ainsi que sur le lien entre ces derniers et la diffusion des nouvelles technologies.


Le pôle technologique et scientifique (PTS) d’El Ghazala a été créé en1999, à l’initiative du ministère des Technologies de la Communication, sur un site de 60 ha près de Tunis. Grâce à
un important effort de marketing politique, une trentaine d’entreprises se sont ensuite installées sur le site, parmi lesquelles 6 filiales de firmes multinationales (Alcatel, Ericsson, Huawei, Stonesoft, Archimed et une filiale de ST Micoelectronics).

Ce succès a enclenché une dynamique positive : le gouvernement tunisien a depuis inscrit dans son dixième plan de développement la création de 6 nouveaux PTS, dans des domaines aussi variés que l’environnement, les biotechnologies, l’industrie pharmaceutique, l’électronique, le textile et l’agroalimentaire.

Néanmoins, en dépit de cette réussite, une étude menée par l’Institut de Recherche du Maghreb Contemporain a mis en évidence plusieurs freins à la «dynamique technopolitaine» souhaitée par les pouvoirs publics à El Ghazala dont :
• une collaboration insuffisante entre les firmes du site
• une articulation imparfaite entre les entreprises et les centres de recherche. Orienté vers les
TIC, le centre de recherche public n’est en effet pas en symbiose avec les unités de recherche
publiques qui sont quant à elles centrées sur la recherche fondamentale.
• une surexposition promotionnelle du site, qui a conduit plusieurs entreprises à se relocaliser en
dehors, nuisant ainsi aux efforts de synergie.

La politique d’innovation volontariste menée à ElGhazala a donc permis de constituer un potentiel d’innovation technologique (notamment par la bonne formation et la bonne insertion des diplômés)mais n’a pas encore déclenché de dynamique autoentretenue de coopération entre les différents acteurs.

Par Guy Fleuret, Spécialiste principal en Urbanisme et Stéphane Tabarie
La lettre d’information trimestrielle du Groupe de la Banque mondiale au Maghreb - janvier 2007 - N° 4

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