L’Afrique est, selon Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la BEI, un continent plein d’avenir où les entreprises marocaines sont aujourd’hui bien placées pour pouvoir y accéder. En visite au Maroc, le vice-président de la BEI commente ce qu’il appelle «la nouvelle ambition marocaine», et les différents chantiers dans lesquels la Banque est prête à accompagner le Royaume.
- L’Economiste: Vous avez accordé au Maroc un prêt de 1,7 milliard de DH pour la modernisation des routes. Pourquoi ?
- Philippe de Fontaine Vive: Il n’y a pas d’activité économique efficace sans un bon système de transport. Pour cela, nous avons voulu être présents, avec notre expertise dans le secteur du transport dans ses différentes composantes, comme le port de Tanger
Med, les aéroports, la modernisation des lignes ferroviaires et la réalisation des nouvelles autoroutes. Parallèlement à ces infrastructures, le système classique des routes se dégradait. Et donc, il était urgent de le moderniser.
- La BEI s’est engagée dans le financement du plan solaire, particulièrement dans Ouarzazate 1. Qu’allez-vous faire pour Ouarzazate 2? Si oui, avec quel montant ?
- C’est amusant que vous me posez cette question. C’est exactement celle que j’ai posée au ministre des Finances lorsque je l’ai rencontré en lui disant que nous avons été le coordinateur financier européen pour Ouarzazate1. Nous voulons jouer le même rôle pour Ouarzazate 2. C’est lui qui doit décider de l’enveloppe et du montage financier qui lui convient. Les études ne sont pas encore finalisées. Donc, la question est du côté marocain. Pour la BEI, le développement du solaire marocain est une super priorité. Au Maroc, vous avez un coup d’avance sur la plupart des pays méditerranéens, en testant les différentes technologies.
- Avez-vous réactualisé le positionnement du Maroc sur vos tablettes ?
- Il y a une réactualisation permanente parce que nous devons coller aux priorités du développement économique et social du pays. A côté du transport et de l’énergie, nous voulons être plus présent sur le soutien aux PME et à l’innovation. C’est un sujet qui m’est cher et je souhaite que l’on puisse ainsi participer à la création d’emplois au Maroc. J’en ai parlé avec le gouverneur de la Banque centrale du Maroc, qui est également sensible et accueillerait positivement le fait que la BEI puisse participer au financement des PME via le système bancaire au Maroc. C’est un dialogue qui doit être permanent.
J’espère que le ministre des Finances viendra le dire à tous les ministres européens des Finances qui seront réunis à Athènes le 1er avril prochain lors de la session consacrée à la Méditerranée. Mohamed Boussaid y mettra en avant cette modernisation et ce besoin d’accompagnement sur plusieurs années par la BEI.
- La loi organique des Finances, en cours d’adoption, introduit la programmation pluriannuelle. Etes-vous prêts à accompagner le Maroc ?
- C’est un débat qui aura lieu le 1er avril entre les ministres des Finances. Passer à une programmation pluriannuelle serait une expérimentation, un changement de méthode de dialogue même si cette programmation est indicative.
Il est souhaitable que ce soit une discussion entre les ministres des Finances européens et méditerranéens pour savoir si, à la demande du Maroc, nous pourrions faire, dans le cas spécifique, une expérimentation. Si les ministres sont d’accord avec cette orientation, nous la mettrons en œuvre.
Il s’agit d’une réunion essentielle parce qu’une fois par an, les ministres des Finances européens invitent leurs collègues de la Méditerranée à les rejoindre pour une séance de travail et un dîner informel. Cela leur permet de mieux se comprendre et de fixer ensemble les orientations pour l’année à venir. Les PME sont-elles une première priorité, les financements innovants, envisager une programmation pluriannuelle?.
. C’est typiquement le genre de discussion qui relève du niveau des ministres.
- Lors de la signature du prêt, vous étiez satisfait que cette opération se concrétise en mars.
- Comme nous avons réussi à finaliser une première opération dès le mois de mars, je voudrais que nous ayons plusieurs fois l’occasion en 2014 de revenir au Maroc.
- Pour quels projets ?
- Des besoins existent dans l’énergie et l’assainissement avec l’ONEE. Nous avons des discussions avec l’OCP. Nous savons qu’un gros effort est réalisé dans le secteur de l’éducation avec un grand programme. Si cela s’avère nécessaire, nous pourrions revenir. Peut-être dans le logement social où nous sommes déjà intervenus une première fois. Et aussi le développement urbain.
Comme vous voyez, notre offre de service est très large et c’est aux autorités marocaines de nous signaler la priorité qui leur convient le mieux.
- Les tensions en Ukraine vont-elles impacter le Maroc, avec d’éventuelles réallocations de ressources financières ?
- Selon la façon dont la programmation européenne est organisée, les allocations sont indicatives par région, avec une flexibilité de l’ordre de 20%. Les ministres des Finances ont une clause de rendez-vous en 2017 pour éventuellement réallouer les fonds d’une région vers une autre.
- Les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale ont donné leurs avis sur les réformes au Maroc. Que est le vôtre ?
- Il faut que chacun fasse au mieux son métier. Les organismes qui apportent des aides au budget ont légitimement une opinion sur la gestion de l’ensemble par le gouvernement. Vous aurez pu y ajouter la Commission européenne qui apporte également son aide macro-économique. Le rôle de la BEI est différent. Nous finançons des projets et non pas le budget du royaume du Maroc. Donc nous portons notre jugement sur les projets, la façon de les mener… Nous sommes plus orientés par les projets, par l’économie réelle que par la politique économique dans son ensemble.
- Alors comment voyez-vous l’exécution des projets que vous financez ?
- Le Maroc a une force qui est de disposer d’offices ayant une forte capacité technique d’instruction et de développement des projets. Il est important de garder cet avantage comparatif. Il ne faudrait pas que les cadres supérieurs de ces organismes partent dans le secteur privé ou à l’étranger. On perdrait un énorme savoir-faire nécessaire pour accompagner la politique d’aménagement du territoire, voulue par le Roi, et dont Tanger a montré la pertinence. Cela a été un énorme succès. Le développement de Casablanca est un autre exemple de mobilisation. Nous avons besoin de cette contre-expertise technique pour bien travailler au Maroc.
- L’OCP, l’un de vos partenaires, s’est engagé dans une coopération active en Afrique. Allez-vous l’accompagner dans cette opération ?
- L’ouverture sur l’économie africaine est un excellent choix. Parce que c’est un continent plein d’avenir, qui va faire un rattrapage démographique et économique. Et les entreprises marocaines sont bien placées pour pouvoir y accéder, notamment parce que le réseau bancaire marocain est l’un des plus présents en Afrique subsaharienne. La BEI se trouve avoir la chance d’être non seulement le partenaire financier de l’Europe avec les pays méditerranéens mais aussi le gestionnaire d’une enveloppe financière d’investissement en Afrique subsaharienne, appelée la Facilité de Cotonou. Et compte tenu de ce que j’ai entendu du gouverneur de la Banque centrale, du ministre des Finances et de celui de l’Equipement, sur cette nouvelle ambition marocaine, dès mon retour à Luxembourg la semaine prochaine, nous allons regarder de plus près ce chantier. D’abord, si effectivement on pourrait accompagner l’OCP mais aussi les banques marocaines et les fonds d’investissement en Afrique qui pourraient par exemple se localiser à Casablanca. Je pense que c’est un travail à mener en commun.
Soutien aux PME
«Un instrument fonctionne bien est le fait d’être capable de participer à des fonds d’investissements qui apportent des petites participations dans les PME. Plusieurs fonds d’investissements existent et dans lesquels nous sommes présents, et c’est l’une des discussions qui doit avoir lieu du côté européen sur le renouvellement de ce programme de prise de participation dans des fonds d’investissement», a souligné Philippe de Fonataine Vive, vice-président de la BEI.
«Ce qui est particulièrement opportun au moment où le Maroc souhaite développer Casablanca comme place financière. Et donc, être capable d’accueillir des fonds d’investissement à Casablanca me semble une priorité que la BEI est prête à soutenir. Nous avons aussi des fonds spécifiques à destinations des associations de microcrédits. Nous avons une belle expérience avec ces associations. Je suis cela avec grand intérêt et au fur et à mesure des besoins de financement, on sera prêt à revenir à ce créneau», a-t-il indiqué. Sur les entreprises de taille intermédiaire, des champions nationaux qui se développent, la BEI fait face à la difficulté de ne pas apporter des financements en dirhams.
«Depuis plusieurs années, je demande aux autorités marocaines de pouvoir émettre des obligations en dirhams pour re-prêter cet argent aux entreprises marocaines. C’est un problème de fiscalité, difficile à résoudre à l’heure actuelle. Et enfin, se met en place un fonds de soutien aux PME, sous l’égide de la Caisse centrale de garantie. Nous allons regarder si la BEI pourrait participer», a-t-il ajouté.