La rencontre, qui se déroule à Marseille dimanche et lundi, ne sera pas la grande relance politique du dialogue des pays de la Méditerranée, voulue par Emmanuel Macron.
La Méditerranée est une mer dangereuse. Politiquement aussi. Pas sûr qu’Emmanuel Macron, qui veut « renouer le fil d’une politique méditerranéenne », y parvienne avec son Sommet des deux rives qui s’ouvre ce dimanche 23 juin dans la soirée à Marseille pour se refermer dès lundi midi. Initialement prévue pour permettre un dialogue des chefs d’Etat, cette réunion se fera entre ministres.
Le président français avait pourtant bien monté son plan. Il allait porter le coup de grâce à l’Union pour la Méditerranée (UpM) de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, qui vivote depuis 2008, en lançant une initiative politique resserrée à la Méditerranée occidentale. Pendant un an, des initiatives allaient s’élaborer et il allait réunir triomphalement les chefs d’Etat des dix pays concernés. Son choix d’un dialogue de format 5 + 5 (cinq pays de la rive nord : Espagne, France, Italie, Malte et Portugal et autant de la rive sud : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) lui permettrait à coup sûr de réussir ce que M. Sarkozy avait raté à cause du périmètre trop large des 43 pays de l’UpM. L’histoire en a toutefois décidé autrement.
Emmanuel Macron a bien fait l’annonce à Tunis dès février 2018 de ce rendez-vous pour relancer un dialogue au point mort depuis dix ans, et pas manqué de le rappeler dans son discours aux ambassadeurs d’août 2018. Son ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a encore insisté à Malte en janvier dernier, lors d’un des rendez-vous d’étape, soulignant alors être là dans un « processus visant à réunir, à l’invitation du président de la République, le 24 juin prochain à Marseille, des représentants des sociétés civiles et les chefs d’Etat et de gouvernement de Méditerranée occidentale pour le “Sommet des deux rives, Forum de la Méditerranée” ».
Le seul chef d’Etat présent sera Emmanuel Macron
Puis, l’Elysée s’est rendu à l’évidence que monter ce sommet sans avoir un invité crédible en provenance d’Algérie posait problème. Or, qui inviter dans l’état actuel du pays ? Comme Paris se refusait à reculer la date de l’événement, la mention de « chefs d’Etat », voire de « chefs de gouvernement », a simplement été effacée du site des affaires étrangères comme elle semble avoir disparu des mémoires dans l’entourage d’Emmanuel Macron.
Même l’ambassadeur Pierre Duquesne, en charge du projet et qui l’évoquait encore le 22 mai, paraît frappé d’amnésie et habille désormais le fiasco institutionnel du rendez-vous de Marseille en « grand rendez-vous de la société civile ». On penserait presque avoir rêvé si Patricia Ricard, présidente de l’institut océanographique Paul Ricard, chef de file de la délégation des représentants de la société civile française, ne reconnaissait, elle, que le Sommet devait bien réunir des chefs d’Etat qui auraient dû répondre depuis Marseille à l’appel lancé à Tunis par les cent représentants de la société civile (dix par pays) pour une relance du dialogue méditerranéen.
Le seul chef d’Etat présent sera M. Macron qui fait un aller-retour lundi. Le Sommet réunira des ministres des affaires étrangères, voire des secrétaires d’Etat, et la grande relance de la politique des pays de la Méditerranée se réduira pour l’heure à la validation d’une quinzaine de projets nord-sud.
« On a compris que le choix des projets avait été fait sans nous »
Si, pour Patricia Ricard, ce processus reste « une réussite » et si elle se félicite que la France ait « inventé un formidable modèle » en mettant la société civile en avant, ce bilan ne fait pas l’unanimité. Les dix délégations, une par pays, se sont rencontrées dans cinq villes des rives nord et sud pour faire émerger des projets communs à plusieurs pays et lancer à Tunis leur « appel des 100 » les 11 et 12 juin.
« En arrivant à Tunis, la réunion finale, on a compris que le choix des projets avait été fait sans nous. Alors comme les délégations commençaient à s’énerver, on nous a réunis une demi-journée en ressortant des projets qu’on savait déjà éliminés pour les rediscuter. Ensuite, on a pu poser des questions, ce qui a calmé un peu la tension », raconte une membre de la délégation française qui souhaite garder l’anonymat.
Cette opacité du processus a laissé libre court à des guéguerres entre délégations, certains faisant même remonter que le Maroc aurait pris la main et proposé à lui seul plus d’un tiers des projets… En face, la délégation algérienne pâtit d’avoir été désignée avant le 22 février et la fin du règne de Bouteflika. Ce qui lui vaut d’être qualifiée d’« apparatchiks » pour les uns, de « représentants Sonatrach » pour d’autres (du nom de l’entreprise publique d’hydrocarbures).
La délégation libyenne, elle, souffre d’un autre mal : elle s’est vu refuser les visas pour participer aux rendez-vous d’étape. Une telle absence aurait pu permettre de discuter de la question de la circulation autour de cette mer commune, si le sujet avait été dans la liste…
« Ce qui devait être un aboutissement devient un départ »
Cinq thèmes (énergies ; jeunesse-éducation-mobilité ; économie-compétitivité ; culture-medias-tourisme ; environnement-développement durable) donnent, en effet, un cadre au débat et tous les projets doivent s’y intégrer. Même si certains estiment qu’en 2019 la Méditerranée présente d’autres facettes. Ainsi, le chef de l’Etat qui avait souhaité associer des intellectuels à ce débat a dû se passer de Benjamin Stora, président du Musée de l’histoire de l’immigration et farouche partisan d’un dialogue nord-sud, qui l’avait même interpellé sur ce point durant la grande nuit des intellectuels du 18 mars. L’historien a claqué la porte au forum préparatoire de Montpellier, estimant que « parler de la Méditerranée sans évoquer les migrations est une aberration ».
En dépit de ces aléas, 272 projets sont finalement arrivés entre les mains des « cent », une centaine étant retenus et retravaillés pour avoir un peu d’ampleur et couvrir à la fois des pays du nord et du sud. Pour Karim Amellal, un des membres de la délégation française « un bout de chemin a été fait qu’il faut prolonger encore dans les temps à venir ». Constat que partage Benjamin Stora pour qui « ce qui devait être un aboutissement politique devient un départ ».
Un secrétariat devrait d’ailleurs se mettre en place pour suivre ces projets et certains veulent croire que les prochains rendez-vous bénéficieront d’un portage politique plus marqué. En attendant, le Sommet de Marseille n’aura pas été vraiment différent de ce que fait l’UpM depuis 2008 : labelliser des projets et les mettre en lien avec des financeurs. Sous Nicolas Sarkozy hier, sous Emmanuel Macron aujourd’hui, il manque donc la véritable impulsion politique, qui toujours se heurte au terrain quand il s’agit de politique méditerranéenne.
Par Maryline Baumard - Source de l'article
Le Monde