"Je trouve la politique de la France en Méditerranée assez déconcertante"

Jean-François Coustillière se penche sur les périls de la Méditerranée  (photo : F.Dubessy)

A l'occasion de la publication de son livre "Périls imminents en Méditerranée"*, Jean-François Coustillière, président-fondateur de l'association Euromed-IHEDN, dresse un panorama peu optimiste de la situation régionale et s'alarme des réponses peu convaincantes de l'Union européenne et de la France.

econostrum.info
 : Comment expliquez-vous que la Méditerranée se trouve de plus en plus fragilisée ? 
Jean-François Coustillière : Les peuples arabes ont pris conscience en 2011 qu'ils n'étaient pas destinés à être soumis à des pouvoirs autoritaires. Les salafistes déploient leur influence qui débouche parfois sur le djihadisme visant à imposer la loi de Dieu. Les religions monothéïstes continuent d'apporter une argumentation à des affrontements de pouvoir et de soumission et enfin, les monarchies arabes se resserrent face aux républiques. Ce remaniement des situations intérieures explique cette fragilisation, mais pas seulement. 

Quels sont donc les périls imminents que vous décrivez dans votre ouvrage ? 
J-F. C. : Les périls imminents, ce sont d'abord les dégradations que l'on peut observer dans les pays du Sud de la Méditerranée, et qui, évidemment, ne me paraissent pas en voie de se résorber, ni même de s'améliorer. 
Je ne vois pas comment ces pays, déjà en grande difficulté et confrontés à une démographie croissante, pourraient avoir les moyens de redresser la barre et trouver un équilibre économique et politique leur permettant d'envisager un meilleur avenir. 
Second péril, la Méditerranée, contrairement à ce que disent beaucoup de personnes, redevient la zone d'affrontement des grandes puissances et des puissances moyennes qui en font un enjeu. Aujourd'hui, deux porte-avions américains se trouvent en Méditerranée. Je ne comprends pas, pourquoi ! Il n'existe aucun motif majeur pour le justifier. Sauf à imaginer une nouvelle intervention militaire. 
Nous voyons aussi la Chine qui avance ses pions sur le plan économique, la Turquie qui déploie son influence sur tous les pays du Maghreb, l'Arabie saoudite et le Qatar qui ne cessent d'investir des sommes faramineuses, notamment au Maghreb. Sans oublier la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite qui s'appuit sur celle entre les chiites et les sunnites. Le soutien au terrorisme et les conflits en découlant en sont l'expression la plus violente comme nous l'observons au Yémen, au Liban et en Syrie.

"L'UE a perdu sa capacité à jouer le rôle de stabilisateur de la région"

Jean-François Coustillière organise le 20 mai 2019 à Marseille les 
10e Rencontres de Cybèle (photo : F.Dubessy)

Comment expliquez-vous ce retour ? 
J-F.C. : Les Etats-Unis, convaincus de pouvoir exporter la démocratie, y compris par une politique violente de "changement de régime", sont conduits à multiplier les ingérences impérialistes. Dans le même temps, nous assistons à des tentatives de reconstitutions d'empire par la Chine, la Russie, voire d'autres encore. Tout ceci se trouve renforcé par des tensions et des conflits qui se multiplient en Libye, en Syrie, et viennent s'ajouter à ceux plus anciens comme l'affrontement israélo-palestinien, le problème du Sahara occidental, la partition de Chypre... Sans qu'aucun ne se résolve ! 
Le situation devient donc vraiment de plus en plus explosive. 

Quel peut-être le rôle de l'Union européenne et de la France ? 
J-F.C. : L'Union européenne est désorientée par l'émergence des populismes qui empêche la coordination des Etats membres. L'UE perd sa capacité à jouer le rôle de stabilisateur de la région. Elle doit également subir le développement du terrorisme sur son sol, mais aussi les mouvements migratoires qui enveniment les relations Nord-Sud. 
Quant à la France, je trouve sa politique en Méditerranée assez déconcertante, et surtout peu compréhensible pour nos interlocuteurs. Je ne peux que relever son suivisme de l'Arabie saoudite, sa faiblesse de réaction sur le dossier Iran, ses erreurs sur la Syrie, la réserve de ses relations avec la Russie et sa soumission aux Etats-Unis d'Amérique. 
Nous devons respecter nos valeurs, préserver notre indépendance, tout en coopérant sur des voies possibles de coopération ou de contribution à la résolution des conflits. Il faut défendre nos capacités autonomes d'action et adopter une stratégie claire qui soit compréhensible par tous.

"L'initiative du Sommet des deux rives s'inscrit dans cette démarche souhaitée"

Au-delà de ce tableau très pessimiste, n'y aurait--il pas des raisons d'espérer ? 
J-F.C. : Je crois que les raisons d’espérer résident dans toutes les situations où nos décideurs nationaux s’expriment avec détermination dans le respect de nos valeurs. Au risque même de déranger des puissances qui ne partagent pas complétement ces priorités. Les occasions ne sont pas si rares. Elles ne sont pourtant pas toujours mises à profit et on peut espérer que l’avenir permettra de démontrer que la défense de nos intérêts nationaux peut largement y gagner. 
L’initiative du « Sommet des deux rives » voulue par le Président de la République et programmée le 24 juin 2019 à Marseille, semble bien s’inscrire dans cette démarche souhaitée. 
Une autre voie d’espoir relève du devenir de l’Union européenne. Celle-ci, aujourd’hui divisée et affaiblie, n’a pas d’autres choix envisageable pour sa survie que de se renforcer et de se donner les moyens d’une puissance crédible sur le plan international. Elle aura alors, enfin, les moyens d’accompagner son environnement sud vers la paix et la prospérité pour son intérêt propre, notamment sécuritaire, mais également pour celui de toute la région euro-méditerranéenne. 

Propos recueillis par Frédéric Dubessy - Source de l'article Econostuninfo

* Entretiens avec José Lenzini (Méditerranées) et préface d'Antoine Sfeir. 232 pages - Editions de L'aube.

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