Pourquoi la France organise-t-elle un Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Méditerranée à Marseille ce 24 juin ?
Le 31 janvier 2018, un peu moins d’un an après son élection, le Président de la République avait annoncé lors d’une visite en Tunisie, son souhait de tenir en France un Sommet consacré à la Méditerranée. Emmanuel Macron a confirmé son intention lors de la Conférence des ambassadeurs à Paris le 27 août 2018. Il a surtout précisé deux choses importantes pour « retrouver le fil d’une politique méditerranéenne différente » : agir dans le format du dialogue 5+5, donc de la Méditerranée occidentale (i) ; impliquer fortement les sociétés civiles et la jeunesse dans ce nouveau processus (ii). C’est avec ces deux consignes que se prépare, depuis, ce Sommet dit des deux rives et qui a lieu à Marseille ce 24 juin 2019.
Il faut mettre en perspective l’événement dans le sens où la Méditerranée constitue un invariant de la politique étrangère de la France depuis très longtemps. Le président de la République suit donc une longue tradition dans laquelle notre pays cherche à peser sur les dynamiques de coopération multilatérale en Méditerranée. De multiples intérêts sont en jeu pour la France et pour l’ensemble des pays riverains de cette région. Pour le dire autrement, les défis sont tels qu’il est illusoire de les traiter séparément. Agir avec efficacité en Méditerranée passe nécessairement par des approches collectives et des projets fédérateurs. En outre, Emmanuel Macron est très attaché à la construction de l’Europe et attentif au futur de l’Afrique. Impossible alors d’ignorer le rôle de la Méditerranée comme interface entre ces deux continents. Sa centralité stratégique et les enjeux majeurs qui s’y concentrent appellent inévitablement des réponses. L’ambition de la France, c’est de les émettre dans une démarche inclusive et multi-partie-prenante. En somme, essayer de reprendre, de manière contemporaine, les intentions régulièrement formulées autour de cette idée politique de Méditerranée. Nous avons eu en 1995 le partenariat euro-méditerranéen, en 2004 la politique européenne de voisinage avec son volet Sud et en 2008 l’Union pour la Méditerranée. Ce qui représente une volonté de relance exprimée chaque décennie avec bien souvent Paris comme chef de file. Je précise que ces différentes politiques et initiatives mentionnées n’ont pas disparu depuis. Elles s’entremêlent et tendent parfois à créer de la confusion dans l’offre de coopération régionale. C’est à ce titre que j’ai souvent parlé de mille-feuille euro-méditerranéen et déploré le manque de synergies entre les actions entreprises. La Méditerranée n’est pas désertée, au contraire, elle déborde ! Trop d’initiatives, sur plein de sujets, avec des périmètres géographiques innombrables. Sur un plan purement stratégique, cela ne facilite pas la vision d’avenir et n’éclaire pas suffisamment les routes de la coopération.
En quoi ce Sommet de Marseille se distingue-t-il des éditions précédentes ?
Comme indiqué, il y a tout d’abord le format retenu : celui du dialogue 5+5. Créé en 1990, il rassemble 5 pays d’Europe du Sud (Espagne, France, Italie, Malte et Portugal) et 5 États nord-africains (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie). Il a pendant longtemps été centré sur les questions de défense et de sécurité, avec des résultats discrets, mais précieux. Ce dialogue s’est ensuite élargi à d’autres thématiques, preuve aussi que ce format à 10 avait parfois du sens et emporte la préférence des responsables concernés. Ces derniers sont visiblement enclins à mettre en avant la Méditerranée « occidentale » vis-à-vis des turbulences et des crises géopolitiques de sa version « orientale ». Quand bien même de réelles tensions existent dans la partie occidentale, à commencer par la relation complexe entre l’Algérie et le Maroc, il faut souligner à quel point le dialogue 5+5 n’est pas farfelu. Reste à voir jusqu’où il peut opérer, avancer et travailler réellement en associant chaque pays. Peut-être que l’un des objectifs à Marseille sera de mettre en avant la constitution d’un G10 méditerranéen. Cela ne doit pas empêcher d’avoir des « invités ». D’ailleurs, l’Allemagne est conviée le 24 juin au sommet des deux rives, comme le sont des institutions internationales (Union européenne, Banque mondiale, BERD, BEI et OCDE) et régionales (Secrétariat de l’Union pour la Méditerranée et Fondation Anna Lindh sur les cultures) à Marseille, ce sera donc 10+8 ! Il conviendra de suivre, en fonction des annonces de ce Sommet et des suites qui en seront données, les réactions potentielles émanant de Grèce, d’Égypte ou de Turquie. Sans oublier les pays des Balkans ou ceux du Proche-Orient. La France fait le choix du 5+5. C’est audacieux, mais c’est aussi une ligne à défendre et à entretenir par la suite.
Ensuite, le Sommet des deux rives à Marseille se prépare avec un mode opératoire original, consistant à mobiliser les sociétés civiles des 10 pays. Un exercice innovant de consultation est lancé depuis quelques mois, avec la tenue de forums régionaux thématiques : « énergies » à Alger le 8 avril, « jeunesse, éducation, mobilité » à La Valette les 24 et 25 avril, « économie et compétitivité » à Rabat le 29 avril 2019, « culture, médias, tourisme » à Montpellier les 2 et 3 mai, « environnement et développement durable » à Palerme le 16 mai. Ces Forums ont vu se rassembler des centaines de participants issus d’associations, de la recherche, de la formation et de la coopération. Des entrepreneurs, souvent jeunes, ont également été actifs dans ces rendez-vous dont l’objectif était bien qu’ils suscitent de l’émulation collective autour de cette Méditerranée à faire vivre. Des centaines de projets ont été présentés et déposés sur la plate-forme qui collecte les propositions de la société civile. Il y a de tout, de l’inédit comme du réchauffé, de l’original comme du redondant, du fédérateur régional comme du projet local. Le tri et la sélection ne seront pas simples, mais il convient de louer cet état d’esprit engagé qui s’est exprimé en peu de temps. L’accent mis sur la jeunesse, dès le départ, a sans doute contribué à rendre très vivant et spontané le processus. S’il faut parfois reconnaître un peu de naïveté dans certaines propositions (car beaucoup de choses existent déjà ou qu’aucun financement supplémentaire pour ces projets n’est aujourd’hui sur la table…), l’exercice permet d’illustrer l’un des principes forts de cette nouvelle ambition : une Méditerranée positive existe !
C’est bien là aussi le troisième élément original du Sommet des deux rives : mettre l’accent sur cette Méditerranée ouverte et positive. Cela contrebalance la communication incessante sur les maux de cet espace, ses désordres ou ses violences. Il s’agit bien de révéler des solidarités de fait, des coopérations concrètes, des réseaux qui fonctionnent, des initiatives partenariales et des investissements humains, économiques et sociaux qui construisent au quotidien des passerelles entre les deux rives de ce bassin méditerranéen. Emmanuel Macron veut donner de la visibilité à tous ceux qui, de la société civile aux institutions en passant par les entreprises et les scientifiques, œuvrent pour une Méditerranée positive et ouverte. A ce titre, la constitution d’un groupe de 100 personnes (10 dans chaque pays), connues pour leur engagement et leur expérience en Méditerranée, entre dans ce schéma visant à associer au plus près les sociétés civiles à la définition d’un nouvel agenda positif pour la région. Ils se réuniront les 11 et 12 juin à Tunis pour un exercice de synthèse, « l’Assemblée des Cent », au cours duquel ils sélectionneront les initiatives et les propositions d’actions concrètes, pour ainsi les transmettre aux chefs d’État et de gouvernement du Dialogue du 5+5 pour leur Sommet de Marseille quinze jours plus tard.
Quels sont les autres enjeux pour ce Sommet ?
Au-delà des considérations déjà émises précédemment, j’en vois trois à ce stade. D’abord se pose la question de la présence à Marseille. Les situations politiques et gouvernementales sont loin d’être simples dans plusieurs pays et ne le seront sans doute pas plus dans un mois. Entre temps se tiennent les élections européennes. Deuxième enjeu clef pour ce Sommet : le contenu et les propositions. Des annonces fortes sont attendues en pareil exercice diplomatique. Les initiatives retenues et qui composeront l’Agenda positif devront être réellement méditerranéennes et multilatérales, concrètes et intelligibles, portant sur des sujets suffisamment stratégiques ou véritablement innovants. Mieux vaut, sans doute, peu d’annonces et d’initiatives, mais fortes, inclusives et développées dans la durée pour les mesurer. Troisième enjeu, la suite au soir du Sommet : quels financements disponibles ? Quels acteurs ou institutions pour soutenir cet Agenda et faciliter la mise en œuvre des initiatives ? A priori, il n’y a ni budget nouveau ni structure nouvelle à l’horizon. Le pragmatisme devrait donc amener l’Agenda positif de la Méditerranée à s’appuyer, en partie et si les sujets convergent, sur les dispositifs existants (institutions, réseaux, associations) qui fonctionnent dans un état d’esprit pleinement méditerranéen où la somme des diversités joue l’effet de démultiplicateur. Et si les moyens économiques ne sont pas au rendez-vous, le danger est de beaucoup décevoir, entre le déclamatoire et les mises en œuvre…
La promotion d’une Méditerranée soutenable, avec un nouveau narratif plus positif et plus inclusif, passe par cette voie médiane : innover sans renier l’existant ; mobiliser sans frustrer ; militer sans s’enfermer. La Méditerranée est un concept géopolitique. Il doit donc être promu et incarné. Il ne peut toutefois ignorer le contexte global, à la fois d’un monde interdépendant, mais tendu, et d’une région aux problèmes souvent communs, mais qui est terriblement fragmentée. La Méditerranée n’est pas un bocal, mais un espace ouvert sur la mondialisation, dans lequel le monde entier passe, investit et échange. La Méditerranée doit relever de nombreux défis qui se jouent des frontières nationales des pays riverains, exigeant forcément plus de jeu collectif. L’équilibre à trouver dans cette zone est assurément complexe et c’est aussi cette raison qui légitime ce Sommet des deux rives à Marseille : redonner un horizon, voir loin dans le temps et travailler ensemble pour réduire les incertitudes. C’est donc courageux de proposer un tel Sommet dans un tel contexte et de continuer à défendre l’idée de la Méditerranée contre vents et marées. Les circonstances l’exigent.
Par Sébastien Abis - Source de l'article IRIS France
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