De l'analyse de Ferdinando Riccardi sur l'Union pour la Méditerranée (2)

L'éditorialiste bien connu - et très apprécié - des milieux européens, Ferdinando Riccardi (Directeur de l'Agence Europe et éditorialiste du Bulletin Quotidien Europe - cf. Les publications de l'Agence Europe ! -) est un très fin connaisseur autant des ressorts complexes de la construction européenne et de son actualité, que de ceux, tout aussi complexes, de la Méditerranée et des dynamiques qui s'y déploient, ici et là.
A plusieurs reprises, Regards-citoyens lui a permis de faire état de ses analyses relatives d'abord au projet, puis à l'Union pour la Méditerranée elle-même, après son installation en bonne et due forme. Ses deux derniers éditoriaux en date des 2 et 3 février méritent que l'on s'y attarde quelque peu !
Pour poursuivre notre investigation des 2 articles consacrés à son analyse (pour le premier article, cf. De l'analyse de Ferdinando Riccardi sur l'UpM (1)), ce second article examine son éditorial du 3 février, intitulé " Union pour la Méditerranée : les causes de l'inefficacité et du scepticisme ". Ce titre donne immédiatement la tonalité générale du propos de cet éditorial dont voici ci-après les termes précis :
" Renforcement des relations : oui, mais ... L'UE doit soigner et développer ses relations avec les pays tiers méditerranéens.
C'est le souhait de tous ; il suffit de rappeler avec quelle vigueur les Etats membres non riverains de cette mer, l'Allemagne en tête (NDLR : premier pays présent dans le bassin méditerranéen en termes d'échanges commerciaux en volume absolu, la Belgique étant de son côté le premier en volume par capita, facteurs importants dans le contexte), avaient réagi lorsque la France avait d'abord lancé le projet d'une Union de la Méditerranée à laquelle seuls les pays riverains auraient participé. Ce n'est donc d'aucune manière le renforcement des relations avec les pays tiers méditerranéens qui est en cause mais la formule retenue : celle de l'Union pour la Méditerranée (UpM) aves ses institutions, son poids bureaucratique, son Assemblée, et des objectifs aussi illusoires qu'une Zone de libre-échange globale, alors que les aspirations des pays concernés diffèrent radicalement et qu'aucune unité n'existe entre eux (NDLR : tant aux niveaux des ambitions que des intérêts ; cf. De l'analyse de Ferdinando Riccardi sur l'UpM (1)).
Au cours des mois, le projet initial s'est encore gonflé. L'extension de l'UpM à tous les Etats riverains (logique, étant donné les critères de participation) a eu le résultat d'y introduire des pays comme la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie, le Monténégro, et ainsi de suite, dont les situations et les problèmes sont radicalement différents de ceux des pays de la rive Sud et qui ont avec l'UE des relations et des ambitions d'une toute autre nature.
Réunir des pays si disparates dans une seule 'Union' (NDLR : terme par essence impropre eu égard tant à la nature du processus utilisé pour sa génèse - un processus qui a profondément divisé - qu'à son improbable institutionnalisation comme telle du triple point de vue juridique - l'UpM n'est pas et n'a pas vocation à devenir une entité normative -, démocratique - quels sont, ou pourraient être, les principes démocratiques communs qui la régissent - et budgétaire - l'UpM ne dispose d'aucun processus législatif et budgétaire, y compris en matière de contrôle, qui lui soit propre - !), avec les mêmes institutions et les mêmes programmes, c'est une opération irréaliste. D'ailleurs, des réticences existaient dès le départ.
La Turquie, concentrée sur son objectif de l'adhésion, n'était poas du tout intéressée, et c'est sans enthousiasme qu'elle a cédé en définitive aux pressions des promoteurs du projet. la Lybie n'a jamais adhéré, en soutenant que l'UpM nuit à l'unité africaine ; certains pays d'Afrique noire ont exprimé des craintes analogues. Et le cercle des sceptiques, à l'égard non pas des objctifs mais de la méthode, s'élargit.
Le cercle des sceptiques. Ce n'est pas une opinion personnelle. Voici ce qu'a écrit [...] Fathi B'Chir dans la revue MedAfrique : " La coopération recherchée n'aurait sans doute pas besoin d'être placée dans un tel cadre pompeux et finalement sans consistance. Ni l'énergie, ni le commerce, ni un système de règles d'origine, ni la coopération entre les PME, ni même l'agriculture ni le dossier des migrations n'ont besoin de réunions à grands renforts de tambours et trompettes : les accords d'association et les 'plans d'action' suffiraient amplement. (...) Le plus urgent n'est pas de réunir des chefs d'Etat mais d'engager un débat clair, ambitieux et même contradictoire sur les objectifs. On l'a répété maintes fois : la coopération euro-méditerranéenne porte sur ' tout sauf sur les institutions' ". Je constate que c'est le contraire qu'on a fait : une machine institutionnelle lourde (NDLR : et ô combien imparfaite parce qu'incomplète !) qui ralentit et rend malaisées les réalisations.
Exigences irréalistes ? Pourquoi l'UpM ralentit les réalisations ? S'agissant d'une Union entre égaux, les organisations des Droits de l'Homme et certains groupes politiques du Parlement européen exigent partout le respect des libertés publiques selon les critères européens : droits de l'opposition, égalité hommes/femmes, liberté de la presse, liberté d'expression. Il est évidemment normal et même positif que les nombreux organismes et associations qui veillent à ces aspects dénoncent les entorses les entorses partout où elles se produisent ; elles le font avec vigueur à l'intérieur de l'UE elle-même, elles n'ont pas à se taire sur ce qui arrive dans [la zone couverte par] l'UpM (même si leurs dénonciations donnent parfois l'impression d'être quelque peu sélectives ...).
Le problème résulte du fait que certaines forces politiques réclament la suspension des liens avec les pays incriminés, alors que le fonctionnement d'une Union telle que l'UpM n'est pas possible si l'un ou l'autre des participants est périodiquement suspendu. Les accusations sont variables : un jour, c'est l'Algérie car elle ne respecte pas les droits des Berbères et/ou des Kabyles (qui réclament l'autonomie), un autre, c'est la Turquie pour les Kurdes, un autre, l'Egypte pour les Coptes, et bien entendu Israël pour les Palestiniens (NDLR : les responsabilités incombent d'abord à l'ONU qui " gère ce dossier " depuis de très nombreuses années et ne parvient pas à créer les conditions favorables à une décision formelle de la communauté internationale). Même le Maroc, qui a obtenu le " statut avancé ", est critiqué au titre de la la " cause oubliée du peuple sahraoui " (NDLR : là encore, les responsabilités incombent d'abord à l'ONU qui " gère ce dossier " depuis de très nombreuses années et ne parvient pas à créer les conditions favorables à une décision formelle de la communauté internationale).
Le cas de la Tunisie est symptomatique : selon plusieurs observateurs, elle a sensiblement progressé dans la bonne direction ; mais des lacunes subsistent, et certaines forces politiques lui reprochent de ne pas respecter la liberté de la presse et les droits de l'opposition. D'autres répondent que l'évaluation d'un pays devrait tenir compte aussi d'autres critères : la situation de la femme, le progrès économique, les élections libres.
Projets concrets, moins de bureaucratie. La coopération de l'UE avec les Etats de l'autre rive peut et doit se développer sur des projets concrets, variables selon les pays ou groupes de pays. Ces projets présupposent la continuité, sauf situations vraiment inadmissibles. Si l'on attend l'égalité hommes/femmes totale et parfaite (laquelle n'existe quasiment dans aucun Etat membre de l'UE, ce qui justifie que ce soit encore l'un des objectif communs à toutes les politiques de l'Union), on ne fait rien. Un certain pragmatisme est nécessaire.
Les perspectives sont parfois positives mais elles ne sont pas uniformes. Eneko Landaburu, en se félicitant du statut avancé obtenu par le Maroc, avait ajouté que d'autres pays de la rive Sud peuvent y aspirer. Chacun avancera à son rythme. Les bagarres sur le nombre des secrétaires généraux adjoints n'aident pas, elles ralentissent. "
NDLR : Force est de reconnaître qu'une telle analyse est très largement partagée par ceux pour qui et l'Union européenne, et le Bassin méditerranéen ne constituent pas des gadgets que l'on peut instrumentaliser à loisir, sans vergogne, à des fins idéologiques, politiques, claniques ou personnelles. Parmi eux, certains cherchent déjà une solution alternative à cette UpM intangible qui soit - enfin - à la mesure des défis réels et concrets, à la fois locaux, sous-régionaux, régionaux et globaux, qui pèsent aujoud'hui, et pèseront encore davantage demain, sur la stabilité et la prospérité d'un bassin euro-méditerranéen aux visages et identités pluriels qui renonce à s'abandonner à la fatalité d'une globalisation si dévastatrice à l'égard de peuples, de nations, de valeurs, de principes, de patrimoines, d'espoirs et de sources d'espérance qui ont mis tant de siècles à émerger dans leur plénitude et leur grandeur !
Il est grand temps d'adopter une stratégie claire et pérenne qui ne changerait pas au gré des vents .... tantôt patriotique et nationaliste, tantôt européenne, tantôt atlantiste, tantôt méditerranéenne, tantôt ...
Par Regards-citoyens.com - février 2010

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