Le Forum de Paris a consacré ses travaux de mars 2008 au projet d'Union méditerranéenne autour de la question « pour quoi faire et comment ? ». A quelques semaines du lancement officiel du projet d’Union pour la Méditerranée (UPM), les interrogations ont implicitement porté sur la crédibilité du projet et ses conditions de réussite : n’est-elle qu’une ambition esthétique sans contenu, ou au contraire un réel projet d’avenir précurseur d’une renaissance méditerranéenne ?
Pendant trois jours, les débats se sont notamment concentrés sur deux principales questions : le projet d’Union pour la Méditerranée est-il utopiste ? Quelle stratégie devons-nous mettre en œuvre pour répondre aux enjeux communs des Etats de la Méditerranée ?
Pendant trois jours, les débats se sont notamment concentrés sur deux principales questions : le projet d’Union pour la Méditerranée est-il utopiste ? Quelle stratégie devons-nous mettre en œuvre pour répondre aux enjeux communs des Etats de la Méditerranée ?
Puissance de l’utopie et impuissance de l’utopisme
Le projet d’Union pour la Méditerranée aujourd’hui en discussion est la résultante d’un échec (le processus de Barcelone), d’un besoin (la résolution des déséquilibres, des tensions et des inégalités du pourtour de la Méditerranée pour constituer une zone de croissance et de stabilité), et enfin d’une proposition (celle de Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2007 visant à « faire pour l'union de la Méditerranée ce qui a été fait pour l'union de l'Europe »).
Pourtant, parce que les conditions de l’échec du processus Euromed ne sont pas dépassées, que les besoins se sont accentués et que la proposition française est apparue trop ambitieuse, le projet d’Union pour la Méditerranée fait débat. Sa pertinence et sa viabilité sont mises en cause, certains le soupçonnant même d’être un vœu pieu incrusté dans la grandiloquence des discours. C’est pourquoi les travaux du Forum ont largement débattu du caractère raisonnable du projet au regard de la permanence des obstacles et du caractère apparaissant utopique de la proposition française.
Il n’est en ce sens pas anodin que le discours d’ouverture prononcé par Jacques Attali (« La Méditerranée, ou l’ultime utopie ») interroge le caractère utopique du projet. Cette interrogation a plus largement traversé l’ensemble des débats.
A cette occasion, J. Attali fait assaut de réalisme et dénonce successivement le lyrisme concevant la Méditerranée comme « berceau de la civilisation », mais aussi la dimension idéologique de la conception imposée par les peuples du Nord au Sud faisant de la Méditerranée un mythe.
Méthodiquement, il déconstruit la mythologie de la Méditerranéenne, de son unité et de sa puissance, mais aussi de son exceptionnalité dans son apport au monde et dans sa matrice pour la civilisation. Au contraire, il met en évidence que la Méditerranée est avant tout dans le présent une illusion car les divisions, les rivalités et la violence prévalent, comme un microcosme des déséquilibres du monde. Au regard du passé, une nostalgie : « la Méditerranée n'existe plus » ; si elle demeure une puissance démographique, elle subit un effondrement économique passant de 20% du PIB mondial au début du XIXe siècle contre 11% aujourd’hui. Et pour l’avenir, une bombe à retardement du fait du différentiel démographique et de l’accroissement des inégalités, pouvant générer un risque de balkanisation.
Dans les débats, Gilles Kepel (Sciences Po) lui fait écho : la Méditerranée est un non-concept qu’il faut dépasser. Il oppose le paradigme de Venise : ce qui compte, c’est sa capacité à générer un trait d’union.
Pour autant, J. Attali ne veut pas renoncer à l’utopie d’un projet méditerranéen qu’il considère comme « l’utopie ultime ». Mais il met en garde contre tout angélisme et appelle donc implicitement à faire la mesure de ce qui relève de l’utopisme et de l’utopie, ce qui n’est pas sans rappeler Paul Ricoeur : « L’utopie se fonde sur le mépris pour la logique de l’action (...) et l’incapacité foncière à désigner le premier pas qu’il faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du réel existant (...). La logique du tout ou rien remplace la logique de l’action » (Du texte à l’action, 1986).
Sur les modalités : il doit s’agir d’un projet d’ « alliance » où toutes les parties sont également parties prenantes à la décision est le seul processus digne de développement : « Tout ce qui est dans l’octroi ne fonctionne pas, tout ce qui est dans la coopération fonctionne ». Sur le fond, il doit s’agir d’un projet « de maintien, de développement de nos valeurs et d’abord de la valeur de la liberté individuelle ». Il doit s’enraciner dans des projets concrets : développer des projets ville à ville, entre les villes du nord de la Méditerranée et les villes du sud de la Méditerranée et donner priorité aux ports (Tanger/Tunis, un grand port de l’est Gaza/Liban/Israël) ; faire une mer propre. Il identifie une condition institutionnelle (une police pour faire respecter le droit) et financière (un impôt commun dont l’assiette serait le trafic maritime à l'intérieur de la Méditerranée).
La méthode communautaire comme modèle pour l’espace méditerranéen
C’est ainsi logiquement qu’un deuxième axe de réflexions a porté sur la stratégie à adopter pour permettre le succès de l’UPM.
Les thèses en jeu ne sont pas sans renvoyer aux débats sur la construction européenne dans les années 1950. Quand Jacques Attali parle de la Méditerranée comme « ultime utopie », il n’est pas sans rappeler l’essai de Dominique Wolton sur l’Europe après Maastricht, La dernière utopie. Naissance de l’Europe démocratique (1993) ou les analyses d’Ulrich Beck voyant dans l’Europe, la « dernière utopie politiquement active ».
Faisant le lien entre les deux constructions – européenne et méditerranéenne, Alain Lamassoure (député européen, PPE) a essayé de dégager des enseignements de la construction européenne pouvant utilement servir l’UPM. Première leçon : le projet de rassemblement a une vertu pacificatrice ; si la paix ne tient pas à la seule construction européenne, cette dernière permet la profondeur de la réconciliation entre les peuples. Son succès réside dans une règle non écrite des traités voulant privilégier l’avenir sans ne plus ressasser le passé, souvent conflictuel. Deuxième leçon : la préférence communautaire a permis à chaque Etat de s'ouvrir aux pays voisins avant de s'ouvrir au reste du monde. Pour lui, ce principe faussement banal constitue la clé d'un rassemblement. Troisième leçon : certaines procédures de décision fâchent, d’autres réconcilient : les procédures de vote à la majorité divisent car risquent de stigmatiser les divergences et d’affecter l’amour-propre national, alors que la procédure parlementaire transnationale permet de diluer les oppositions.
Face à l’ampleur du défi et la longue liste des obstacles structurels qui ont d’ailleurs conduit à l’échec relatif du processus Euromed, le débat oppose les tenants de l’intégration politique à ceux d’une intégration par des réalisations concrètes sur des projets communs essentiellement de nature économique ou sociale. Un consensus semble se dégager à travers les tables rondes pour privilégier une construction pragmatique. J. Attali appelle, « au-delà de ces rêves utopiques, (à) se donner quelques projets simples, quelques projets concrets qui puissent véritablement nourrir une construction commune ». Difficile de ne pas entendre l’écho de Robert Schuman déclarant en 1950 que « l’Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait ».
Ainsi, Olivier Pastré (IM Bank) défend la thèse selon laquelle l’échec du processus de Barcelone s’explique par sa dimension trop politique et trop large ; au contraire, il faut désormais changer de stratégie et choisir le développement préalable des échanges économiques.
François Heisbourg (IISS) analyse du point de vue stratégique la singularité de l’espace méditerranéen marqué par l’accumulation de tensions stratégiques anciennes Sud/Sud (Algérie/Maroc, Syrie/Liban, Israël/ Palestine) plus que par des clivages Nord/Sud. Dès lors, il estime que l’UPM doit ne pas privilégier les questions sécuritaires mais au contraire se focaliser sur les aspects humains, économiques et sociaux.
C’est aussi l’analyse de Gilles Kepel, qui estime que la politique ne doit pas être au poste de commande : il souligne que l’UPM émerge au moment de l’échec du projet américain de Broader Middle East, ce qui enseigne qu’on ne peut pas accoucher de changement économique et social par le politique. Au contraire, la bonne méthode est celle de la CECA/CEE.
Une série de recommandations concrètes
Le Forum de Paris a conclu ses travaux en formulant dans une déclaration finale des propositions concrètes visant à alimenter le débat en cours sur le format institutionnel, les objectifs et le contenu du projet d’UPM.
Sur la méthode
1/ organiser préalablement un sommet Sud-Sud pour que les responsables politiques coordonnent leurs attentes et leurs positions avant la conférence de Paris ;
2/ créer un comité des Sages pour réfléchir en toute indépendance sur le projet d’Union pour la Méditerranée, ses contours et ses contenus.
2/ créer un comité des Sages pour réfléchir en toute indépendance sur le projet d’Union pour la Méditerranée, ses contours et ses contenus.
Sur le modèle institutionnel, des institutions légères et souples
1/ Création d’une OCDE méditerranéenne sur le modèle de l’organisation mondiale réservée aux pays industrialisés ;
2/ Institution d’une Conférence permanente pour la paix et la sécurité en Méditerranée, sur le modèle d’Helsinki ;
3/ Création d’un Fonds d’investissement pour le développement en Méditerranée, à capitaux paritaires ;
4/ Création d’organes thématiques : Observatoire des populations, des migrations et de la régulation des mouvements des personnes, Conseil permanent des régions méditerranéennes pour favoriser les coopérations transversales au niveau des régions et des villes.
Propositions en termes de contenu sur quelques secteurs prioritaires
1/ Mouvements migratoires : mise en œuvre d’un système de visas de longue durée pour trois catégories de personnes : travailleurs qualifiés, travailleurs saisonniers, retraités ;
2/ Enseignement supérieur : propose la création d’un programme Erasmus méditerranéen et à terme, la création d’une université méditerranéenne de plein exercice (avec possibilité d’essaimer plus tard dans plusieurs villes du Nord et du Sud) ;
3/ Formation professionnelle : programme de formation gérés par des Agences (Agence de formation professionnelle pour favoriser une immigration qualifiante appelée à servir au pays ; Agence de promotion de formations courtes dans les métiers de l’eau, de l’énergie, du bâtiment, des transports, de la communication et de l’agriculture).
Thomas Kurkdjian - La Nouvelle Europe - 4 mai 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire