L’initiative sarkozyenne d’une union méditerranéenne (dite UM), devenue union pour la Méditerranée (UPM), fait en ce moment l’objet d’une campagne de lobbying par toute une équipe de spécialistes menée par l’ambassadeur français Le Roy chargé de la promotion du projet UPM.
A Bruxelles, récemment, on a pu noter la présence de Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, qui est un think tank couramment désigné comme étant le laboratoire d’idées de l’UMP.
A Bruxelles, récemment, on a pu noter la présence de Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, qui est un think tank couramment désigné comme étant le laboratoire d’idées de l’UMP.
En effet, le parti avait remis un chèque de 800 000 euros à la création de la fondation qui a ensuite été reconnue d’utilité publique par décret de Jean-Pierre Raffarin. Aujourd’hui subventionnée par de grandes entreprises, elle pose la question du financement indirect et du lobbying des partis politiques par des entreprises. La fondation se défend d’être indépendante...
Pourtant, malgré tous ces gros moyens, il n’y avait pas foule dans le petit auditoire de la faculté Saint-Louis où s’est tenu le colloque. L’ambassadeur Le Roy commence par faire taire les rumeurs, l’UPM ne veut pas tuer Barcelone, mais juste développer ce processus grippé. Pour nous faire comprendre que ce projet est collectif, que chacun peut contribuer à travailler à un meilleur destin de la mare nostrum, il lance publiquement un appel à l’aide à la coopération des universitaires.
Il nous assure même de l’enthousiasme des pays récipiendaires, pratiquement tous prêts à se mettre à plancher sur le projet. « Nous n’attendons plus que le oui du Liban et de la Syrie », explique-t-il sur le même ton que s’il s’agissait de l’organisation d’une grande fête entre amis. Le premier défaut serait qu’il n’y avait pas assez de marge de manœuvre octroyée au secteur privé, Barcelone n’aurait donné la part belle qu’aux ONG et aux politiques publiques, ce qui expliquerait le peu de projets concrets réalisés, mais cette fois-ci, annonce-t-il, il y aura plus de subventions pour plus de visibilité.
Il est vrai qu’en 13 ans d’existence de Barcelone, l’écart entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée demeure le plus fort dans le monde entre deux régions contiguës. Selon lui, les chefs d’Etat arabes ont boycotté la cérémonie de 2005 à cause des défauts de Barcelone…
Faut-il comprendre que les chefs d’Etat arabes sont fâchés contre l’Europe parce qu’elle n’investit pas chez eux ? Parce que les investissements directs à l’étranger ne dépassent pas les 1% de l’UE pour son Sud contre 17% des IDE des USA dans son Sud à elle ? Peut-on nous faire croire que les pays du Sud sont concurrents entre eux pour la réception des investissements directs à l’étranger venant des pays du Nord ?
Que l’Algérie serait jalouse du traitement « offert » par les Etats-Unis au Mexique ? Prenons les choses à l’endroit, les multinationales européennes ont faim et, à l’image de l’Alena, elles aussi aimeraient bénéficier d’une périphérie défrichée qui leur permettrait de bénéficier de privilèges qu’elles ne peuvent plus se permettre sur le territoire européen.
L’architecture de l’UPM
Mais peu importe, l’ambassadeur Le Roy nous assure que, telle que conçue, l’UPM va remédier à tout cela : les IDE augmenteront dans la région et les chefs d’Etat de la rive Sud seront contents et viendront à la prochaine cérémonie...
Pourtant, le bon sens veut que l’on ne structure pas et qu’on ne stabilise pas une région sur la base aléatoire des investissements directs à l’étranger qui se déplacent là où est le profit, puisque ce ne sont pas des êtres moraux... De même, que peut-on espérer de la libéralisation des secteurs agricoles des pays du Sud lorsque l’on sait que l’agriculture européenne fonctionne à gros coups de subventions par la PAC. Le deuxième défaut serait que le partenariat envisagé à Barcelone est structurellement déséquilibré : 27 membres de l’UE hyperorganisés contre des peuples qui ne peuvent compter que sur la Ligue arabe pour défendre et négocier leurs intérêts.
Aujourd’hui, la Ligue arabe est plus faible et plus divisée que jamais. C’est d’ailleurs sur la base de ce constat que semble avoir été imaginée l’architecture de l’UPM et ses mécanismes décisionnels. Il y aura une coprésidence, c’est-à-dire un président provenant de la rive Nord et un président issu de la rive Sud. Cela transformera, nous dit-on, le processus de Barcelone en UPM. Cette coprésidence préparera le sommet et les réunions ministérielles ; elle sera l’impulsion intergouvernementale de l’UPM.
Parallèlement à cette coprésidence sera institué un secrétariat qui serait la force motrice de l’UPM pour proposer des projets concrets.
Quant au financement des projets, M. Le Roy nous expliquait que Barcelone n’était pas assez subventionné, d’où son peu de visibilité. Or il rassure les personnes présentes dans la salle : il n’y aura pas de plan Marshall, les caisses de la commission sont vides, dit-il. En conséquence, cette fois-ci, une grande marge de manœuvre sera accordée au secteur privé. Il évoque la possibilité d’établir des partenariats public/privé ou de solliciter les fonds arabes du Golfe.
Certains projets pourraient avoir un financement communautaire, mais cela dépendra de la nature de l’œuvre. Il insiste surtout sur le rôle de la Banque européenne d’investissement et souhaite la création d’une banque méditerranéenne à l’image de la Banque régionale de développement de Tunis.
Concrètement, dit-il, « un groupe d’Etats se met en tête de dépolluer la Méditerranée, ils devront trouver leur financement. Ce sont les projets qui trouveront leur financement les premiers qui seront mis en œuvre en premier ». C’est donc ça la structure à géométrie variable.
On ne va donc pas s’embêter avec des considérations de solidarité : ceux qui présentent un projet rentable pourront trouver « le soutien » d’une banque ou d’une entreprise… C’est la définition trouvée par l’UPM de « l’intérêt commun ». A titre d’exemple, il propose une autoroute méditerranéenne, un espace scientifique méditerranéen, l’accès à l’eau et le rechargement des nappes phréatiques libyennes, la dépollution de la Méditerranée ou encore un plan solaire méditerranéen...
Que d’ambitions humanistes… Est-ce vraiment pour toutes ces causes que les pays du nord de l’UE se sont sentis lésés d’avoir été écartés par le projet de Sarkozy ? Ou est-ce le privilège d’accès offerts aux multinationales françaises Veolia, Total ou Elf qui fit gronder les Européens du Nord ? Quoi qu’il en soit, l’avantage de ces projets concrets est que la baignade en Méditerranée sera la plus sûre du monde et la plus surveillée aussi... M. Le Roy affirme que, « pour l’instant », la question de l’immigration n’est pas incluse dans le projet.
On peut plutôt penser qu’elle en a été sortie, pour contourner les objections posées par certaines déclarations, comme celle de l’ambassadeur du Maroc à Paris qui affirmait que « si l’agenda de l’UM, c’est freiner l’immigration et lutter contre le terrorisme et s’il s’agit essentiellement de préserver la sécurité de l’Europe, alors je ne pourrai pas vendre le projet à mon pays ».
Dans le même temps, tout en affirmant que cette question n’était pas pour l’instant incluse dans le projet, au même titre que la question sécuritaire, l’intervenant suivant, Jean-Louis de Brouwer, directeur d’Immigration, asile et frontières auprès de la direction générale « Justice Liberté et Sécurité » de la Commission européenne, nous rappelle qu’il y a une diaspora de 15 millions de personnes pour le Maghreb de l’Est, mais que, malheureusement, toutes les élites sont installées aux USA... « Il faudra régler la question de circulation des élites », dit-il. Est-ce une manière de parler indirectement de l’immigration choisie ? Tout est dans la suggestion avec M. de Brouwer, « c’est compliqué tout ça », explique-t-il.
« Parce que créer l’UPM, c’est parler de ce qu’il y a derrière... » Du bout du doigt, il pointe l’Afrique subsaharienne, puis avec son bras, il dessine de grands mouvements censés retracer les flux migratoires… ça monte, ça monte toujours, peut-on comprendre avec ses gestes. « Une frontière, ça rapproche et ça oppose », dit-il. Nous sommes toujours dans le non-dit, mais le message est passé : l’UE va se rapprocher de la Méditerranée, c’est donc à la Méditerranée de s’opposer à ses voisins subsahariens, c’est-à-dire les empêcher de monter, monter, monter...
Amina S. - El Watan - 29 avril 2008
Amina S. - El Watan - 29 avril 2008
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