Paris a été le théâtre, les 13 et 14 juillet derniers, d'une importante conférence regroupant l'ensemble des chefs d'État des pays du pourtour méditerranéen, à l'exception fort remarquée du président libyen, Mouammar Kadhafi. À cette occasion fut officiellement lancé le projet d'Union pour la Méditerranée. Vaste chantier développé dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne de 2008, l'Union méditerranéenne (UM) a d'abord été présentée comme l'initiative de coopération panméditerranéenne la plus importante de la décennie. L'UM visait d'abord à offrir un nouveau cadre au dialogue euro-méditerranéen, là où avait échoué le processus de Barcelone qui n'avait pas su prouver sa pertinence en regard des enjeux régionaux.
La mise en place d'une «union de projets» des 25 États méditerranéens répondait donc à l'urgence de résoudre des problématiques régionales aussi nombreuses que concrètes sur l'immigration, la sécurité, le commerce, l'eau, l'environnement et la création d'institutions indispensables à l'élaboration de plans d'action d'envergure, ainsi qu'à leur mise en oeuvre.
Mais au terme de cette première année d'activité, quel bilan pouvons-nous faire l'Union méditerranéenne?
Inadéquation entre mission et moyens
Avant même que les chefs d'État méditerranéens s'entendent sur la plateforme proposée par le président Nicolas Sarkozy, les spécialistes de la Méditerranée, dont le chercheur palestinien Bichara Khader, émettaient déjà de sérieux doutes quant au bien-fondé à long terme d'une organisation dont le principal critère d'adhésion résidait sur la seule situation géographique de ses membres.
En effet, réunir dans une seule organisation un nombre aussi considérable de pays, vivant des réalités politiques et socio-économiques fort différentes, rendait illusoire le souhait exprimé par l'establishment diplomatique français de voir émerger une communion d'esprit sur les solutions à apporter aux problèmes méditerranéens.
D'office, la persistance des conflits armés qui enflamment le sud de la Méditerranée et les Balkans vient miner les efforts qui visent à renforcer la coopération entre les pays riverains.
En effet, prétendre que l'intégration de belligérants à une organisation internationale peut favoriser le règlement pacifique de conflits armés, tel que le conflit israélo-arabe, c'est faire fi des enseignements les plus élémentaires de l'Histoire. L'Union européenne ne s'est-elle pas constituée seulement après que les camps ennemis ont convenu de ranger les armes définitivement?
Ambitions de la France
D'autre part, la création de l'UM vient institutionnaliser la périphérisation d'États qui pouvaient jusque-là aspirer à adhérer à l'UE, pensons par exemple à la Turquie. Enfin, d'influents partenaires européens sont simplement laissés de côté, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne.
Ceci explique pourquoi la Commission européenne est réticente à voir les moyens financiers de l'UE mis au service des ambitions méditerranéennes de la France dans ses anciennes zones d'influence: le Maghreb, l'Égypte et la Syrie.
Nicolas Sarkozy n'a eu d'autre choix que de tempérer ses ambitions pour que ses partenaires européens consentent à abroger le processus de Barcelone au profit de la nouvelle organisation. Au terme du Sommet de Paris, le projet initial d'Union méditerranéenne avait été tant édulcoré que sa viabilité même semblait être remise en question.
De nombreux chantiers
Sur le plan institutionnel et politique, il est prévu de doter l'UM d'un secrétariat permanent que Barcelone devrait, en principe, héberger. Le secrétariat serait chapeauté par un Conseil méditerranéen regroupant les gouvernants des États riverains de la Méditerranée et qui se rencontreraient à échéance régulière pour définir les priorités communes. Monsieur Sarkozy a aussi suggéré de mettre en place de nouveaux outils financiers permettant de dynamiser les échanges économiques interrives.
Une Banque euro-méditerranéenne serait créée de façon à renforcer la Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat (FEMIP), et permettrait de coordonner les investissements dans la zone méditerranéenne de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Banque de développement du conseil de l'Europe (CEB) qui n'ont pas de mandat spécifique concernant l'espace méditerranéen.
Cette nouvelle institution financière aura pour fonction de faciliter le financement des programmes d'infrastructures dans les régions limitrophes de la Méditerranée en accordant la priorité à la construction d'écoles, de routes et d'infrastructures sanitaires.
Environnement et migration
L'enjeu migratoire repose principalement sur un meilleur contrôle des flux humains en provenance du sud, et particulièrement ceux liés à l'immigration illégale, qui cause de 1600 à 2000 décès par année selon l'observatoire Fortress Europe.
L'harmonisation des politiques de sécurité entre les deux rives de la Méditerranée se bute toutefois à l'ampleur de la tâche à accomplir sur des thèmes aussi divers que la chasse aux passeurs et aux trafiquants, la surveillance conjointe des côtes africaines et l'endiguement à la source des flux d'immigrants clandestins.
L'enjeu environnemental est aussi à l'ordre du jour de l'Union méditerranéenne. Les acteurs régionaux doivent d'abord concerter leurs efforts de manière à dépolluer le bassin versant méditerranéen.
Pour ce faire, l'UM prévoit la mise en place d'une agence devant localiser, gérer, puis dépolluer les cours d'eau se déversant dans la mer.
C'est ensuite la problématique liée au déficit hydrique de régions limitrophes de la Méditerranée qu'entend traiter l'UM. Le contrôle de l'eau représente donc un enjeu stratégique majeur pour les pays riverains que ne saurait négliger l'Union méditerranéenne.
La diversification des sources d'énergie de l'Union européenne est devenue un enjeu stratégique vital pour l'Europe, et spécialement depuis l'interruption des livraisons en hydrocarbures russes à l'Ukraine pendant les hivers 2007 et 2008. La sécurité énergétique européenne passe d'abord par une coopération accrue avec les États producteurs de pétrole et de gaz.
C'est d'ailleurs sur ce thème précis que les avancées ont été le plus importantes, avec l'annonce le 13 juillet 2009 de l'ouverture du chantier titanesque du gazoduc Nabuko, devant relier le Caucase à l'Europe centrale.
L'heure des bilans
En constatant que la plupart des initiatives nées du projet d'Union méditerranéenne ont été laissées en suspens ou sont simplement restées lettre morte, nous pouvons nous demander si le projet d'Union méditerranéenne n'était pas le dossier de la seule présidence française de l'Europe en 2008.
En effet, dans ce dossier où la France a assumé seule la direction, la présidence tchèque de l'UE n'a pas été en mesure de poursuivre le travail accompli. À partir de ce constat, quelle volonté politique aura la Commission européenne de mettre en place les différents chantiers de l'UM? Il y a encore trop d'interrogations pour prétendre à la réussite de ce projet, qui a à tout le moins le mérite d'avoir remis les projecteurs sur la Méditerranée.
Par Philippe C. Martine - Paru dans ledevoir.com - le 15 juillet 2009