Web arabe : chargement (rapide) en cours

Dès le début des révolutions arabes, le monde entier a découvert l’existence d’un Internet arabe et arabisant. Etudes, reportages et commentaires ont alors inondé les médias occidentaux. Surtout, les réseaux sociaux vus capables de déboulonner des autocraties multidécennales ont été couverts de louanges. Décryptage.


Internet, d’abord un outil d’information

Le taux moyen de pénétration d’Internet dans le monde arabe est estimé à 28% (pour une population de près 340 millions en 2012). Les pays du Golfe étant beaucoup plus connectés que des pays comme le Soudan, le Yémen ou le Maroc, en raison de l’avance énorme des monarchies pétrolières en termes de gouvernance, de développement des infrastructures télécoms et de niveau de vie.

Un sondage représentatif des internautes arabes, publié par la Dubai School of Government en 2013, indique ainsi que 36 % des personnes interrogées passent entre 3 et 4 heures par jour sur Internet, 21 % entre 5 et 7 heures et 6 % plus de 10 heures. 88 % des sondés affirment se connecter de chez eux, et 22 % des cybercafés. En outre, Internet est utilisé par 69 % des sondés pour s’informer ou comme un outil pédagogique. 36 % des internautes arabes utilisent d’ailleurs le Web comme leur première source d’information. En revanche, le commerce en ligne n’a pas encore pénétré les pays arabes : 59 % des internautes n’ayant jamais acheté quoi que ce soit sur Internet, même si la croissance ce marché est appelé à exploser dans les années à venir, jusqu’à représenter 2 milliards de dollars.

Réseaux sociaux et blogosphère comme moyens d’expression

En revanche, les différentes études publiées sur l’usage d’Internet dans les pays arabes démontrent clairement la prédominance des réseaux sociaux. En 2013, 54 millions de personnes, principalement des hommes de moins de 30 ans, utilisent Facebook, tandis que le nombre de Twittos est estimé à 4 millions, vivant majoritairement en Arabie Saoudite, Egypte et Emirats Arabes Unis. Le réseau social professionnel Linkedin est également en pleine expansion avec trois fois plus d’utilisateurs en 2013 qu’en 2012, même s’il s’agit surtout de jeunes actifs très qualifiés. Quant à YouTube, son hégémonie dans le partage de vidéos touche également les pays arabes, avec certes, dans chaque pays, des plateformes nationales, mais dont la popularité est très inégale. Au total, 38% des internautes arabes affirment regarder ou télécharger des vidéos au moins une fois par jour.

Les plus consultées étant souvent des vidéos de divertissement ou à contenu pédagogique.

A l’image des réseaux sociaux, la blogosphère arabe est jeune et active : 200 000 blogs, alimentés pour 75 % d’entre eux par des internautes de moins de 35 ans. Tous les sujets sont abordés : de l’actualité aux questions politiques et sociétales, et de la religion aux nouvelles technologies, en passant par le sport. Durant les années 2000, certains blogs ont tiré profit de cette liberté d’expression pour jouer un rôle important dans certains pays comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite et le Maroc. Les blogueurs se sont illustrés notamment en défendant l’ouverture politique, la liberté d’expression ou un statut plus moderne pour la femme arabe.

Le Web, enjeu de la lutte contre les inégalités

Mais tous ces éléments attestant d’une ouverture des sociétés arabes ne doivent pas occulter d’autres réalités objectives comme les différences culturelles existant d’un pays à l’autre, influant sur les usages d’Internet et sur les contenus. Au Moyen-Orient par exemple, le Web est beaucoup plus arabisant et anglophone qu’au Maghreb, où le français continue d’être la norme. A cet égard, cela suggère que les internautes maghrébins sont naturellement éloignés des prédicateurs saoudiens, comme Mohamed Al Arifi, suivi sur Twitter par 8 millions de personnes, principalement au Proche et au Moyen-Orient.

Par ailleurs, en raison des inégalités de niveau de vie au sein des différents pays, et entre les monarchies pétrolières et les autres Etats, Internet n’a pas pénétré les sociétés uniformément. Les milieux aisés, souvent très qualifiés, sont naturellement ceux qui le plus accès au Web. Chez ces personnes, la culture occidentale, omniprésente sur Internet, aura ainsi d’autant plus de chances de se diffuser. A l’inverse, les populations plus pauvres n’ont qu’un accès très restreint à Internet, mettant en lumière le besoin criant de politiques publiques pour l’amélioration des infrastructures et des réseaux. Dans ce domaine, les pays du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe sont les plus en avance, avec une croissance massive des investissements et des performances sur le plan des technologies de l’information et de la communication. Tandis que des pays comme l’Algérie ou le Yémen accusent quant à eux des retards conséquents en la matière.

Depuis deux ans, la pénétration d’Internet dans les pays arabes, bien qu’inégale, a été forte et rapide. Région sensible concernée par de multiples enjeux stratégiques, les gouvernements, entreprises et think tanks doivent désormais rester à écoute et en état de veille afin de pouvoir anticiper les crises et de défendre ses intérêts. Internet est instantanément devenu un lieu clé de l’influence et y être présent est désormais une obligation.

Par Younes Benabdelouahed (Responsable de veille digitale sur le monde arabe iSentinel) - Source de l'article Les Echos

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