Après des semaines de tensions et de désaccords autour de la politique méditerranéenne, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont parvenus à un compromis, le 3 mars 2008, à Hanovre, autour de "l’Union pour la Méditerranée". Hassan ABOUYOUB, Ambassadeur itinérant du Royaume du Maroc, revient sur ce projet. Acteur clef du processus, il exprime ici ses doutes et ses recommandations. Un point de vue précieux, en provenance de l’autre rive de la Méditerranée.
Les propos tenus par le Président de la République française à Toulon en pleine campagne présidentielle et surtout à Tanger en Novembre 2007, ont secoué le landernau euro-méditerranéen. Ils ont sorti de sa torpeur, le processus de Barcelone dont la célébration du dixième anniversaire avait été boudée par les chefs d’Etats de la rive Sud. Passé l’effet de curiosité, les chancelleries européennes ont réagi de façon nuancée à l’initiative française.
Du ”oui mais ” à un “non” à peine déguisé, tout le registre du lexique diplomatique a été utilisé pour exprimer tantôt l’embarras, quelque fois l’adhésion conditionnelle ou simplement le rejet poli d’un projet qui ne manque pas d’audace et de volontarisme. Cela demeure conforme aux difficultés de l’UE d’adopter des positions communes sur l’essentiel de l’agenda de sa politique extérieure.
En dépit de sa tonalité quelque peu lyrique, les propos présidentiels étaient élaborés autour de postures faites “d’audace, de courage et de la nécessité d’opérer une rupture voire de prendre des risques”. Ils incarnaient une vision qui rejoint dans ses principales composantes, l’Appel lancé en Novembre 2005, par un groupe d’hommes politiques, d’intellectuels et de représentants de la société civile euro-méditerranéenne en faveur d’une Union Méditerranéenne.
Les inquiétudes et les réserves exprimées cependant, par l’Allemagne, la Grande Bretagne et d’autres membres de l’UE ont eu un effet immédiat : une révision à la baisse des ambitions françaises initiales. Le discours de N. Sarkozy à Tanger, en retrait par rapport à la déclaration faite Place de la Concorde, le soir de sa victoire, s’est voulu rassurant à l’endroit des réticences allemandes :
- "Il n’est pas question que la proposition française se substitue aux initiatives existantes ou en cours "
- "Ce n’est pas le projet de la France seule"
- "La Commission Européenne sera associée d’emblée"
- "L’Union Méditerranéenne ne se fera pas sur le modèle européen avec ses institutions, son degré élevé d’intégration politique", etc..
Autant de précautions oratoires qui expriment avant tout que le dossier technique, les études de faisabilité ne sont pas encore finalisées et que les idées de base qui constitueront l’architecture du projet ne sont pas encore matures.
Le débat qui a animé la sphère politique de la rive Nord n’a pas déclenché l’enthousiasme des opinions publiques européennes et encore moins celles du Sud. Le Maroc est probablement la seule exception dans ce contexte. Le Roi dans son discours à Marrakech, en l’honneur du Président Sarkozy avait déclaré : ” Nous sommes déterminés à explorer avec Vous toutes les opportunités visant à promouvoir une approche inédite et progressive du partenariat ainsi envisagé et une prise en charge novatrice et solidaire des multiples défis de notre espace méditerranéen.”
Le Président Ben Ali (Tunisie), a été plus nuancé dans ses propos : “accueil favorable du projet qui doit englober toutes les Parties concernées sur la base des priorités des uns et des autres, pour compléter et enrichir les acquis de Barcelone. ”
Les déclarations du Sherpa désigné par la France, l’Ambassadeur Le Roy en l’occurrence, ont fait l’exégèse de l’appel de Rome (20 décembre 2007). L’Union pour la Méditerranée sera donc un “Barcelone plus” pour paraphraser M. A Moratinos. D’ailleurs le premier paragraphe de cet Appel résume fidèlement le préambule de la Déclaration de Barcelone 1995.
En écho aux propos de M. Le Roy et à l’Appel de Rome, les ministres des affaires étrangères du 5+5, réunis à Rabat, se sont félicités de cet Appel en qualifiant l’Union pour la Méditerranée “d’initiative régionale fondée sur le principe de l’appropriation commune”. Quel est le degré de cohérence de cette définition avec le principe défendu par le Sommet de Rome d’une “Union fondée sur la coopération et non l’intégration” et avec l’idée de projets à géométrie variable défendue par la France ?
Un observateur averti du long cheminement de la question de la méditerranée, sans remonter jusqu’à la Pax Romana et en se limitant à l’après premier choc pétrolier (Guerre du Kippour), aura vite remarqué que les discours et les postures n’ont guère varié. Les préalables implicites qui sous-tendent l’adhésion à tout projet de coopération, de partenariat et d’intégration entre les deux rives de Mare Nostrum, demeurent récurrents (La crise du Proche Orient, la non ingérence dans les gouvernances souveraines, le passif colonial, l’Islam etc..)
L’incohérence qui caractérise les propos et les réactions que l’initiative française a suscités, ne sont que le reflet de la complexité politique, géopolitique et culturelle du berceau de l’Humanité. La rive Sud de la Méditerranée est plurielle. La différenciation communément admise entre Maghreb et Machreq, se fonde sur le postulat que ces deux sous-ensembles sont homogènes. Rien n’est moins vrai. L’effondrement du mur de Berlin et les effets collatéraux du 11 septembre ont exacerbé les positions des uns et des autres et montré combien il était difficile de vouloir réformer les gouvernances d’une région à partir de diktats extérieurs ou de programmes imposés.
Le Grand moyen Orient a vécu. Le processus de Barcelone voit ses objectifs politiques rangés dans le rayon de la rhétorique. Bien plus, la pression, notamment américaine pour renforcer la lutte contre le terrorisme a produit ses effets pervers en rognant, dans certains cas, les maigres acquis d’une transition démocratique fragile.
L’évolution des sociétés de la rive Sud, à la faveurs des progrès précaires de transitions démocratiques plus ou moins substantielles, vers une confrontation de plus en plus visible entre les tenants d’une modernité inspirée de l’Occident et ceux d’un islamisme politique plus ou moins rigoriste, réduit considérablement la marge de manœuvre des gouvernants.
L’aggravation de la donne humanitaire à Gaza, l’implosion institutionnelle du Liban sans oublier les autres foyers de tension de la région, auront un impact direct sur les positions de négociation des acteurs étatiques de l’Union pour la Méditerranée. L’ambigüité constructive sera la seule attitude offerte à la plupart des négociateurs du Sud.
Je m’abstiendrai, pour ne pas compliquer l’analyse, d’évoquer la menace du Polisario de reprendre les armes contre le Maroc ou la sensibilité de la relation maroco-espagnole à la question des Présides du Nord (Ceuta et Melillia) à la faveur de la prochaine échéance électorale espagnole etc..
En d’autres termes, les ingrédients du statu-quo qui a paralysé toutes les initiatives des trois dernières décennies dans la région euro-méditerranéenne, sont toujours sur ou sous la table des négociations. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a fort à parier qu’une fois les lampions de la fête éteints , les choses reprendront leur cours normal. C’est-à-dire que tous les programmes et mécanismes inventés dans le contexte de Barcelone, ou la PEV, continueront à vivre leur existence et à produire leurs effets. Leur multiplicité et leur redondance, leur répartition entre instruments bilatéraux et régionaux et la persistance de politiques nationales d’aide au développement apparaitront comme le mal nécessaire pour prendre en compte l’hétérogénéité du Sud et les doctrines plurielles de L’Europe par rapport à son flanc méridional.
Avoir un cadre de plus, qu’il soit fait de projets ou de politiques communs ou à géométrie variable, ne changera pas la donne politique actuelle. Les faits sont têtus : les limites financières du budget européen pour la politique de voisinage, les résistances résiduelles devant l’ouverture du marché européen aux produits agricoles du Sud, la centralité de la question énergétique dans la nouvelle doctrine de sécurité européenne, les pressions croissantes pour une politique plus restrictive des flux migratoires et bien d’autres facteurs qu’il serait fastidieux de citer ici laissent peu de marge à un exercice qui viserait la rupture prônée par le Président Sarkozy.
Les faits sont également têtus s’agissant des défis qu’affronte le Sud. 20 millions d’empois à créer au Maghreb durant les deux prochaines décennies, la désertification et les pénuries en eau pour ne citer que ceux là.
La rupture est impérative et doit d’abord être opérée au niveau de la méthodologie de travail retenue. Confier aux sherpas, sauf le respect qu’on leur doit, qui gèrent Barcelone, les négociations bilatérales de la politique de voisinage, Le 5+5, c’est reproduire les schèmes qui maintiennent le statu-quo.
Ignorer les conditions préjudicielles qui débloqueront les volontés politiques des acteurs gouvernementaux c’est aller au devant d’un rejet populaire d’un projet pourtant prometteur. (Barcelone est paralysé parce qu’entre autre, il n’a pas pu bénéficier d’un soutien populaire et de celui des acteurs non-étatiques).
Que faire dans ces conditions ?
Même si le coup est déjà parti et que les dates du Sommet fondateur de la future Union pour la Méditerranée sont fixées en juillet, je proposerai :
1. La constitution d’un comité paritaire des Sages pour évaluer l’acquis au niveau des politiques, programmes et instruments de la coopération. Ensuite il proposera un schéma et une architecture de l’Union, un modèle de financement de politiques communes dont le choix sera dûment motivé et reflétant les besoins exprimés par les différents acteurs. Ce comité organisera des consultations avec les gouvernements et leurs démembrements locaux, l’entreprise, la société civile etc…
2. Un rapport global sera donc soumis par ce comité à l’appréciation des sherpas et servira de base à des négociations en vue de l’adoption des Accords, chartes ou projets par le Sommet qui est prévu. Dans ces propositions, ce comité veillera à l’identification du cadre de cohérence qui permette de faire coexister tous les Accords et mécanismes en vigueur ou à défaut de suggérer la fusion, l’intégration de l’un (avec ou dans) l’autre.
3. Trois thématiques me semblent devoir s’imposer pour inspirer les politiques ou projets communs du futur ensemble euro-méditerranéen : L’espace commun du Savoir, l’agriculture et le développement durable.
4. Pour le financement du nouveau projet, une nouvelle approche radicalement différente des mécanismes en vigueur. Elle reposerait notamment sur une participation de la rive Sud à la mobilisation des fonds y compris en monnaie locale, sur une allocation concurrentielle de ressources via un fonds national qui tirera tous les avantages des effets de leviers et de l’utilisation des instruments modernes (Marchés hypothécaires, bourses, capital risque etc.)
5. Pour le traitement des conditions préjudicielles et créer l’environnement favorable à l’émergence du projet audacieux, novateur qu’appelle le P. Sarkozy de ses vœux, pourquoi ne pas prendre le risque d’organiser un Sommet unique le 13 juillet prochain qui soit entièrement dédié à la paix et à la sécurité en méditerranée. De cette façon tout le Monde sera placé devant sa responsabilité historique et on rappellera à l’occasion ce que le Cardinal de Retz avait clamé : ” On ne sort de l’ambigüité qu’à son propre détriment “.
Ces propositions sont faîtes pour appuyer l’idée qu’un Barcelone plus, n’est pas de nature à dessiner cet horizon qui mobiliserait les énergies du Sud et susciterait un souffle d’espoir pour des sociétés impatientes qui rêvent de l’Eldorado européen.
Mais si Barcelone plus c’est plus de volonté politique, un leader pour conduire cette initiative et des institutions paritaires pour la piloter, on pourrait s’accorder le bénéfice du doute et faire nôtre la philosophie qu’Albert Camus a su tirer du mythe de Sisyphe.
EuroVillage - 6 mars 2008, Par Hassan ABOUYOUB, ambassadeur du Royaume du Maroc
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