En introduction des 16e Controverses de Marciac "La Méditerranée au coeur de l’Europe : sonder les fractures, dévoiler les failles, révéler les accords", Michel Foucher rappelait ceci : le terme "Méditerranée", souvent employé de manière générique, recouvre pourtant des réalités bien différentes, qu’elles soient de nature historique, géographique, démographique, agricole, écologique, etc.
Pour en saisir toute la diversité, ce géographe a procédé tel un peintre... par petites touches successives. C’est ainsi sous la forme d’un abécédaire, proposant de multiples entrées, qu’il nous donne à lire la singularité de cet espace, les lignes de fracture qui le traversent comme les enjeux qu’il doit et devra relever. Une intervention que publie la Mission Agrobiosciences et qu’elle vous invite à découvrir.
Le bréviaire géographique de la Méditerranée
Michel Foucher. La Méditerranée existe-t-elle ? La question m’avait été posée par la revue « l’Histoire ». J’aurais tendance à y répondre par l’affirmative mais tout dépend, en fait, de ce que l’on entend par Méditerranée, un terme qui, tout comme le mot Europe, recouvre des réalités extrêmement différentes. Dans l’un comme dans l’autre cas, on emploie ces deux mots sans plus de précision, par paresse intellectuelle. Voilà pourquoi, en introduction de ces journées, je vous propose d’aborder la Méditerranée sous un angle original sous la forme d’un lexique parcourant l’alphabet de A jusqu’à Z. Je ne sélectionnerai qu’une douzaine d’entrées, sans prétention à l’exhaustivité, sachant qu’il y aura des entrées un peu plus longues que les autres.
« A » : Alphabet.
Ce dernier est une invention phénicienne, structurante pour les peuples qui sont autour de la Méditerranée, mais importée des Acadiens de la Mésopotamie.
« A », Agriculture.
Il y a une agriculture méditerranéenne. Schématiquement, elle se caractérise par deux types de pratiques agricoles : le sec et l’irrigué. Ainsi les espagnols distinguent très clairement le « secano » et le « regadío ».
Outre ses aspects culturaux, on peut également évoquer, sur ce thème de l’agriculture, la concurrence agricole entre les régions du « midi » et celles du « sud », ces dernières ayant un avantage de quelques semaines sur celles du midi. C’est-à-dire que leurs productions arrivent à maturité quelques semaines plus tôt, avec toutes les questions que cela soulève et que connaissent bien les spécialistes.
« B », Bleu.
Bleu, comme le ciel de la Méditerranée, au moins pendant l’été, et comme cette mer limpide. Un bleu qu’arborent les cartes postales et les photos des agences de voyage, images touristiques qui sont au fondement de la représentation que nous avons de cet espace. Car c’est en effet du marketing que vient l’image que nous avons de la Méditerranée. Ce bleu qui semble la caractériser est pourtant loin d’être une vision universelle. Ainsi, pour les géographes arabes, on ne dit pas la mer bleue, mais « Al-Bahr Al-Abyad Al Muttawasit », la mer blanche du milieu. Les turcs la dénomment la mer Blanche - « Akdeniz » -, mer du Sud, par opposition à la mer Noire, celle du Nord, et les Égyptiens, la mer verte. A chacun sa couleur ! Méditerranée polychrome.
« C », Climat.
La Méditerranée est la seule mer, dans le monde, à avoir donné son nom à un ensemble climatique régional. Il n’existe pas, dans le langage, un climat caraïbe, ou un climat de l’Océan Indien. Je me permets de souligner cette singularité car il s’agit là d’un facteur absolument structurant, d’un facteur d’unité à l’exception des régions montagneuses. Le climat méditerranéen se caractérise par le fait que les maximums thermiques correspondent aux minimums pluviométriques. Comprenez que les étés sont secs, les hivers et les automnes pluvieux avec des précipitations très concentrées. La durée d’ensoleillement par an varie de 2 400 à 3 500 heures contre, par exemple, 1630 à Paris et 1970 en moyenne nationale française. L’eau représente donc un enjeu important, un enjeu à risque...
« C », Côtes.
On parle volontiers de mer. C’est oublier que cet espace s’apparente plutôt à un plan d’eau extrêmement articulé. 4000 kilomètres séparent Gibraltar de Beyrouth ; la distance Nord-Sud n’excède pas 800 km (Gênes en Italie/Bizerte en Tunisie). Entre ces points extrêmes, un système de péninsules, de caps, d’îles majeures et d’îles mineures, lequel génère 46 000 kilomètres de côtes. Ainsi les riverains méditerranéens, lorsqu’ils naviguent, ne sont jamais à plus de 350 kilomètres d’une côte. C’est la raison pour laquelle, depuis toujours, l’homme a pu naviguer sur ce plan d’eau, dans une forme de cabotage plus ou moins risqué, puisqu’ayant toujours la possibilité de trouver des havres.
Autre singularité : la Méditerranée est une mer presque fermée. A l’Est, au droit du détroit du Bosphore, la largeur entre les deux rives est d’un kilomètre environ ; à l’Ouest, du côté de Gibraltar, il oscille, selon les lieux, entre 13 et 39 kilomètres. Quant au canal de Suez, qui relie cet espace à la mer Rouge, il est large de 60 mètres, avec un tirant d’eau de 16 mètres sur 16 km de long. Que peut-on en déduire ? Que cette mer se renouvelle très lentement. Or, le climat méditerranéen étant chaud et sec, les précipitations et l’apport fluvial, notamment par la Mer Noire, ne suffisent pas à pallier l’évaporation. Autrement dit, le niveau de cette mer baisserait s’il n’y avait l’apport atlantique. L’apport atlantique, c’est 70 000 mètres cubes par seconde, ce qui signifie, en définitive, qu’il faut 90 ans pour renouveler toute l’eau du bassin. Une singularité qui explique que cette mer soit particulièrement sensible aux problèmes de pollution.
« D », Démographie.
Actuellement, il y a un peu moins de 500 millions d’habitants dans cette région du monde, le chiffre pouvant varier selon les limites que l’on donne à cet espace. A l’horizon 2025, selon les estimations du Plan Bleu [1], la population serait de 523 millions d’habitants, avec une répartition nord-sud inversée. En 1950, 60% des habitants vivaient sur les rives nord de la Méditerranée, 40% au sud. En 2025, en raison des décalages de croissance démographique, nous devrions assister à un renversement démographique, les rives sud abritant 60% de la population contre 40% au nord. Mais stoppons net les fantasmes d’invasion migratoire : la transition démographique s’est opérée dans tous les pays du sud et de l’est de la Méditerranée et ce, jusqu’en Iran. Seule exception : Gaza où l’on observe une forte fécondité d’inspiration patriotique.
« F », Forêt.
La forêt participe elle-aussi au décor. Mais notez que, à la différence des cartes postales des agences de voyages, le cactus et l’agave ne sont pas d’origine méditerranéenne. La forêt méditerranéenne est une forêt de types thermophile et xérophile, c’est-à-dire composée d’espèces végétales aimant la chaleur et/ou adaptées aux milieux secs. Il s’agit donc de milieux fragiles.
Au nord, ces milieux occupent 37% de la superficie totale, au sud 14% et à l’est 5%.
« F », Frontière.
De nombreuses frontières sont fermées au Proche-Orient mais aussi, au Maghreb. D’autres sont critiques notamment dans les Balkans méditerranéens. Des frontières closes pour prévenir tout risque migratoire. Voilà la réalité à laquelle se heurte le beau rêve d’intégration.
« G », Géopolitique et Géostratégie.
Dans ces domaines, il existe quantité de problèmes en suspend, que l’on évoque l’échec de l’Union du Maghreb Arabe ou encore le processus de paix israélo-palestinien dont on parle fréquemment mais qui, en réalité, n’aboutit pas [2]. Autre problème, la question des relations entre la Grèce et la Turquie. Précisons tout de même, pour en souligner l’importance, que la crise grecque s’explique en partie par les dépenses effectuées par le gouvernement grec pour tout ce qui concerne la défense vis-à-vis de son voisin turc. Et réciproquement d’ailleurs.
Pour autant la Méditerranée n’est plus, depuis 1991, une zone de tension majeure, au regard de ce qui se passe, par exemple, dans le golfe Persique ou dans l’Océan Indien.
Par exemple, l’escadre russe n’est plus vraiment présente en Méditerranée. Elle a certes un port d’attache à Tartous en Syrie mais il n’y a qu’un seul bateau. De même la 6ème flotte américaine basée à Naples ne comporte plus de porte-avions : tout est désormais concentré à Barheïn dans le golfe Persique.
Néanmoins, elle reste, tout comme la mer Baltique et la Mer du Nord, un point d’entrée, une voie de transit et de passage vers le Moyen-Orient.
« H », Histoire.
Je laisse le soin à Henry Laurens d’en parler plus longuement. J’aimerais ici rappeler une seule chose : la mer, le climat, le fait d’être riverain avec une liberté de circulation comme ce fut par exemple le cas avec les colonies grecques en Sicile [3], tous ces éléments favorisent depuis toujours le sentiment d’une histoire commune, donc d’un mythe unitaire. Pourtant, il n’y a jamais eu d’unité politique de la Méditerranée à l’exception de l’empire romain, empire euro-méditerranéen, pendant deux siècles et demi. Ce mythe de l’unité n’est qu’une construction purement intellectuelle qui participe à une logique de domination.
« I ». Je vous propose ici trois entrées. « I », comme « Iles »… C’est une évidence. Les îles, décor fétiche des cartes postales. Elles participent elles-aussi au mythe méditerranéen et représentent 4% de la surface de la mer Méditerranée.
« I », « Inégalités ».
Cet aspect est fondamental. Les inégalités entre le nord et le sud de la Méditerranée sont bien plus marquées qu’entre le Mexique et les Etats-Unis. Gibraltar ne se situe qu’à 13km de distance des côtes marocaines. Pourtant l’écart entre les niveaux de vie, selon les différents modes de calcul, s’élèverait de 1 à 13 ! Comment l’expliquer ? Par le fait que les régions du sud de l’Europe – l’Andalousie, la Sicile ou la Grèce – ont largement bénéficié des transferts liés à la construction européenne. Ainsi s’est creusé l’écart entre les deux rives, alors qu’auparavant, les niveaux de vie entre la Sicile et la Tunisie, l’Andalousie et le Maroc étaient à peu près équivalents. Désormais il y a non pas un décalage mais un véritable décrochage. Non seulement les disparités se sont considérablement creusées, mais les écarts sont devenus plus importants que nulle part ailleurs. Or il ne s’agit pas là d’une réalité méconnue : tout le monde le sait. Tout le monde sait que « l’herbe est plus verte » au Nord. Cela constitue évidemment un facteur de tension important.
« I », « Interface ».
C’est la réponse aux fractures. Les interfaces sont des territoires d’échanges et de flux humains tout à fait considérables. Il faut savoir qu’il y a cent vols par jour entre les villes françaises et les villes marocaines, dans un sens comme dans l’autre. Nous avons là un véritable business, des personnes qui voyagent soit pour des raisons familiales, touristiques ou même professionnelles, l’organisation de colloques étant plus facile au Maroc.
Il existe donc des institutions d’interface entre le nord et le sud. Mais parallèlement, si interface il y a, les problèmes d’intégration demeurent. Il n’y a pas véritablement d’intégration. Plusieurs raisons expliquent cela. D’une part, l’Egypte tourne le dos à cette région du monde ; en ce sens, on ne peut l’assimiler, d’un point de vue géopolitique, à un pays méditerranéen. D’autre part, la Libye fait bande à part. Et le reste est bloqué par la guerre froide entre le Maroc et l’Algérie.
« L », Littoral.
La Méditerranée se trouve confrontée à un phénomène de littoralisation. Au Nord comme au Sud, les populations s’entassent dans des métropoles surchargées. Au Nord, 75 millions de citadins ; au Sud 85 millions. On peut le regretter et ce d’autant plus que la littoralisation va continuer.
« M », Mère.
Non plus la "mer" mais la "mère" Méditerranée au sens que suggère Edgar Morin, celui de matrice. Voilà qui nous convie à réinterroger le mythe méditerranéen et cette idée d’une construction commune. Une construction où se mêlent l’héritage romain du cadastre et du droit écrit, la singularité des systèmes agraires, la particularité des paysages agricoles mais aussi celle des paysages urbains avec la place, le forum, le marché, l’agora, ce lieu de rencontre et d’échange. Cette idée d’un creuset de civilisation a un effet collatéral, nommé Europe. En effet, lorsque l’on se penche sur les idéologies fondatrices de la construction européenne, on se réfère en fait à des espaces méditerranéens. Sur ce point je me permets de vous rappeler que le terme "Europe" prend son sens géopolitique lorsque les cités grecques installent des colonies agricoles en Sicile : on parle alors de « Grèce d’Europe ».
« O », Olivier.
Ou plutôt devrait-on dire, au regard des agronomes ici présents, olea. Citer l’olivier, c’est rappeler qu’il est utilisé comme marqueur de l’espace méditerranéen. En France, à Nyons, dans la Drôme, les oliviers bercés par le vent signalent l’espace méditerranéen. L’olivier est aussi « l’arbre de paix »... Mais cet aspect appartient à la mythologie.
« R » comme Réconciliation et Ressentiment.
Réconciliation.
L’une des caractéristiques des relations nord/sud autour de cette mer intérieure est que l’on a le sentiment que les processus de réconciliation sont, dans le meilleur des cas, inachevés. Dans la réalité, beaucoup diront qu’ils n’ont pas abouti. Je déplore la mauvaise qualité des relations officielles entre la France et l’Algérie, l’Algérie et la France. Le dialogue est difficile et cette situation a des incidences sérieuses dans les deux pays. Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé que l’on songe aux relations entre l’Algérie et le Maroc, à la situation – bloquée - au Proche-Orient, à celle entre la Grèce et la Turquie où surviennent, chaque jour, des incidents militaires entre les marines. Certes, entre l’Italie et la Libye, le climat s’est détendu, moyennant un chèque substantiel à la clé. De la Real Politik pure.
Conclusion : la réconciliation doit être un horizon à atteindre. Et dans ce domaine, les politiques ont une responsabilité centrale : ils doivent montrer la voie. Ce n’est pas toujours le cas.
Ressentiment.
Un ressentiment profond persiste entre les deux rives, lié à la perception d’une histoire à la fois commune et contradictoire.
Parallèlement, on rencontre, parmi les élites du Sud, une attente à notre égard. Celle-ci se traduit à la fois par une demande de respect, une demande d’appui aux processus démocratiques et de transfert des connaissances. Au sein du processus de l’Union pour la Méditerranée, on retrouve ces divers aspects dans les textes publiés et les accords.
Bousculant l’ordre de cet abécédaire, je conclus avec la lettre « P ». « P », comme Platon dans le Phédon. Qui sommes-nous ? Platon disait, à propos de la mer commune : « Nous sommes comme des grenouilles autour d’un marais. Nous sommes tous assis au bord de la mer ».
"Le bréviaire géographique de la Méditerranée". L’Intervention de Michel Foucher, Professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris, lors des 16èmes Controverses de Marciac "La Méditerrannée au coeur de l’Europe : sonder les fractures, dévoiler les failles, révéler les accords".
Plus d'informations sur Agrobiosciences.org - septembre 2010
Pour en saisir toute la diversité, ce géographe a procédé tel un peintre... par petites touches successives. C’est ainsi sous la forme d’un abécédaire, proposant de multiples entrées, qu’il nous donne à lire la singularité de cet espace, les lignes de fracture qui le traversent comme les enjeux qu’il doit et devra relever. Une intervention que publie la Mission Agrobiosciences et qu’elle vous invite à découvrir.
Le bréviaire géographique de la Méditerranée
Michel Foucher. La Méditerranée existe-t-elle ? La question m’avait été posée par la revue « l’Histoire ». J’aurais tendance à y répondre par l’affirmative mais tout dépend, en fait, de ce que l’on entend par Méditerranée, un terme qui, tout comme le mot Europe, recouvre des réalités extrêmement différentes. Dans l’un comme dans l’autre cas, on emploie ces deux mots sans plus de précision, par paresse intellectuelle. Voilà pourquoi, en introduction de ces journées, je vous propose d’aborder la Méditerranée sous un angle original sous la forme d’un lexique parcourant l’alphabet de A jusqu’à Z. Je ne sélectionnerai qu’une douzaine d’entrées, sans prétention à l’exhaustivité, sachant qu’il y aura des entrées un peu plus longues que les autres.
« A » : Alphabet.
Ce dernier est une invention phénicienne, structurante pour les peuples qui sont autour de la Méditerranée, mais importée des Acadiens de la Mésopotamie.
« A », Agriculture.
Il y a une agriculture méditerranéenne. Schématiquement, elle se caractérise par deux types de pratiques agricoles : le sec et l’irrigué. Ainsi les espagnols distinguent très clairement le « secano » et le « regadío ».
Outre ses aspects culturaux, on peut également évoquer, sur ce thème de l’agriculture, la concurrence agricole entre les régions du « midi » et celles du « sud », ces dernières ayant un avantage de quelques semaines sur celles du midi. C’est-à-dire que leurs productions arrivent à maturité quelques semaines plus tôt, avec toutes les questions que cela soulève et que connaissent bien les spécialistes.
« B », Bleu.
Bleu, comme le ciel de la Méditerranée, au moins pendant l’été, et comme cette mer limpide. Un bleu qu’arborent les cartes postales et les photos des agences de voyage, images touristiques qui sont au fondement de la représentation que nous avons de cet espace. Car c’est en effet du marketing que vient l’image que nous avons de la Méditerranée. Ce bleu qui semble la caractériser est pourtant loin d’être une vision universelle. Ainsi, pour les géographes arabes, on ne dit pas la mer bleue, mais « Al-Bahr Al-Abyad Al Muttawasit », la mer blanche du milieu. Les turcs la dénomment la mer Blanche - « Akdeniz » -, mer du Sud, par opposition à la mer Noire, celle du Nord, et les Égyptiens, la mer verte. A chacun sa couleur ! Méditerranée polychrome.
« C », Climat.
La Méditerranée est la seule mer, dans le monde, à avoir donné son nom à un ensemble climatique régional. Il n’existe pas, dans le langage, un climat caraïbe, ou un climat de l’Océan Indien. Je me permets de souligner cette singularité car il s’agit là d’un facteur absolument structurant, d’un facteur d’unité à l’exception des régions montagneuses. Le climat méditerranéen se caractérise par le fait que les maximums thermiques correspondent aux minimums pluviométriques. Comprenez que les étés sont secs, les hivers et les automnes pluvieux avec des précipitations très concentrées. La durée d’ensoleillement par an varie de 2 400 à 3 500 heures contre, par exemple, 1630 à Paris et 1970 en moyenne nationale française. L’eau représente donc un enjeu important, un enjeu à risque...
« C », Côtes.
On parle volontiers de mer. C’est oublier que cet espace s’apparente plutôt à un plan d’eau extrêmement articulé. 4000 kilomètres séparent Gibraltar de Beyrouth ; la distance Nord-Sud n’excède pas 800 km (Gênes en Italie/Bizerte en Tunisie). Entre ces points extrêmes, un système de péninsules, de caps, d’îles majeures et d’îles mineures, lequel génère 46 000 kilomètres de côtes. Ainsi les riverains méditerranéens, lorsqu’ils naviguent, ne sont jamais à plus de 350 kilomètres d’une côte. C’est la raison pour laquelle, depuis toujours, l’homme a pu naviguer sur ce plan d’eau, dans une forme de cabotage plus ou moins risqué, puisqu’ayant toujours la possibilité de trouver des havres.
Autre singularité : la Méditerranée est une mer presque fermée. A l’Est, au droit du détroit du Bosphore, la largeur entre les deux rives est d’un kilomètre environ ; à l’Ouest, du côté de Gibraltar, il oscille, selon les lieux, entre 13 et 39 kilomètres. Quant au canal de Suez, qui relie cet espace à la mer Rouge, il est large de 60 mètres, avec un tirant d’eau de 16 mètres sur 16 km de long. Que peut-on en déduire ? Que cette mer se renouvelle très lentement. Or, le climat méditerranéen étant chaud et sec, les précipitations et l’apport fluvial, notamment par la Mer Noire, ne suffisent pas à pallier l’évaporation. Autrement dit, le niveau de cette mer baisserait s’il n’y avait l’apport atlantique. L’apport atlantique, c’est 70 000 mètres cubes par seconde, ce qui signifie, en définitive, qu’il faut 90 ans pour renouveler toute l’eau du bassin. Une singularité qui explique que cette mer soit particulièrement sensible aux problèmes de pollution.
« D », Démographie.
Actuellement, il y a un peu moins de 500 millions d’habitants dans cette région du monde, le chiffre pouvant varier selon les limites que l’on donne à cet espace. A l’horizon 2025, selon les estimations du Plan Bleu [1], la population serait de 523 millions d’habitants, avec une répartition nord-sud inversée. En 1950, 60% des habitants vivaient sur les rives nord de la Méditerranée, 40% au sud. En 2025, en raison des décalages de croissance démographique, nous devrions assister à un renversement démographique, les rives sud abritant 60% de la population contre 40% au nord. Mais stoppons net les fantasmes d’invasion migratoire : la transition démographique s’est opérée dans tous les pays du sud et de l’est de la Méditerranée et ce, jusqu’en Iran. Seule exception : Gaza où l’on observe une forte fécondité d’inspiration patriotique.
« F », Forêt.
La forêt participe elle-aussi au décor. Mais notez que, à la différence des cartes postales des agences de voyages, le cactus et l’agave ne sont pas d’origine méditerranéenne. La forêt méditerranéenne est une forêt de types thermophile et xérophile, c’est-à-dire composée d’espèces végétales aimant la chaleur et/ou adaptées aux milieux secs. Il s’agit donc de milieux fragiles.
Au nord, ces milieux occupent 37% de la superficie totale, au sud 14% et à l’est 5%.
« F », Frontière.
De nombreuses frontières sont fermées au Proche-Orient mais aussi, au Maghreb. D’autres sont critiques notamment dans les Balkans méditerranéens. Des frontières closes pour prévenir tout risque migratoire. Voilà la réalité à laquelle se heurte le beau rêve d’intégration.
« G », Géopolitique et Géostratégie.
Dans ces domaines, il existe quantité de problèmes en suspend, que l’on évoque l’échec de l’Union du Maghreb Arabe ou encore le processus de paix israélo-palestinien dont on parle fréquemment mais qui, en réalité, n’aboutit pas [2]. Autre problème, la question des relations entre la Grèce et la Turquie. Précisons tout de même, pour en souligner l’importance, que la crise grecque s’explique en partie par les dépenses effectuées par le gouvernement grec pour tout ce qui concerne la défense vis-à-vis de son voisin turc. Et réciproquement d’ailleurs.
Pour autant la Méditerranée n’est plus, depuis 1991, une zone de tension majeure, au regard de ce qui se passe, par exemple, dans le golfe Persique ou dans l’Océan Indien.
Par exemple, l’escadre russe n’est plus vraiment présente en Méditerranée. Elle a certes un port d’attache à Tartous en Syrie mais il n’y a qu’un seul bateau. De même la 6ème flotte américaine basée à Naples ne comporte plus de porte-avions : tout est désormais concentré à Barheïn dans le golfe Persique.
Néanmoins, elle reste, tout comme la mer Baltique et la Mer du Nord, un point d’entrée, une voie de transit et de passage vers le Moyen-Orient.
« H », Histoire.
Je laisse le soin à Henry Laurens d’en parler plus longuement. J’aimerais ici rappeler une seule chose : la mer, le climat, le fait d’être riverain avec une liberté de circulation comme ce fut par exemple le cas avec les colonies grecques en Sicile [3], tous ces éléments favorisent depuis toujours le sentiment d’une histoire commune, donc d’un mythe unitaire. Pourtant, il n’y a jamais eu d’unité politique de la Méditerranée à l’exception de l’empire romain, empire euro-méditerranéen, pendant deux siècles et demi. Ce mythe de l’unité n’est qu’une construction purement intellectuelle qui participe à une logique de domination.
« I ». Je vous propose ici trois entrées. « I », comme « Iles »… C’est une évidence. Les îles, décor fétiche des cartes postales. Elles participent elles-aussi au mythe méditerranéen et représentent 4% de la surface de la mer Méditerranée.
« I », « Inégalités ».
Cet aspect est fondamental. Les inégalités entre le nord et le sud de la Méditerranée sont bien plus marquées qu’entre le Mexique et les Etats-Unis. Gibraltar ne se situe qu’à 13km de distance des côtes marocaines. Pourtant l’écart entre les niveaux de vie, selon les différents modes de calcul, s’élèverait de 1 à 13 ! Comment l’expliquer ? Par le fait que les régions du sud de l’Europe – l’Andalousie, la Sicile ou la Grèce – ont largement bénéficié des transferts liés à la construction européenne. Ainsi s’est creusé l’écart entre les deux rives, alors qu’auparavant, les niveaux de vie entre la Sicile et la Tunisie, l’Andalousie et le Maroc étaient à peu près équivalents. Désormais il y a non pas un décalage mais un véritable décrochage. Non seulement les disparités se sont considérablement creusées, mais les écarts sont devenus plus importants que nulle part ailleurs. Or il ne s’agit pas là d’une réalité méconnue : tout le monde le sait. Tout le monde sait que « l’herbe est plus verte » au Nord. Cela constitue évidemment un facteur de tension important.
« I », « Interface ».
C’est la réponse aux fractures. Les interfaces sont des territoires d’échanges et de flux humains tout à fait considérables. Il faut savoir qu’il y a cent vols par jour entre les villes françaises et les villes marocaines, dans un sens comme dans l’autre. Nous avons là un véritable business, des personnes qui voyagent soit pour des raisons familiales, touristiques ou même professionnelles, l’organisation de colloques étant plus facile au Maroc.
Il existe donc des institutions d’interface entre le nord et le sud. Mais parallèlement, si interface il y a, les problèmes d’intégration demeurent. Il n’y a pas véritablement d’intégration. Plusieurs raisons expliquent cela. D’une part, l’Egypte tourne le dos à cette région du monde ; en ce sens, on ne peut l’assimiler, d’un point de vue géopolitique, à un pays méditerranéen. D’autre part, la Libye fait bande à part. Et le reste est bloqué par la guerre froide entre le Maroc et l’Algérie.
« L », Littoral.
La Méditerranée se trouve confrontée à un phénomène de littoralisation. Au Nord comme au Sud, les populations s’entassent dans des métropoles surchargées. Au Nord, 75 millions de citadins ; au Sud 85 millions. On peut le regretter et ce d’autant plus que la littoralisation va continuer.
« M », Mère.
Non plus la "mer" mais la "mère" Méditerranée au sens que suggère Edgar Morin, celui de matrice. Voilà qui nous convie à réinterroger le mythe méditerranéen et cette idée d’une construction commune. Une construction où se mêlent l’héritage romain du cadastre et du droit écrit, la singularité des systèmes agraires, la particularité des paysages agricoles mais aussi celle des paysages urbains avec la place, le forum, le marché, l’agora, ce lieu de rencontre et d’échange. Cette idée d’un creuset de civilisation a un effet collatéral, nommé Europe. En effet, lorsque l’on se penche sur les idéologies fondatrices de la construction européenne, on se réfère en fait à des espaces méditerranéens. Sur ce point je me permets de vous rappeler que le terme "Europe" prend son sens géopolitique lorsque les cités grecques installent des colonies agricoles en Sicile : on parle alors de « Grèce d’Europe ».
« O », Olivier.
Ou plutôt devrait-on dire, au regard des agronomes ici présents, olea. Citer l’olivier, c’est rappeler qu’il est utilisé comme marqueur de l’espace méditerranéen. En France, à Nyons, dans la Drôme, les oliviers bercés par le vent signalent l’espace méditerranéen. L’olivier est aussi « l’arbre de paix »... Mais cet aspect appartient à la mythologie.
« R » comme Réconciliation et Ressentiment.
Réconciliation.
L’une des caractéristiques des relations nord/sud autour de cette mer intérieure est que l’on a le sentiment que les processus de réconciliation sont, dans le meilleur des cas, inachevés. Dans la réalité, beaucoup diront qu’ils n’ont pas abouti. Je déplore la mauvaise qualité des relations officielles entre la France et l’Algérie, l’Algérie et la France. Le dialogue est difficile et cette situation a des incidences sérieuses dans les deux pays. Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé que l’on songe aux relations entre l’Algérie et le Maroc, à la situation – bloquée - au Proche-Orient, à celle entre la Grèce et la Turquie où surviennent, chaque jour, des incidents militaires entre les marines. Certes, entre l’Italie et la Libye, le climat s’est détendu, moyennant un chèque substantiel à la clé. De la Real Politik pure.
Conclusion : la réconciliation doit être un horizon à atteindre. Et dans ce domaine, les politiques ont une responsabilité centrale : ils doivent montrer la voie. Ce n’est pas toujours le cas.
Ressentiment.
Un ressentiment profond persiste entre les deux rives, lié à la perception d’une histoire à la fois commune et contradictoire.
Parallèlement, on rencontre, parmi les élites du Sud, une attente à notre égard. Celle-ci se traduit à la fois par une demande de respect, une demande d’appui aux processus démocratiques et de transfert des connaissances. Au sein du processus de l’Union pour la Méditerranée, on retrouve ces divers aspects dans les textes publiés et les accords.
Bousculant l’ordre de cet abécédaire, je conclus avec la lettre « P ». « P », comme Platon dans le Phédon. Qui sommes-nous ? Platon disait, à propos de la mer commune : « Nous sommes comme des grenouilles autour d’un marais. Nous sommes tous assis au bord de la mer ».
"Le bréviaire géographique de la Méditerranée". L’Intervention de Michel Foucher, Professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris, lors des 16èmes Controverses de Marciac "La Méditerrannée au coeur de l’Europe : sonder les fractures, dévoiler les failles, révéler les accords".
Plus d'informations sur Agrobiosciences.org - septembre 2010
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