Penser la Méditerranée au XXIe siècle : les débats tenus lors des dernières Rencontres d’Averroès à Marseille, fin novembre, sont diffusés toute la semaine dans “La Fabrique de l’histoire” sur France Culture. Un concert de voix fortes, parfois dissonantes, d’historiens, philosophes, artistes…, pour éclairer les zones d’ombre de l’espace méditerranéen aujourd’hui.
Depuis vingt ans, les Rencontres d’Averroès, conçues par Thierry Fabre et organisées par l’espace culture de Marseille, en partenariat avec France Culture, explorent l’histoire et le présent de la Méditerranée pour en saisir les richesses et les failles.
Juriste et philosophe arabo-andalou, né à Cordoue en 1126, Averroès est resté la figure symbolisant la pensée rationnelle dans l’Islam médiéval, le passeur modèle entre les cultures du monde méditerranéen (c’est lui qui réintroduisit la pensée d’Aristote dans la pensée européenne). Sous son patronage symbolique, ces Rencontres réunissent chaque année des penseurs issus de tous les horizons disciplinaires – philosophie, sociologie, histoire, anthropologie, esthétique…
La Méditerranée, “personnage historique”
Les tables rondes, tenues en public, dressent une cartographie spatiale et mentale très précise et articulée des enjeux qui traversent cet espace complexe. Avec en ligne de mire un mystère, à creuser et à sonder, comme une ligne obsessionnelle : la Méditerranée, salué par l’historien Fernand Braudel comme un vrai “personnage historique”, est-elle un espace politique qui fait sens ? Peut-on “essentialiser” la Méditerranée comme un espace qui se suffirait à lui-même, comme un objet de pensée producteur d’enjeux propres ? Ou l’artifice de sa “construction” ne masque-t-il pas des fractures irréversibles entre les parties qui la composent ?
Pour Thierry Fabre, il est décisif d’éviter “les points de vue unilatéraux”.“Nous nous efforçons de penser la Méditerranée des deux rives, et ce, afin d’offir un regard décentré et réciproque sur cet espace”, insiste-t-il. A l’occasion de cet anniversaire, célébré du 28 novembre au 1er décembre dernier, les cinq tables rondes ont eu le mérite de rappeler, synthétiser et dépasser les questions centrales de ces vingt dernières années, sachant que “la tonalité des Rencontres a bien évidemment changé”. “Dans les années 90, nous étions dans un horizon d’attente plus ouvert ; au fil du temps, surtout après le 11 septembre 2001, l’horizon n’a cessé de s’assombrir. Les questions du tragique et de la guerre ont donc pris de plus en plus de place dans nos débats”, observe Thierry Fabre.
Emmanuel Laurentin, animateur de plusieurs de ces tables rondes, propose toute la semaine dans son émission La Fabrique de l’histoire sur France Culture, les moments les plus forts de ces discussions haletantes : la question des mémoires et de la transmission des héritages culturels ; la question de la Méditerranée comme échelle de pensée et de compréhension ; la question du féminin et du masculin ; la question de la guerre et de la paix ; la question des esthétiques nouvelles.
L’occasion d’entendre les réflexions stimulantes de Barbara Cassin, Alain de Libéra ou Ali Benmakhlouf sur les héritages andalou et judéo-arabe et l’usage qu’en font les divers peuples méditerranéens ; d’entendre Jocelyne Cardini, Brigitte Marin ou Carla Eddé analysant les fractures politiques de cet espace hétérogène ; ou encore Irène Théry, Pinar Selek ou Yalda Younès évoquant les formes encore persistantes de la domination masculine ; ainsi que Gilbert Achcar, Hamit Bozarslan ou Denis Charbit s’attrister de la paix impossible en Palestine ou de l’abandon de la résistance syrienne par la communauté occidentale…
Déjouer le piège du jargon
Par-delà la complexité de chacune des questions abordées durant ces Rencontres, où la géopolitique se mêle à la sociologie, l’histoire à la prospective, la philosophie à l’art…, les Rencontres d’Averroès déjouent le piège du jargon et de l’opacité de l’expertise ; ici, les auditeurs partagent en bonne intelligence les raisonnements des intervenants. Un souci de clarification caractérise avant tout ces discussions exigeantes mais accessibles, à l’image d’une vraie université populaire. C’est aussi l’indice de la réussite des Rencontres d’Averroès : inventer un lieu de circulation de la parole, sans frontières, où la mobilité de la pensée accompagne le rêve d’une Méditerranée où la conflictualité s’associerait à l’apaisement, la pluralité à la liberté des peuples, Averroès aux penseurs et leaders actuels. Une Méditerranée autant fidèle à ses héritages anciens qu’insoumise aux injonctions de la guerre des civilisations.
20es Rencontres d’Averroès
La Fabrique de l’Histoire : Du lundi 23 décembre au vendredi 27 décembre sur France Culture de 9h05 à 10 h
Par Jean-Marie Durand - Source de l'article les Inrocks
Par Jean-Marie Durand - Source de l'article les Inrocks
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire