A un mois de son lancement officiel prévu le 13 juillet prochain à Paris, que reste-t-il du nébuleux projet d'Union pour la Méditerranée (UPM, ex-Union méditerranéenne) voulu par Nicolas Sarkozy ?Pour mémoire, rappelons l'histoire du projet.
Le 6 mai 2007, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle française, Nicolas Sarkozy lance à la surprise générale un de ces missiles fumeux dont son conseiller spécial Henri Guaino a le secret. Le nouveau locataire de l'Elysée promet ni plus ni moins de bâtir de ses petites mains une "Union méditerranéenne".
Le 6 mai 2007, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle française, Nicolas Sarkozy lance à la surprise générale un de ces missiles fumeux dont son conseiller spécial Henri Guaino a le secret. Le nouveau locataire de l'Elysée promet ni plus ni moins de bâtir de ses petites mains une "Union méditerranéenne".
L'idée de cette nouvelle union entre les pays des deux rives de la Méditerranée était apparue deux ans auparavant, lancée par Jean-Louis Guigou, ex-directeur de la DATAR, et Panagiotis Roumenotis, ex-ministre des Finances grec et président du CALAME (Centre d'Analyse et de Liaison des Acteurs de la Méditerranée). Constatant l'échec lamentable d'Euromed, plus connu sous le nom de Processus de Barcelone, initié lui en 1995 pour aider au développement des pays méditerranéens, les deux hommes pensent qu'il faut créer une "Communauté du Monde méditerranéen" plus ou moins calquée sur celle de l'Europe. Des intellectuels néo-conservateurs pro-israéliens reprennent l'idée lorsque Israël déclenche en août 2006 sa désastreuse guerre contre le Liban chiite.
Pour ces idéologues, faire coopérer l'Etat juif et les pays arabo-musulmans méditerranéens dans une même communauté économique permet avant tout de diviser le monde arabe et de faire taire ses critiques contre Israël. Ils s'inspirent en cela du plan du Grand Moyen-Orient lancé par l'administration Bush, dont l'idée principale était d'apporter "la paix et la démocratie" en recomposant tous les pays du Moyen-Orient au sein d'une même unité politique.
On sait aujourd'hui ce que cela a donné mais l'idée ne manque pas d'inspirer le très atlantiste et très pro-israélien Nicolas Sarkozy qui s'empare du projet, d'autant plus que celui-ci peut en plus constituer un lot de consolation pour la Turquie dont il refuse catégoriquement l'adhésion à l'Union Européenne. Il nomme un diplomate, Alain Le Roy, chargé d'étudier le dossier puis, en visite d'Etat au Maroc en octobre 2007, il prononce un discours qui appelle tous les hommes de bonne volonté des pays riverains de la Méditerranée à mettre en place avec lui une "coopération d'égal à égal entre le Nord et le Sud", notamment en matière économique et politique, mais aussi militaire, culturelle et sociale.
Reproduire l'expérience de la construction europénne à l'échelle des pays de la Méditerranée est selon lui le meilleur moyen de sortir du "cycle infernal de la vengeance et de la haine" entre Israël et les Arabes.Mollement appuyé par la Grèce, l'Espagne et l'Italie, le projet sarkozyste d'Union méditerranéenne s'élance dès lors laborieusement sur les rails... avant de stopper bientôt devant la chancelière allemande Angela Merkel.
Cette dernière, qui ne cache pas sa préférence pour les pays d'Europe de l'Est, exprime clairement son mécontentement, estimant que ce projet monté sans aucune concertation fait concurrence à l'Europe en marginalisant ses institutions et risque même d'en entraver la construction. Plusieurs capitales ainsi que la Commission et le Parlement européen sont tout aussi réticents, jugeant peu claire cette initiative du président français qu'ils soupçonnent de vouloir faire cavalier seul pour étendre sa zone d'influence vers le sud.
À Paris, même Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État à l'UE chargé entre autres travaux de préparer la présidence française de l'UE du second semestre 2008, juge que le projet d'Union méditerranéenne tel que "pensé" par Henri Guaino et Nicolas Sarkozy brouille la politique européenne de la France. Du coup, Nicolas Sarkozy doit en rabattre sérieusement sur ses prétentions.
Lors du sommet européen de mars 2008, conformément aux voeux d'Angela Merkel, c'est finalement toute l'Union Européenne qui entre dans le projet d'Union méditerranéenne, vidé auparavant de sa substance et amputé de ses objectifs au profit d'une revitalisation du Processus de Barcelone agonisant.
Les ambitions, les champs d'intervention et le budget du projet sont foncièrement réduits et recadrés car pour l'Europe il s'agit désormais d'établir de simples échanges dans des domaines consensuels comme l'environnement, l'énergie, l'eau, les transports ou encore la formation et la culture.
À l'occasion, le partenariat euro-méditerranéen pourra éventuellement lui être utile pour parler aussi commerce, sécurité, lutte antiterroriste ou flux migratoires. Pas moins de 44 pays, dont une moitié non-méditerranéens, peuvent du coup participer: les 27 états membres de l'Union Européenne, les 13 membres du Processus de Barcelone (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Mauritanie, Jordanie, Israel, Turquie, Liban, Syrie, Albanie et Palestine), et quelques autres pays comme la Croatie, la Bosnie, le Monténégro et la principauté de Monaco. Pour que les choses soient bien claires, le projet de Nicolas Sarkozy est même rebaptisé: il ne s'appelle plus "Union méditerranéenne" mais "Union pour la Méditerranée".
Enfin, dernier petit camouflet, la Commission européenne fait savoir qu'elle ne souhaite pas que Nicolas Sarkozy assure la présidence de l'Union pour la Méditerranée en 2008 et précise que l'éventuel engagement de la Turquie dans le projet n'excluera pas ce pays du processus d'adhésion à l'UE.
Du côté arabe -- 9 pays arabes plus les Palestiniens sont concernés --, le projet d'Union pour la Méditerranée est mollement approuvé par le Maroc de Mohammed VI, la Tunisie de Ben Ali et l'Egypte de Moubarak, tous soumis à l'activisme brouillon qui tient lieu de diplomatie française.
Mais de sérieuses réserves, voire de franches oppositions, se font entendre ailleurs. Le concept de "Politique Européenne de Voisinage" (PEV), qui a supplanté le Processus de Barcelone et qui consiste à "offrir aux pays du Sud l'occasion de participer à diverses activités de l'UE par le biais d'une coopération étroite sur les plans politique, économique, culturel et sécuritaires", selon les documents préparatoires du projet d'UPM, laisse très sceptiques des pays comme l'Algérie d'Abdelaziz Bouteflika, la Syrie de Bachar Al-Assad ou encore la Lybie de Mouammar Kadhafi. Le Liban et la Turquie restent eux aussi très méfiants sur ce projet ausi vague que flou de partenariat euro-mediterranéen.
Plusieurs autres pays demandent des éclaircissements, notamment sur les volets "financement" et "sécurité", craignant un marché de dupes en raison du fort désiquilibre entre les deux rives et du manque de précision sur l'engagement financier de l'Europe. En treize années d'existence, les dépenses en faveur des programmes méditerranéens (MEDA) n'ont en effet même pas atteint le seuil de 9 milliards d'euros. Sans réponses à leurs questions, tous s'interrogent donc sur la stratégie et les moyens mis en oeuvre par Nicolas Sarkozy et tous se demandent également pourquoi limiter l'Union pour la Méditerranée à seulement dix pays arabes alors que des pays d'Europe de l'Est et de la Baltique en font eux partie.
Mais pour beaucoup, c'est avant tout le conflit israélo-palestinien qui constitue un obstacle majeur au partenariat, l'UE et Nicolas Sarkozy ayant jusqu'à présent fait preuve d'un engagement nettement pro-israélien. Quoiqu'en dise le président français qui affirme que la présence d'Israël ne pose "pas de problème" à plusieurs pays arabes, de nombreuses questions demeurent dans ces pays sur le rôle de l'Etat hébreu au sein d'un tel ensemble. S'afficher en outre le 13 juillet prochain à Paris en compagnie du Premier ministre israélien Ehud Olmert sur la photo de baptême de l'Union pour la Méditerranée, c'est aussi quelque part cautionner les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis par Israël au Liban, en Syrie et dans les Territoires palestiniens.
Et même si le président palestinien Mahmoud Abbas annonce sa venue au raout sarkozyste, ainsi que le nouveau président du Liban Michel Sleimane, et même peut-être le président syrien Bachar Al-Assad, la Ligue arabe n'apprécie guère la tentative française de normaliser comme si de rien n'était les relations israélo-arabes en dehors des résolutions de l'ONU et du Plan de paix qu'elle a adopté en 2002 à Beyrouth.
Celui-ci comporte notamment une résolution essentielle -- confirmée encore lors du dernier sommet arabe de Ryad (Arabe Saoudite) -- qui réclame l'évacuation des territoires palestiniens occupés illégalement par Israël depuis 1967 contre la normalisation des relations israélo-arabes.Lors du mini-Sommet des Chefs d'Etat arabes -- Algérie, Tunisie, Lybie, Maroc, Syrie et Mauritanie étaient présents -- tenu les 10 et 11 juin à Tripoli pour examiner différents sujets portant sur l'Union du Maghreb Arabe (UMA) et l'Union pour la Méditerranée (UPM), le colonel Kadhafi, revêtant son habit de leader panafricain, n'a pour sa part pas hésité à qualifier l'initiative sarkozyste de manoeuvre pour casser l'unité arabe.
Exprimant franchement ce que d'autres expriment plus diplomatiquement, il a souligné que "Si l'Europe veut coopérer avec nous, qu'elle le fasse avec la Ligue arabe ou l'Union africaine". Selon le Guide de la Jamahiriya libyenne, "L'Union Européenne veille sur son unité et a rejeté fermement l'initiative de notre cher ami Sarkozy. La Ligue arabe n'acceptera de même pas plus de disperser ses rangs et de détruire son unité", ajoutant que "Les pays arabes ne sont ni des affamés ni des chiens pour qu'ils nous jettent des os.
Ce sont eux qui ont besoin de nos richesses et de notre pétrole".Quelques jours auparavant, lors de la 15ème conférence ministérielle du Forum méditerranéen (Formed) qui a réuni 11 pays le 6 juin à Alger, l'Algérie a également exprimé de sérieuses réticences sur cette Union pour la Méditerranée, souhaitant d'abord recevoir davantage de précisions sur le financement et la finalité du projet.
Les diplomates algériens ont en particulier tenu à souligner que les pays membres de la future UPM n'ayant pas de relations avec Israël ne doivent pas être contraints de coopérer avec l'Etat hébreu tant que la question palestinienne ne sera pas réglée. Le président Bouteflika a en outre encore de sérieux griefs contre Nicolas Sarkozy et il tient à régler quelques comptes avant de se prononcer sur sa participation au sommet fondateur de l'UPM. Bernard Kouchner, débarqué à Alger en espérant y cueillir des voix de nouveaux membres, n'a pu que rentrer bredouille à Paris.
Le Maroc a de son côté décidé de participer à l'UPM, mais sans beaucoup d'enthousiasme, craignant également que l'UE monopolise selon son bon vouloir les futures décisions. Rabat a d'ailleurs déjà fait savoir que le roi Mohamed VI sera sans doute diplomatiquement occupé ailleurs le 13 juillet.
Très critique sur le projet, la Syrie profite pour sa part du soudain intérêt que lui prodigue la France depuis quelques semaines, alors que Nicolas Sarkozy, à l'instar de son mentor George W. Bush, l'avait il y a peu carrément mis au ban des états fréquentables et avait rompu toute relation avec Bachar Al-Assad. Ce dernier est aujourd'hui en train de monnayer, sans doute chèrement, sa présence au sommet de Paris.
Ne reculant devant aucun argument, l'Elysée l'a même invité à assister le lendemain, avec les autres chefs d'Etat présents, au défilé du 14 juillet. Tant pis pour le symbole des Droits de l'homme, qui de toutes façons en a déjà vu bien d'autres sous Sarkozy (cf. la visite du colonel Kadhafi à Paris en décembre 2007).
Quant à la Turquie, elle n'oublie pas que Nicolas Sarkozy est l'un des plus farouches opposants à son adhésion à l'Europe et elle entend bien lui faire payer ses prises de position. Ankara est en mesure d'entraver sérieusement les projets de la France et de l'Europe, notamment en matière énergétique et militaire, et la présence du président turc Abdullah Gül à Paris le 13 juillet est loin d'être acquise.
Seules la Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali et l'Egypte de Hosni Moubarak -- à qui Nicolas Sarkozy a très imprudemment fait miroiter la co-présidence et le siège du secrétariat de l'UPM -- semblent favorables, sous certaines réserves, au projet d'Union pour la Méditerranée.Au final, malgré l'activisme d'un Quai d'Orsay prêt à toutes les compromissions pour que le baptême de l'UPM ne se transforme pas le même jour en funérailles de la diplomatie française, la suspicion et les interrogations demeurent pour la plupart des pays de la rive sud de la Méditerranée. Le projet reste trop nébuleux et l'objectif du président français -- qui multiplie par ailleurs les déclarations contradictoires -- de les conduire à réhabiliter Israël via cette union avec l'Europe n'est sans doute pas le meilleur moyen de les mobiliser.
Ce d'autant plus qu'il a pesé de tout le poids de la France pour que l'UE signe à part le 16 juin, à peine trois jours après le sommet de Paris, un partenariat renforcé avec Israël, introduisant ainsi de sérieux doutes sur ses promesses de traitement équilibré et égalitaire.Après son recadrage de fond en comble par l'Europe, le projet d'Union pour la Méditerranée cher à Nicolas Sarkozy devra donc sans doute encore une fois être réécrit s'il ne veut pas suivre le destin de feu le Processus de Barcelone.
Cette fois sans arrière-pensée, en expliquant clairement les objectifs, et sans oublier les desiderata des pays arabes impliqués dans le projet sans avoir rien demandé.
La République des Lettres, jeudi 12 juin 2008
La République des Lettres, jeudi 12 juin 2008
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