Plus l’échéance du Sommet du 13 juillet 2008 à Paris approche, plus le projet de l’Union pour la Méditerranée (UpM) prend forme et… gagne en plasticité. Depuis quelques semaines en effet, l’initiative initialement perçue comme française épouse désormais les traits d’une reconquête européenne sur le théâtre capricieux de la zone méditerranéenne. Paris aura au moins réussi ce pari là : remobiliser l’attention, des décideurs comme des commentateurs, sur l’importance stratégique à stimuler le développement en Méditerranée, tout en remettant les problématiques de cette région au rang des priorités européennes en matière de politique étrangère. L’UpM, c’est finalement un formidable outil pour faire parler de Méditerranée, avec, toute chose égale par ailleurs, le pire comme le meilleur dans les discours. Au début de l’année 2008, les doutes fourmillaient autour de cette initiative souvent considérée comme une manœuvre diplomatique de la France aux seules visées hexagonales. Depuis, un travail déterminant a été effectué par la cellule ad hoc placée sous l’autorité de la présidence de la république française, non sans liens étroits avec les plus solides conseils du Quai d’Orsay sur ce dossier, afin de soigner la présentation et de mieux expliquer les objectifs et la démarche proposés par la France avec l’UpM.
Le compromis de Hanovre
C’est ces dernières semaines que Paris est parvenue à recueillir un soutien, certes minimal mais tout de même officiel, de la part de la Commission européenne et des pays européens les plus sceptiques, dont l’Allemagne. Celle-ci, longtemps critique sur la méthode méditerranéenne prônée par le nouvel hôte de l’Elysée, s’est montrée plus ouverte à partir de mars, comme l’en a alors attesté le compromis franco-allemande de Hanovre, dont on peut penser qu’il n’est qu’un consensus mou, mais qui à l’arrivée s’avère pour l’heure décisif pour la dynamique du projet. Projet dont on rappellera qu’il figure au rayon des ambitions prioritaires du Président Nicolas Sarkozy pour ce qui relève de la politique internationale de la France, et de l’Europe, du moins, pour cette dernière, quand Paris en assurera la présidence au second semestre 2008.
L’avancée obtenue à Hanovre n’est pas mince. Les 13 et 14 mars dernier, Berlin s’est accordée avec Paris pour que l’UpM soit bien une initiative s’inscrivant dans la droite lignée du Partenariat euro-méditerranéen (PEM). La Commission européenne n’a pu que se satisfaire de cette approche redéfinie étant donné qu’elle a depuis lors mandat pour redonner une impulsion au PEM. Désormais officiellement baptisée « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée », le projet va devoir imprimer sa marque, du moins exprimer son objectif à terme, dans un périmètre élargi par rapport à l’ambition initiale du président Nicolas Sarkozy : c’est l’ensemble de la communauté euro-méditerranéenne qui est maintenant concerné, soit les 27 Etats membres de l’UE, les 12 pays partenaires méditerranéens membres du processus de Barcelone (l’Albanie et la Mauritanie s’y sont récemment ajoutés en plus des dix pays engagés depuis 1995), sans oublier de potentielles adjonctions parmi les Etats balkaniques et les autres Etats riverains de la Méditerranée (Libye notamment, micro-Etats tel Monaco ou Saint-Marin également).
Résultat, le compromis de Hanovre, c’est en quelque sorte du Barcelone aiguisé par la nouvelle dynamique de l’UpM, avec le pari non négligeable de voir l’Euro-Méditerranée relancé par cette nouvelle sémantique censée induire de véritables solidarités concrètes entre les peuples du Bassin méditerranéen. Le président français l’a concédé publiquement dans un discours à Monaco le 25 avril 2008, « Sur l’Union pour la Méditerranée, il y a eu beaucoup de scepticisme de la part de certains partenaires européens (…) J’ai voulu changer de stratégie, car jusqu’à maintenant on avait commencé par la gouvernance. Je souhaite que l’on rapproche les rives Nord et Sud sur des projets ». Mais pour l’Elysée, nul doute à avoir : le compromis de Hanovre est une bonne synthèse, un tremplin plus qu’un frein. Le risque toutefois, c’est que l’UpM soit aujourd’hui davantage politique que technique, et que à l’instar de Barcelone, les discussions multilatérales et la mise en œuvre de projets structurants buttent sur les épineuses questions que sont les tensions régionales, le manque de gouvernance et un climat des affaires peu propice car trop souvent opaque. C’est là tout le défi pour le Sommet de juillet : faire valider une démarche fondée sur la primauté des projets, aussi concrets que possible, tout en écartant sans les ignorer les problèmes politiques dont on sait bien qu’ils ne seront pas résolus dans le seul cadre de la coopération euro-méditerranéenne.
Quelle distribution des rôles ?
C’est sans doute pour cette raison que les autorités françaises multiplient les déclarations sur le fait que l’UpM constitue avant tout une Union de projets. Et pour donner du crédit politique à cette initiative, le soin est pris de dessiner les contours institutionnels de cette Union, afin de pouvoir en décider pleinement à l’occasion du Sommet du 13 juillet 2008. Ainsi, il est convenu que l’UpM soit doté d’un Secrétariat technique permanent : c’est la ville de Tunis qui pourrait abriter ce siège, dont la localisation dans un pays de la rive Sud constituerait assurément un message fort. Reste que ce choix éventuel suscite déjà des controverses, avec, parmi les sceptiques, le fait que la capitale tunisienne ne jouit pas d’un environnement démocratique idoine. A l’inverse, on ne peut pas reprocher à la Tunisie d’être depuis longtemps une ardente militante pour la coopération en Méditerranée, ce qui s’est traduit d’ailleurs dès le départ par un soutien manifeste du Président tunisien pour le projet de l’UpM.
Autre décision à faire adopter lors du Sommet de juillet, le choix de la co-présidence de l’UpM. Il est convenu depuis le compromis de Hanovre que cette présidence serait double et paritaire Nord-Sud, pour une durée de deux ans. La France espère bien entendu être la représente du Nord (donc de l’Europe), à moins que des experts européens en législation communautaire annoncent qu’il n’est pas compatible de cumuler à partir de juillet 2008 la présidence de l’UE et la co-présidence de l’UpM. Côté méridional, l’Egypte serait bien placée pour obtenir un tel mandat, comme l’indiquerait la récente visite du président Hosni Moubarak à Paris pour y rencontrer Nicolas Sarkozy et les déclarations dans la presse faites dans ce sens par le ministre français des Affaires étrangères. A l’Elysée comme au Quai d’Orsay, on recherche le soutien du Caire pour porter efficacement l’UpM, jouer le rôle habituel de médiateur au sein du monde arabe et ainsi maximiser les chances de réussite du Sommet de juillet. Dernière niche institutionnelle qui serait à pourvoir à l’issue du Sommet, le portefeuille de Secrétaire général de l’UpM, c’est-à-dire celui qui sera chargé de piloter le Secrétariat technique et politique. Le Maroc, soutien stratégique mais aussi conditionnel pour la France sur le dossier de l’UpM, ne serait pas mécontent de placer à ce poste l’un de ses hauts fonctionnaires dont l’itinéraire croise fréquemment les questions méditerranéennes.
Un contexte méditerranéen peu propice
Dans ce climat diplomatico-tactique, où la spéculation tourne à plein régime (en attestent les innombrables colloques consacrés actuellement à l’UpM), il ne faudrait pas ignorer les récentes évolutions politiques en Espagne et en Italie, deux pays ayant ouvertement apporté leur soutien au projet français lors du fameux appel tripartite de Rome du 20 décembre 2007. José Luis Rodriguez Zapatero a facilement été réélu pour diriger l’Espagne jusqu’en 2012, avec sans aucun doute une politique déterminée de son gouvernement à toujours renforcer les politiques de coopération en Méditerranée. Madrid étant fortement attachée à Barcelone, nul doute qu’elle fera de son mieux pour positionner l’Euro-Méditerranée en 2010 quand elle présidera à son tour l’Union européenne. En revanche, l’Italie s’est de nouveau prononcée pour l’alternance, mettant fin aux années Prodi sans faire confiance, pour l’heure, au jeune Parti démocrate emmené par le candidat Walter Veltroni. Les Italiens ont redonné les clefs de la péninsule à l’insatiable Silvio Berlusconi, dont la victoire nette sur le Parti démocrate tire en partie sa source sur le score important de ses alliés de la Ligue du Nord dirigé par Umberto Bossi. Avec le retour aux affaires du « Cavaliere », c’est donc une Italie assurément différente qui se présentera au Sommet de juillet, par rapport à celle que pouvait incarner un Romano Prodi, réputé pour son savoir-faire européen.
Enfin, comment ne pas craindre un recul de certains chefs d’Etat et de gouvernement arabes à la veille du sommet de juillet, étant donné que le président français Nicolas Sarkozy se rendra en Israël fin juin, quelques jours avant le rendez-vous décisif de Paris. Or les tensions au Proche-Orient et la défiance des leaders arabes à l’égard d’Israël, facteurs paralysants de la coopération euro-méditerranéenne depuis 1995, pourraient de nouveau peser sur l’organisation du Sommet. Le colonel Kadhafi aurait déjà indiqué qu’il ne viendrait pas à Paris, tandis que du côté d’Alger, on laisse planer le doute sur la participation d’Abdelaziz Bouteflika. Si l’on ajoute à cela le fait que la Slovénie, actuellement présidente de l’UE, ne mâche pas toujours ses mots à propos de l’initiative française de l’UpM, plusieurs faits montrent toute la complexité à porter ce projet et garantir à l’avance le succès du Sommet de juillet.
Quels projets identifiés pour l’UpM ?
Alors évidemment, nombreux étaient ceux qui attendaient une nouvelle percée médiatique du chef d’Etat français sur son projet de l’UpM. Sa visite officielle en Tunisie du 28 au 30 avril dernier fut l’occasion pour Nicolas Sarkozy de s’exprimer sur la Méditerranée et son avenir. A Tunis, le 30 avril, devant les étudiants de l’Institut national des sciences appliquées et de technologie, le président français a surpris par sa nouvelle charge à l’encontre du Processus de Barcelone, qui « n’a pas marché parce que tout vient du Nord ». Et de poursuivre, sans hésiter, alors que ses propres déclarations à l’égard du président Ben Ali retentissaient encore dans la tête des tunisiens, « Barcelone, c’est le Nord qui aide le Sud, ce n’est pas le partenariat entre les peuples (…) La France a donc proposé l’idée d’une union entre tous les pays de la Méditerranée, fondée sur l’égalité des droits et l’égalité des devoirs. Voilà la nouveauté ». Rien n’est faux dans ces propos, tout juste conviendrait-il de les mettre en application ou du moins de les accorder avec d’autres prises de parole publiques effectuées la veille où la Tunisie fut décrite comme un pays où « l’espace des libertés progresse ». Malgré cette maladresse, le discours de Tunis aura été important car confirmant les projets concrets identifiés par la France ces derniers mois à l’issue de consultations informelles nombreuses avec les pays concernés, la Commission européennes et de nombreux experts mobilisés au quotidien sur la coopération méditerranéenne. En effet, début avril, l’équipe élyséenne mobilisée pour l’UpM avait communiqué à ses partenaires une liste contenant une série de premières propositions de projets concrets afin de lancer le débat et tester de leur pertinence avant le sommet de juillet, où un nombre restreint de projets sera alors validé. Douze projets à géométrie variable, fondés sur le volontariat, figure sur le document de travail élaboré par l’Elysée.
Nicolas Sarkozy en a publiquement énuméré dix dans son discours : dépollution de la mer Méditerranée, gestion efficiente et durable des ressources en eau, plan solaire méditerranéen, autoroutes maritimes, centre de protection civile, protection du littoral, sécurité maritime, centre méditerranéenne de la recherche scientifique, coopération interuniversitaire et office méditerranéen de la jeunesse. Cette liste est assurément séduisante, mais demeure soumise pour le moment à l’avis des pays européens et méditerranéens (qui peuvent formuler d’autres projets ou suggérer d’autres pistes de travail) et à des financements dédiés. Or, qu’ils soient publics ou privés, ces derniers ne se bousculent visiblement pas au portillon du Grand Palais, là où devrait se tenir à Paris le sommet du 13 juillet 2008. Mais le président français préfère ici botter en touche : « les financements sont un prétexte à l’impuissance et à l’absence de volonté (…) c’est parce que les projets sont bons qu’ils suscitent leur financement ». Soit, mais cette rhétorique pour la Méditerranée, pourrait comme la question du pouvoir d’achat en France, autre promesse politique du Président Nicolas Sarkozy, se heurtait à des réalités bien cruelles, avec des caisses pas forcément vides dans tous les pays du pourtour méditerranéens, mais sans aucun doute verrouillées sur des placements à terme plus juteux qu’une initiative diplomatique dont la concrétisation, à Paris, le 13 juillet prochain, demeure fortement incertaine. A la fin de son discours de Tunis, Nicolas Sarkozy s’y est pourtant risqué : « Je vous fais une promesse : si l’Union pour la Méditerranée devient réalité, cette union, elle changera le monde ».
Les préparatifs de l’UpM se poursuivent donc, dans une atmosphère à la fois porteuse car cette initiative a le mérite depuis un an d’alerter décideurs et opinions publiques sur l’enjeu méditerranéen mais également fragile puisque rater le rendez-vous du 13 juillet serait à nouveau planter une banderille dans l’enceinte complexe mais nécessaire de la coopération euro-méditerranéenne.
Antonio Cinus - Revue Conflueces Méditeranée - Le 12 mai 2008
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