Et pourquoi pas un Erasmus méditerranéen ?

Albert Claude Benhamou, professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris-VI), plaide pour la création d'une université de l'Union pour la Méditerranée, voire d'une université numérique virtuelle de la Méditerranée.
Depuis l'Antiquité la Méditerranée a été au cœur du développement de la civilisation occidentale. Via les échanges commerciaux les croisements culturels se sont intensifiés entre les peuples de la mer du Milieu des terres des Hébreux, de la mer Blanche des Turcs, de la mer Blanche du milieu des Arabes, du Grand-Vert des Égyptiens, de la Mare Nostrum des Romains, ou encore de la mer de l'Ouest ou mer des Philistins de l'Ancien Testament.

Ces échanges sans cesse renouvelés au long de l'histoire des peuples des pays du bassin méditerranéen ont contribué à la constitution progressive d'une aire géoculturelle particulière, composée d'une mosaïque bigarrée et multiple de couches culturelles, philosophiques, religieuses, politiques, dont les apports ont fondé les valeurs civilisatrices les plus avancées du monde, celles qui font l'essence de la démocratie et du progrès.
À l'heure de la mondialisation, les risques d'appauvrissement culturel de l'humanité liés au développement d'une langue internationale dominante et de la pensée unique sont immenses.

C'est pourquoi il est essentiel de protéger les héritages culturels du passé, fondateurs de nos identités particulières, diverses et multiples, incluant le respect de l'autre, sa reconnaissance et ses droits : le capital culturel des peuples méditerranéens fait partie du patrimoine mondial de l'humanité et il est encore, et pour longtemps porteur de nouveaux enrichissements.

C'est la raison pour laquelle le projet d'Union pour la Méditerranée nous paraît avoir un formidable potentiel pour alimenter puissamment la capacité de résistance aux effets délétères d'une mondialisation de la pensée qu'il est urgent de combattre.

Cette fonction est au cœur des missions de l'Université garante du multiculturalisme et du passage de relais aux nouvelles générations des héritages des civilisations passées.
L'université de l'Union pour la Méditerranée de demain apportera ainsi une redynamisation spécifique et nouvelle de ses communautés régionales, qui, en s'associant, recréeront de la richesse dans les domaines du dialogue des civilisations, de la diversité des échanges multiculturels et multilingues.
Il sera ainsi essentiel que les communautés hispanophones, lusophones, arabophones, francophones, italianophones, anglophones, hellénophones, hébraïquophones, puissent se reconnaître dans de nouveaux liens et de nouveaux programmes de coopération, en assurant en particulier des parcours des formations scolaires et universitaires originaux, bi ou multilatéraux.
Cette union nouvelle permettra aux jeunes méditerranéens de pouvoir saisir la chance de puiser dans leurs racines régionales, les splendides richesses des savoirs de nos peuples.
L'aire géoculturelle méditerranéenne n'aura pas vocation à se refermer sur elle-même mais au contraire à s'ouvrir aux autres, en particulier aux pays de l'Union européenne qui pourront travailler dans une nouvelle complémentarité. C'est bien le sens de la déclaration de Nicolas Sarkozy lors de la Journée internationale de la francophonie, le 20 mars 2008, à la Cité universitaire à Paris : «Le sentiment d'appartenance à une communauté humaine et l'identité nationale sont les bases indispensables d'une plus grande ouverture au monde.»
Les contiguïtés interrégionales seront aussi mises à profit, entre l'espace méditerranéen et l'espace de l'Asie mineure et celui de l'Europe de l'Est par exemple. Au lieu d'être dans la verticalité des échanges Nord-Sud traditionnels, souvent porteurs de résidus néocolonialistes, l'Union pour la Méditerranée fonctionnera dans la transversalité. C'est cette «horizontalisation» des croisements culturels entre les pays du pourtour méditerranéen, qui est l'apport spécifique de ce projet, dont il faut saluer la pertinence et le besoin.
Les universitaires peuvent s'en réjouir, car cette opération d'ouverture et de transfert d'égal à égal est au cœur de leur mission. Enseignants et étudiants, citoyens concernés par les formations tout au long de la vie, pourront en effet trouver dans ce nouvel espace universitaire méditerranéen de nombreuses possibilités d'échanges solidaires qui se développeront dans le cadre d'un programme Erasmus méditerranéen, à l'instar du programme Erasmus européen, d'ores et déjà à l'œuvre, et qui est bien sûr un bon exemple à suivre.
C'est ainsi que se constitueront les fondations de l'université de l'Union pour la Méditerranée, dont l'influence et la diffusion des réalisations s'appuieront bien sûr sur les apports du numérique. En effet à l'ère du numérique, les moyens modernes de communication d'une université virtuelle de la Méditerranée, qui sera à construire, permettront dans tous les domaines de l'éducation, de la formation professionnelle, de la santé, du commerce, etc. le renforcement des échanges solidaires, des compétences et des «codiplômations», permis par les parcours du programme Erasmus méditerranéen à naître.
La Méditerranée apportera ainsi au monde de nouveaux bienfaits, en revalorisant l'héritage du passé, en lui donnant un nouveau sens, indispensable pour l'avenir des nouvelles générations. Avec Chateaubriand nous pourrions demander à cette mer bienfaisante : «Levez-vous vite, orages désirés !»
Le Figaro.fr - Lundi 23 juin 2008

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