Correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France Presse (AFP) à Beyrouth (1969-1979), responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’AFP (1980-1990), ancien conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient chargé de l’information (1989-1994), René Naba est notamment l’auteur de plusieurs ouvrages.
Propos recueillis à Bruxelles
Quels sont les changements apportés par Nicolas Sarkozy à la politique traditionnelle de la France dans le Monde arabe ?
Nicolas Sarkozy a voulu célébrer le premier anniversaire de son entrée en fonction comme 6e président de la Ve République française en le couplant avec voyage officiel en Israël, au moment des célébrations du 60e anniversaire de la création de l’Etat hébreu, afin de conférer un relief particulier à cet évènement et signifier par là sa véritable rupture avec la traditionnelle position de la diplomatie française.
Le premier président français de « sang-mêlé », tel qu’il se revendique, est, sans la moindre contestation possible, le plus pro-israélien des chefs d’Etat de l’Histoire de France, le plus honni aussi des dirigeants français au sein de l’opinion arabe depuis Guy Mollet, l’ancien premier ministre socialiste de sinistre mémoire, l’ordonnateur via son proconsul, Robert Lacoste, des ratonnades d’Alger, le maître d’œuvre de l’expédition de Suez, en 1956, l’agression tripartite franco-anglo-israélienne contre Nasser, le chef charismatique du nationalisme arabe.
Programmé à l’apogée de sa carrière pour constituer une apothéose à son pouvoir, ce voyage intervient toutefois au périgée de sa popularité, alors que le paysage est de surcroît particulièrement chahuté avec le nouveau revers diplomatique du camp pro-occidental au Liban, les rebuffades essuyées par George Bush du fait des dirigeants de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte lors de sa dernière tournée au Moyen-orient, le 14 mai dernier, et les rebondissements judiciaires concernant le premier ministre israélien, Ehud Olmert.
Ce voyage a même été décalé d’un mois pour éviter un télescopage dans l’opinion entre son hommage à l’indépendance d’Israël et la dépossession palestinienne, dont une large fraction de l’opinion mondiale aussi bien dans le Monde arabe qu’en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Europe, en rendent responsables les pays occidentaux.
Mais il a quand même changé depuis quelque temps...
Court-circuité dans la stabilisation de la situation libanaise et l’amorce de pourparlers syro-israéliens, Nicolas Sarkozy paraît comme en voie de marginalisation, en panne d’inspiration, à la recherche d’un second souffle. Son projet phare de l’Union euro- méditerranéenne est battu en brèche et son équipe frappée de désuétude devant le nouveau cours de l’histoire de la politique régionale.
Court-circuité dans la stabilisation de la situation libanaise et l’amorce de pourparlers syro-israéliens, Nicolas Sarkozy paraît comme en voie de marginalisation, en panne d’inspiration, à la recherche d’un second souffle. Son projet phare de l’Union euro- méditerranéenne est battu en brèche et son équipe frappée de désuétude devant le nouveau cours de l’histoire de la politique régionale.
Son déplacement perd, de ce fait, de son éclat, au point d’apparaître comme caricaturalement encombrant, de par la sollicitation excessive de cette amitié, tant pour le pays hôte que pour le visiteur, voire un handicap pour la diplomatie du meilleur ami français d’Israël.
Afin de déblayer la voie à ce voyage et reconquérir le terrain perdu dans le Monde arabe, à tout le moins atténuer les critiques quant à son alignement outrageusement inconditionnel sur la politique israélienne, Nicolas Sarkozy s’est appliqué à faire une visite-éclair au Liban, début juin, et à envoyer son Premier ministre, François Fillon, signer un accord de coopération sur le nucléaire civil à Alger, le 21 juin, soit la veille de sa visite en Israël.
L’accord franco-algérien prévoirait la livraison à l’Algérie de réacteurs nucléaires par le groupe Areva et la formation de personnels du centre nucléaire d’Alger et comporte un deuxième volet sur la défense.
Pour tenter de calmer le courroux arabe, la France a fait savoir en outre que Nicolas Sarkozy se rendra « quelques heures » en Palestine, sans doute pour une photo avec poignée de main avec le président palestinien Mahmoud Abbas, une opération « PO and PR : photo opportunity and public relations », opération de compensation bien connue des voyagistes américains, destinée à la galerie et visant à établir un faux équilibre de traitement. Grâce lui soit donc rendue.
Mais au-delà des opérations « PO-PR », qu’y a-t-il de substantiel dans ces changements ?
La France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne (UE) et Nicolas Sarkozy, prenant le relais des Etats-Unis, s’emploie à dépasser le clivage israélo-arabe au profit d’un front commun anti-iranien au sein d’une Union méditerranéenne.
Dans ce contexte, le projet d’Union méditerranéenne apparaît comme un dérivatif au combat visant à sécuriser l’espace national arabe, de la même manière que l’Afghanistan a détourné les Arabes de leur principal champ de bataille, le combat pour la libération de la Palestine et des autres territoires arabes (Golan, Sud-Liban) de l’occupation israélienne.
Sceller une Union transméditerranéenne sur la base d’une division raciale du travail, « l’intelligence française et la main d’œuvre arabe », selon le schéma esquissé par Nicolas Sarkozy dans son discours de Tunis le 28 avril dernier, augure mal de la viabilité d’un projet qui signe la permanence d’une posture raciste au sein de l’élite politico-médiatique française, une posture manifeste à travers les variations séculaires sur ce même thème opposant tantôt « la chair à canon » au « génie du commandement » forcément français lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918), tantôt « les idées » du génie français face au pétrole arabe » pour reprendre le slogan de la première crise pétrolière (1973) : « Des idées, mais pas du pétrole. »
Substituer de surcroît l’Iran à Israël comme le nouvel ennemi héréditaire des Arabes viserait à exonérer les Occidentaux de leur propre responsabilité dans la tragédie palestinienne, en banalisant la présence israélienne dans la zone au détriment du voisin millénaire des Arabes, l’Iran, dont le potentiel nucléaire est postérieur de 60 ans à la menace nucléaire israélienne et à la dépossession palestinienne.
Dans cette perspective, la diplomatie nucléaire de Nicolas Sarkozy apparaît comme un leurre. Elle se présente comme une offre pour mineurs frappés d’incapacité, dont la capacité nucléaire sera maintenue ad vitam sous tutelle, dont l’objectif caché est d’éponger le surplus monétaire généré par les pétrodollars, de la même manière que les gros contrats d’armements des décennies 1980-1990 avaient ponctionné les trésoreries des pétromonarchies.
L’Algérie ne s’y est pas trompée. Sur les dix centrales qu’elle projette de construire sur son territoire, elle a déjà engagé une coopération avec les Etats-Unis dans ce domaine, et projette de le faire aussi avec la Chine et la Russie, sans passif colonial dans la zone, n’assignant à la France qu’une portion congrue du marché.
Et à l’horizon, comment voyez-vous les événements futurs ?
Le nouveau tropisme arabe de Nicolas Sarkozy ne doit pas faire illusion non plus. Il ne résulte pas d’un libre choix, mais d’un choix contraint. Un choix par défaut, largement conditionné par le désaveu de l’Irlande au projet de traité européen de Lisbonne dont il a été l’un des grands artisans, la rebuffade de son nouvel ami libyen sur la coopération transméditerranéenne et la déconfiture de ses deux meilleurs alliés, les coqueluches des médias occidentaux, les parangons de la civilisation atlantiste, le président américain George Bush et le Premier ministre israélien Ehud Olmert.
Le pari de Nicolas Sarkozy sur ces deux personnalités, en fin de mandat piteux, s’est révélé être à l’usage « le pari d’un tricard sur deux tocards », pour reprendre l’expression argotique puisée du jargon national. Au point que l’hypothèse du report du voyage de ce « sang-mêlé » dans son pays de prédilection est envisagée pour la deuxième fois depuis le début de son mandat.
Au point que le président syrien Bachar Al Assad, si vilipendé par ailleurs mais dont la présence au sommet euro-méditerranéen de Paris est néanmoins ardemment souhaitée, apparaît, paradoxalement, et contre toute attente, comme le sauveur de la diplomatie sarkozienne en plein naufrage.
Amina Stilte - El Watan - le 26 juin 2008
Amina Stilte - El Watan - le 26 juin 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire