Mezri Haddad, philosophe tunisien, s'interroge sur ce que sera l'Union pour la Méditerranée voulue par Nicolas Sarkozy.
Désormais, il ne s'agit plus de l'Union méditerranéenne mais de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Par-delà cette inflexion terminologique, que recèle cette nouvelle dénomination ?
Un abandon de l'ambition française originelle ou un changement sémantique dans la continuité stratégique ? Une chose est certaine, ce projet géopolitique majeur n'est plus exclusif mais inclusif : il ne concerne plus uniquement les pays des rives nord et sud de la Méditerranée, mais l'ensemble des États du Sud ainsi que tous les membres de l'Union européenne.
L'Allemagne a réussi à imposer ses exigences en phagocytant le projet initial, mais la France n'a pas pour autant perdu la face.
Et pour cause : en dépit des rivalités de leadership entre une Allemagne tournée vers l'est et une France regardant vers le sud ; nonobstant le refus ou la réticence de certains pays arabes de s'associer à une union où Israël est géographiquement concernée, la déclaration de naissance de l'UPM sera bel et bien annoncée le 13 juillet prochain, lors du sommet des chefs d'États à Paris.
Mais, suffit-il de naître pour exister ? Bien des questions demeurent en suspens : va-t-on définitivement abandonner le processus de Barcelone, lancé en 1995, et son excroissance, dialogue 5 + 5, initié en 2003 précisément pour relancer un partenariat euroméditerranéen agonisant faute de moyens et d'ambitions réelles ?
Va-t-on au contraire ne pas tenir compte de l'échec de ce processus, en choisissant de le réactiver moyennant quelques améliorations cosmétiques ou tactiques ?
D'une part les énormes investissements qui seront injectés dans certains ex-pays de l'Est que l'URSS a laissé exsangues, désormais futurs membres de l'UE, et d'autre part les investissements dans les pays du Sud, futurs membres de l'UPM, sont-ils conjointement possibles et compatibles ?
En d'autres termes, l'UE a-t-elle les moyens de cette double ambition ? Quels seront les projets prioritaires de l'UPM ? Quels vont être ses instruments institutionnels, son mode de gouvernance et ses moyens financiers ? Comment cette Union va-t-elle surmonter son principal talon d'Achille, à savoir tous ces conflits actuels ou potentiels : israélo-palestinien, syro-israélien, algéro-marocain sur la question du Sahara occidental, hispano-marocain sur la question de Ceuta et Melilla, hispano-britannique sur la question de Gibraltar, turco-grec sur la réunification de Chypre, libano-libanaise… ?
Et les États-Unis d'Amérique dans tout cela ? Ne voient-ils pas dans l'UPM un projet alternatif à leur éphémère et bien chaotique Grand Moyen-Orient ?
Déjà en 1989, dans ses Mémoires des deux rives, Jacques Berque, le précurseur de l'unité méditerranéenne, se demandait s'il n'y avait pas «quelques paradoxes à préconiser une construction méditerranéenne au moment où le pays (Liban) qui aurait dû en offrir l'exemple privilégié s'effondre dans la destruction.
Il faut l'avouer, entre la Palestine occupée, le Liban suicidaire et Chypre en trois morceaux, la Méditerranée fournit au monde un lugubre échantillonnage d'erreurs et de châtiments».
Malgré ses obstacles consubstantiels que les bonnes volontés finiront par vaincre , l'idée d'Union pour la Méditerranée reste mobilisatrice et porteuse d'espérance. C'est toujours par des vues utopiques que s'accomplissent les grands desseins. N'est-ce pas sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale que les bases de l'UE ont été jetées ?
Néanmoins, pour que l'UPM soit un projet d'avenir et qu'il soit profitable à l'ensemble des protagonistes, afin qu'il infléchisse la marche d'un monde unipolaire et de plus en plus menacé par les conflits régionaux et par le terrorisme, pour qu'il devienne un instrument de développement, de pacification et de concorde, il faut qu'il soit un projet de civilisation.
Bien plus qu'à l'émergence d'une nouvelle zone d'échange économique ou d'un nouveau bloc géopolitique, c'est à la naissance, ou plutôt renaissance, d'une civilisation méditerranéenne que nous devons tous travailler. Renaissance, car les racines existent et elles sont carthaginoise, grecque, romaine, juive, chrétienne, islamique. Quoi qu'en ait dit Paul Valéry, les civilisations ne sont pas mortelles. «Qu'est-ce que la Méditerranée ? s'interrogeait Fernand Braudel. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais une succession de civilisations entassées les unes sur les autres.»
La Mare Nostrum a été, en effet, un carrefour des civilisations et le berceau des trois grandes religions monothéistes. Cette «machine à civilisations», selon Paul Valéry, peut redevenir un grand bassin d'échange interculturel et de dialogue interreligieux, la source d'une civilisation résolument humaniste et universaliste, radical antidote au choc des civilisations conjecturé par Huntington.
Mais cette civilisation ne peut pas voir le jour sans la construction graduelle, par le changement des mentalités, d'une véritable identité commune méditerranéenne. L'Union doit pouvoir se réaliser sur la base d'un même repère identitaire et d'un même sentiment d'appartenance, celui a une histoire partagée et a un avenir commun. C'est encore Braudel qui écrivait : «Avoir été, c'est une condition pour être.»
Le Figaro.fr - Lundi 23 juin 2008
Le Figaro.fr - Lundi 23 juin 2008
Non Delenda Carthago, Carthage ne sera pas détruite : Autopsie de la campagne antitunisienne (Broché) de Mezri Haddad (Auteur)
Editeur : Editions du Rocher (12 janvier 2006)
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