La Méditerranée, espace de sécurité pour l'Union européenne

La Méditerranée, espace de sécurité pour l'Union européenne (IHEDN - 61e session nationale 2008-2009)
SYNTHESE

1. La compréhension des enjeux de sécurité euro-méditerranéenne nécessite de remettre en perspective les linéaments qui fondent la singularité et la cohérence d’un espace fortement contrasté.
La Méditerranée est d’abord un lieu de brassage des cultures et des civilisations, longtemps centre de gravité de l’Occident, du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, qui a donné à une part importante de l’humanité le sentiment d’appartenir à un même monde. C’est aussi un vecteur singulier, une mer à la fois militarisée et un espace de transit pour d’importants échanges commerciaux entre l’Europe et les pays du Sud.
Ce contraste caractérise toute l’histoire de la Méditerranée, marquée depuis l’Antiquité par des guerres entre voisins qui ne peuvent vivre sans s’ignorer. Aujourd’hui, le conflit israélo-palestinien, la situation au Liban, la guerre en Irak et la persistance du terrorisme islamiste fragilisent et divisent « mare nostrum ». Aux déterminants ancestraux des rivalités euro-méditerranéennes s’ajoutent désormais de nouveaux facteurs de risques, de nouveaux clivages, environnementaux, économiques et démographiques.
D’une part, les ressources halieutiques sont menacées par la pollution, la biodiversité recule et l’eau douce devient une ressource rare ; d’autre part, le développement économique des pays du sud de la Méditerranée n’est pas suffisant pour assurer la prospérité que recherche une population jeune et en croissance. Dans ce contexte, de nouvelles menaces apparaissent : les migrations clandestines, les trafics illicites, le fondamentalisme musulman.

2. Pour des raisons différentes, les Etats-Unis, la Chine et la Russie conduisent des politiques de puissance en Méditerranée. Plusieurs organisations internationales s’intéressent aussi à la zone méditerranéenne.
La géopolitique méditerranéenne est une évidence pour les Etats-Unis. Durant la Guerre froide, la sécurité de l’Europe s’est jouée en grande partie en Méditerranée. Aujourd’hui, le conflit israélo-palestinien, la menace terroriste et les acheminements énergétiques justifient pleinement l’intérêt américain pour cette zone.
Pour la Chine, puissance montante aux intérêts de plus en plus globaux, l’espace euro-méditerranéen est désormais essentiel. Elle ne se contente pas d’y exporter des produits manufacturés. Elle participe à la formation des élites de cet espace, contribue à la construction d’infrastructures et joue un rôle de plus en plus important en matière d’aide au développement.
A terme, les échanges entre les deux rives de la Méditerranée pourraient être affectés par cette politique offensive.
La Russie conçoit cet espace géopolitique comme le carrefour de deux de ses priorités : d’une part, elle souhaite reprendre en main son « étranger proche », en assurant un continuum entre la mer Noire et la « mer bleue », d’autre part, elle veut faire pièce aux ambitions de Washington sur le tracé des « routes de l’énergie » dans l’espace caucasien et eurasiatique.
S’agissant des organisations internationales, l’OTAN a lancé, au milieu des années 1990, un dialogue méditerranéen fondé sur des mesures de coopération pratiques. L’OSCE entretient des relations privilégiées avec plusieurs Etats de cette région, mais celles-ci semblent s’essouffler.
Des organisations régionales du Sud, la Ligue arabe, l’Union du Maghreb arabe et la Conférence islamique peinent à s’imposer. L’Union européenne a, quant à elle, choisi en 2004 d’inscrire ses relations avec plusieurs Etats du Sud de la Méditerranée dans le cadre d’une Politique européenne de voisinage qui ne les distingue pas des Etats d’Europe centrale et orientale.
3. Face au constat d’un espace méditerranéen tourmenté faisant peser des risques à l’Union européenne, tandis que les grandes puissances veulent continuer à faire valoir leurs ambitions de puissance en Méditerranée, l’idée de construire, à l’instar de l’Europe, un espace de paix fondé sur la reconnaissance d’une destinée commune entre pays riverains de la Méditerranée et l’Union européenne fait son chemin, avec plus ou moins d’acuité, de réalisme et de volonté politique.
Il est raisonnable de penser que la sécurité de l’Union européenne passe par une démarche de compréhension mutuelle, de coopération et, en définitive, d’union culturelle, économique, voire politique des deux rives de la Méditerranée.
Mais force est de constater que les Méditerranéens de la rive Sud et ceux de la rive Nord peinent encore à s’entendre et à se comprendre. Ce fossé se nourrit d’incompréhensions, de peurs et de rejets réciproques, accréditant l’idée d’un « choc des civilisations » indépassable. Pis, il semble que toute tentative de réduire ce fossé soit bloquée tant que trois conditions ne sont pas préalablement remplies :
* la fin du conflit israélo-arabe, avec la constitution d’un Etat palestinien, conformément aux résolutions onusiennes ;
* la constitution d’un espace de valeurs partagées autour de la primauté de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés individuelles, dans un contexte de questionnement de plus en plus marqué de ces valeurs et d’une montée du « relativisme culturel » ;
* l’élaboration graduelle d’une identité méditerranéenne, qui permettrait l’émergence d’une civilisation méditerranéenne, même si celle-ci est jugée utopique par la plupart des observateurs.

L’UPM, à bien des égards, peut être perçue comme une utopie mobilisatrice, consistant, de façon pragmatique, à lever les verrous de la coopération transméditerranéenne et à encourager, voire doper, tout ce qui peut y contribuer. Construire à l’horizon d’une génération un grand ensemble d’un milliard d’êtres humains est un projet géopolitique à l’échelle de la mondialisation.
Des réponses devront être apportées toutefois aux questions légitimes que se posent nos partenaires du Sud : quels peuvent être les objectifs partagés de paix, de sécurité et de coopération entre les pays qui bordent la Méditerranée ? Quelle peut être la stratégie européenne de sécurité notamment dans sa gestion des flux migratoires ?
Quel rôle sera amené à jouer le flanc sud de la Méditerranée dans l’élaboration de cette nouvelle architecture de paix et de sécurité ?
Par De La Boisserie - Regards-citoyens.com - le 12 novembre 2009

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