Lorsque vous passez le comptoir d’enregistrement à l’aéroport international Mohamed V de Casablanca, un affichage numérique vous apprend que l’on a utilisé xquantité d’énergie solaire et économisé x quantité d’énergie grâce à l’installation de panneaux polycristallins qui alimentent la plate-forme de transit.
Voilà peut-être de quoi surprendre agréablement une touriste qui n’aura pas encore eu l’occasion de constater d’autres progrès, comme le réseau de tramway de Rabat. Mais pour un citoyen du pays, il y a là matière à réflexion, car le terme « ville intelligente » évoque l’idée d’une amélioration de l’infrastructure et du recours à la technologie. Cependant, dans les pays du Maghreb, les attributs d’une ville « intelligente » sont plus souvent un sujet de discussion qu’une incitation à passer à l’action. Ce sont les développements de l’infrastructure de ce type, de même que les problèmes posés par l’accès à l’eau et par l’encombrement de la circulation, qui ont motivé l’organisation du 1er sommet international des Villes intelligentes en Afrique du Nord (#ISSC2014) à l’université Al Akhawayn d’Ifrane, au Maroc.
Bien que le Maroc contraste avec ses voisins maghrébins plus aisés (Algérie, Tunisie et Libye) puisque c’est parmi eux le seul pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, ses multiples villes et leur diversité suscitent un grand nombre de débats sur l’urbanisme, qui peuvent porter sur des sujets aussi divers que la gestion des espaces verts ou l’amélioration de l’accès à l’énergie et à l’eau. Les organisateurs du sommet ont compilé une définition opérationnelle de la « ville intelligente » en couvrant quatre thèmes : 1) urbanisation ; 2) inclusion numérique ; 3) gouvernance et 4) mobilité.
L’une des grandes questions traitées lors de cette conférence, particulièrement pertinente dans le contexte local, était : comment promouvoir le développement de territoires ruraux intelligents tout en respectant la culture locale ? Ou, comme l’a justement formulé Louis Zacharilla, cofondateur de l’Intelligent Community Forum (ICF) : « être davantage qui vous êtes, et continuer de s’équiper d’outils et de technologies modernes... ». Selon lui, les villes du Maghreb ne devraient pas chercher à copier la Silicon Valley : celle-ci a connu un processus de développement organique et n’est pas apparue par décret. De plus, chaque zone géographique a des qualités qui lui sont propres. Les villes du Maghreb possèdent une richesse unique, qui ne peut être reproduite ni en Europe, ni en Chine, ni dans les pays du Golfe. Ainsi, l’énergie solaire n’est pas une option viable en Chine, qui doit faire face à un important problème de brouillard de pollution. Le Maghreb n’a pas ce problème, du moins pas encore.
Pour l’ICF, une ville intelligente présente les caractéristiques suivantes :
elle garantit la connectivité : l’internet est un bien public, et pas seulement une technologie, et il est tout aussi vital pour l’inclusion sociale et la productivité que l’électricité ;
elle n’est plus un « trou perdu au milieu de nulle part » ;
elle utilise le savoir, la recherche, la créativité et la collaboration comme des outils du développement économique.
Plusieurs autres questions ont orienté les débats lors de la conférence : comment la conception d’une « ville intelligente » peut-elle renforcer l’efficacité du secteur des transports ? Peut-on craindre qu’une ville intelligente soit menacée de « sur-numérisation » ou qu’elle s’appuie à l’excès sur les technologies de l’information et des communications ?, s’est-t-on demandé à propos des coûts de maintenance dont s’accompagne cette mutation. D’autres ont également dit redouter que certaines villes de la région, comme Masdar City, ne deviennent trop « techno-centrées, au lieu d’être centrées sur l’humain », selon les termes de l’urbaniste marocain Hassan Radoine. Devenir une ville plus moderne, ce n’est pas même la chose que devenir une ville plus intelligente. En effet, il arrive qu’une ville moderne se réinvente au détriment des besoins de la population locale, et oublie la nécessité d’espaces publics.
Pour pouvoir prétendre au qualificatif « intelligente », une ville ne devra pas se contenter de multiplier les outils technologiques. Selon Carlo Ratti, directeur duSensable City Laboratory du Massachusetts Institute of Technology, la ville intelligente doit être conçue pour interagir avec le citoyen. Le plus beau défi, c’est le prendre une ville et d’améliorer ce qu’elle est, plutôt que de partir de zéro, a expliqué Carlo Ratti. Dans le cas des pays du Maghreb, la conception des villes intelligentes doit apporter une réponse coordonnée aux problèmes des ressources en eau si l’on veut en préserver la durabilité. Ainsi, le Maroc pourrait s’inspirer du Pavillon de l’eau numérique, qui apporte de l’eau dans un espace public multifonctionnel tout en éduquant les citoyens sur les ressources hydriques.
Une autre définition de la ville intelligente met l’accent sur l’instrumentation ainsi que sur le développement de l’interconnexion, explique Jean-François Barsoum, consultant senior chez IBM. Renforcer l’interconnexion, cela signifie utiliser efficacement les données en temps réel pour prendre des décisions éclairées sur tout un éventail de questions relatives à l’espace urbain, comme la circulation, la gestion de crise ou la sécurité. Si l’on collecte des données sur l’eau, on pourra planifier les besoins en eau des dix prochaines années, ce qui évitera des forages inutiles. Associées à la technologie des capteurs, les big data permettraient aussi de rationaliser et de planifier la production alimentaire, a ajouté Jean-François Barsoum. Dans une ville plus intelligente, les fonctionnaires municipaux pourraient utiliser les capteurs pour irriguer les cultures et optimiser les pratiques agricoles.
Dans le cas du Maroc, Mohamed Attahri estime que ce sont les problèmes de circulation automobile qui empêchent Casablanca de se muer en ville intelligente. Au cours des douze dernières années, le nombre de véhicules sur les routes marocaines a augmenté de 55 %, et c’est un problème auquel Casablanca devra s’attaquer, qu’elle choisisse ou non de devenir une ville intelligente. Pour Mohamed Attahri, un gain d’efficience de 1 % de la circulation routière au Maroc pourrait engendrer 550 millions de dollars d’économies. Il a d’ailleurs élaboré l’outil « Greendizer » destiné à cartographier les problèmes de circulation à Casablanca, mais son utilisation dépendra de la rapidité avec laquelle cette technologie sera adoptée sur place. Au vu de la courbe de l’adoption du téléphone mobile, il y a toutes les raisons d’être optimiste.
Toutefois, tous les participants n’ont pas partagé ce bel enthousiasme pour les villes intelligentes. Beaucoup les considèrent en effet comme de simples techno-utopies réservées à ceux qui peuvent se permettre de vivre dans de tels environnements. Comme l’ont objecté quelques participants, une ville intelligente a besoin de citoyens plus instruits sans pour autant aggraver le clivage rural-urbain. De plus, même si une ville intelligente ne passe pas que par des investissements dans la technologie, comment feront les urbanistes pour éviter de creuser le fossé numérique, lequel a déjà tendance à favoriser les environnements plus urbains ? Une ville intelligente a besoin du haut débit, d’une main-d’œuvre instruite collaborant avec une université, d’innovation et d’inclusion numérique.
Lors de la clôture, l’ICF a invité le Maroc à désigner une ville qui se joindra aux 21 « smart cities » en 2017. Il sera intéressant de voir si le Maroc sélectionne une ville de taille moyenne ou une métropole, ou choisit d’investir dans la création d’un nouveau site, comme Masdar City aux Émirats arabes unis. Quel que soit le site retenu pour le titre de ville intelligente d’Afrique du Nord, on peut espérer qu’une université locale y tiendra un rôle de premier plan.
Par Mehrunisa Qayyum - Source de l'article le Blog de la Banque Mondiale
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