Un jour de colère comme seule notre "mare nostrum" est capable d'enfanter.
Zeus avait décidé de convoquer tous les éléments naturels : cyclones, tempêtes, tremblements de terre, déluges en tout genre, et les prophètes se sentaient bien impuissants devant cette injonction des cieux!
Comme pour mieux faire la nique à cette journée décrétée "fête nationale", le destin décide alors de figer l'espace et de suspendre le temps: c'est le quatorze juillet deux mille quatorze que Claude Lasnel, passeur devant l'éternel, décide de tirer sa révérence. Discrètement, sans faire de bruit, avec l'humilité qui lui servait de deuxième peau.
Ayant décidé de faire de la fraternité son credo, il s'engage très tôt au côté du peuple algérien indépendant pour l'édification du pays. Tournant historique plein d'espérance pour des générations entières, Claude Lasnel veut alors donner au mot "révolution" toute sa saveur.
A l'instar de Jean-Louis Hurst, autre "pied-rouge" qui nous a quittés récemment et qui a choisi de se faire enterrer dans son pays, l'Algérie, Claude Lasnel fait partie du panthéon "d'amoureux fous" de l'amitié franco-algérienne, franco-maghrébine, de la Méditerranée du cœur.
Alors qui est cette "tête brûlée" qui donne un sacré coup de vieux à l'union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy, et qui créée bien avant l'heure cette "Méditerranée de projets" si chère à François Hollande.
Qui est ce créateur des collèges-quartiers (notamment à Marseille), cet initiateur de "l'Ecole informelle" de Rabat, qui place déjà à l'image de son ami Abdelmalek Sayad (auteur des "Enfants illégitimes", l'environnement socio-culturel au cœur de l'échange, du dialogue, de la formation?
Qui est cet homme qui, très tôt, pense déjà que "l'immigration a une fonction miroir révélatrice d'un nombre de dysfonctionnements de notre société"?
Un père admirateur de Jaurès et une mère, institutrice, ouvrent les yeux d'un jeune homme qui fraternise très tôt avec ses copains de faculté, qui embrassent corps et âme la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Révolté par les exactions du colonialisme, il s'engage très tôt dans ce mouvement devenu légendaire: celui des "pieds rouges" où se sont engouffrés des milliers de jeunes français pour participer à la construction de l'Algérie nouvelle.
Du lycée technique d'Alger (El Anasser ex-Ruisseau) où il officie treize ans à l'école de la deuxième chance de Belcourt en compagnie de l'Abbé Scotto et du moudjahid Ramdane, il n'a de cesse de lutter contre les "préjugés sociaux et culturels", de dénoncer la xénophobie et de plaider et militer pour la "reconstitution du lien social" sans lequel la citoyenneté est un vain mot.
A cet égard, la reconstruction du village détruit par la guerre de Tamanart est peut-être une des expressions les plus abouties de l'œuvre de Claude Lasnel qui, toute sa vie, s'est efforcé de "croire" et "d'investir" dans la seule chose qui comptait pour lui: la nature humaine.
Pour lui, chaque être humain quelles que soient ses origines, sa condition, sa religion, sa nationalité, son statut, recèle cette part d'humanité si chère à Jaurès et qui le rend, pour reprendre sa propre expression "formidable".
Fort de ses expériences, animé par une volonté hors du commun, Claude Lasnel se voit confier la première mission d'échanges franco-méditerranéens aux côtés de Stéphane Hessel, alors, ambassadeur de France à Alger dont il demeurera l'ami à jamais.
Ainsi d'Alger à Rabat, de l'Université expérimentale de Vincennes aux quartiers nord de Marseille, du Maghreb au "Clos Maria" transformé en "Mecque" pour d'innombrables artistes, écrivains, intellectuels des deux rives, Claude Lasnel a donné du sens à la Vie.
D'Aït Menguellet à Leïla Chahid, de Daniel Beaume à Adel M'zab (menacé par l'intégrisme et dont il a adopté les deux enfants), d'Alain Temime à Tahar Djaout en passant par Kateb Yacine ou Rachid Mimouni ; la Tour de Babel aixoise où un dernier hommage lui a été rendu, a rayonné à travers la planète.
En plein cœur du maquis provençal, dans cette maison dessinée et meublée, à l'identique des cahutes Amazighs de Kabylie, du M'zab ou du Hoggar, "Vava inouva" est reprise en cœur par la foule innombrable venue dire au revoir à Claude Lasnel.
Ils sont venus de partout : d'Algérie où les anciens élèves ont tenu à être présents, du Maroc où l'on n'a pas oublié son engagement dans le Haut-Atlas, des quatre coins de la Provence qui veut lui rendre l'amour qu'il a prodigué à la méditerranée, des Etats-Unis, du Canada, d'Allemagne et de toutes les villes de France tant le désir de célébrer et de communier la Fraternité était fort.
A côté de la famille et des amis il y a là, aujourd'hui une ribambelle de cadres, d'entrepreneurs, d'enseignants, de dirigeants d'entreprises qui œuvrent pour perpétuer le message de dialogue, de tolérance d'échange que portait Claude.
Il y a là Louisa, une fille des quartiers nord, aujourd'hui proviseur d'un lycée. Quelle femme! Quel homme! Claude Lasnel adorait Louisa, une belle amie, une vraie amie.
Allons vers l'autre, Daniel Beaume, professeur de musique, agrégé de philosophie et surtout grand compagnon de route de Claude Lasnel sur les quartiers nord de Marseille.
Et puis tout à coup, au loin, dans le silence du recueillement, la sirène d'un train qui passe et un bouquet d'oiseaux qui s'élève dans un ciel débarrassé de ses nuages.
Comme pour mieux nous susurrer dans l'oreille que Claude Lasnel est parti en voyage, que ce n'est qu'un au-revoir...
Par Nacer Kettane (Président fondateur de Beur FM, Beur TV et élu de Paris 20ème.) - Source de l'article Hufftingtonpost
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